Les Frères Sisters : critique morte et vive
Après la consécration de Dheepan, qui remporta la Palme d’Or en 2015, on attendait logiquement le grand retour de Jacques Audiard sur la Croisette. Mais son western, Les Frères Sisters avec Jake Gyllenhaal, Joaquin Phoenix et John C. Reilly, aura préféré mouiller du côté de la Mostra de Venise, jugée par la production du film plus adaptée au lancement d’une œuvre à même sur le papier de concourir aux Oscars.
MORT OU VIF
Projet né du désir du comédien John C. Reilly de voir le cinéaste français adapter le roman éponyme de Patrick De Witt, Les Frères Sisters avait tout du défi parfaitement casse-gueule. Non seulement Hollywood ne se montre que rarement clément pour les auteurs français qui s’y risquent, mais le genre du western, qui semble devenu par essence crépusculaire depuis une quinzaine d’années, est un terrain si balisé qu’il eût été aisé pour Jacques Audiard de voir sa singularité s’y éteindre.
Il n’en est rien, peut-être justement parce que dans un premier temps, son récit éclate les attendus du genre pour mieux effacer nos repères. Joaquin Phoenix et John C. Reilly ont beau correspondre parfaitement au stéréotype des mercenaires éparpillant leurs douilles en tous sens, les rapports de force complexes qui se jouent entre eux surprennent de prime abord.
Ils étonnent d’autant plus que loin d’expliciter tout à fait comment ces deux frangins, tantôt tendres, tantôt barbares, sont devenues les gâchettes d’un inquiétant commodore, Jacques Audiard se plaît à court-circuiter son intrigue principale. Tandis que le duo traque et tâtonne, le metteur en scène suit également leurs proies, deux individus que leurs milieux séparent et leurs valeurs rapprochent (épatants Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed), soit l’exact opposé de nos héros aux colts fumants.
Un homme rendu imprévisible par la douleur et la résilience
SISTERS UNCHAINED
Depuis Impitoyable, chaque nouveau retour en grâce du western semble s’envisager comme une auto-analyse compassée du genre. Qu’il ausculte l’héritage de John Ford (Open range), subvertisse avec malice les codes (Appaloosa), relise la Blaxploitation (Django Unchained) ou interroge la figure centrale du cowboy (The Homesman), le western semble avant tout parler du western lui-même.
Michel Audiard n'est pas venu nous rejouer son bréviaire de l'Ouest, réciter ses classiques de la Nouvelle Frontière, proposition plaisante pour le cinéphile mais un brin stérile, et il préfère évacuer la plupart des formes connues du spectateur. Les fusillades sont autant de jeux de hors-champ réjouissants, les menaces animales bien plus rampantes que d’ordinaire, et on repassera pour les couchers de soleil. Non, ce qui motive Les Frères Sisters, c’est confronter deux mythes fondateurs, deux dynamiques historiques.
Riz Ahmed et Jake Gyllenhaal incarnent deux facettes de l’honnête homme selon la légende américaine, cet habitant du Land of the Brave, que sa bravoure, son sens de la decency et in fine son intelligence promettent au succès. Face à eux, la violence aveugle et arbitraire des Frères Sisters. Si le film ne fait pas de Joaquin Phoenix et John C. Reilly les méchants de son récit, c’est justement pour rappeler que l’Amérique ne fut jamais mue par la réussite des hommes de bien, mais par la cupidité de ses membres les plus affamés.
LA RUÉE VERS L’OMBRE
Pour emballer ce conte funèbre et amoral, Audiard a choisi la lumière de Benoît Debie (Enter the void, Spring Breakers, Climax), qui nimbe l’ensemble dans une lumière aux accents mordorés. L’image évoque parfois un amoncellement douceâtre, le parfum écoeurant mais riche d’une charogne sur le point de pourrir. L’intense beauté des Frères Sisters est celle d’un monde, telle la grange incendiée de la première séquence, qui s’apprête à sombrer dans les flammes avant-même sa gloire.
Sa caméra filant sobrement, mais toujours avec justesse, les âmes damnées qu’il suit en pleine ruée vers l’or, Jacques Audiard peut alors composer tranquillement une rupture de narration aussi brutale qu’impitoyable. Là où ses derniers films souffraient parfois d'une mauvaise gestion de leurs différents arcs scénaristiques, le métrage parvient ici miraculeusement à nourrir à la fois son versant fataliste, ses appétits tragiques, mais aussi sa proposition historique : celle d’une Amérique dont seuls triomphent les ogres.
Et alors que ses héros choisissent, presque littéralement, de s’amputer de leur conscience, c’est au cours d’un dernier mouvement à la fois désespéré et apaisé que Les Frères Sisters dévoile la puissance, mais aussi la finesse de son propos. Les monstres ne sont des monstres que parce qu’ils choisissent d’ignorer leurs terribles appétits, et parce qu’ils ne les regardent pas en face, il leur est donné de dormir en paix. Un constat terrible et glaçant, qui achève de faire du film un des plus forts et terrassants de son auteur.
Lecteurs
(3.1)09/10/2023 à 23:20
Excellent, du grand cinéma,ou l'audace d'Audiard de s'atteler à un genre très risqué qu'est le western...est ciselé avec talent et intelligence. Rien à voir avec la ''romance '' des westerns US...le réalisme cru des hommes ordinaires de cette époque vilaine, et cupide à l'extrême, une vue fraîche et authentique de la triste vie de ces salopards de l'ouest du milieu du 19 ème siècle...bravo...!
08/03/2021 à 02:08
Les westerns sont trés souvent bons, mais celui-ci n'est pas terrible..
07/03/2021 à 17:44
Excellent film, l'odyssée de ces deux psychopathes est passionnante, le casting est royal.
Seul regret la très très faible présence à l'écran du monumental Rutger Hauer.
15/10/2019 à 21:35
Nul vraiment nul
15/10/2019 à 19:37
Un bon film mais pas un film épatant non plus.
18/10/2018 à 13:56
Film que j'ai bien aimé pour ses personnages, sa lumière.
Par contre j'ai trouver la chute de deux des personnages principaux à cause d'un des frères mal amenée, tombant comme un cheveu dans la soupe.
01/10/2018 à 12:42
Déçue après tous les éloges de la presse. Ce film est loin de valoir les westerns américains. Pas de paysages grandioses. A la limite endormant.
29/08/2018 à 19:31
est ce que audiard fils est au dela de son papa ? il va finir par mettre tout le monde d accord...
28/08/2018 à 19:56
Audiard va enfin obtenir son oscar après lui etre passé sous le nez en 2010 pour Dans ses yeux.
28/08/2018 à 17:04
Raiden .
Le post le plus intéressant de la semaine .
Et on est que mardi.
Bravo.