Sylvester Stallone, comment il a saboté sa propre légende

Déborah Lechner | 18 mars 2023
Déborah Lechner | 18 mars 2023

À plus de 75 ans, Sylvester Stallone n'a toujours pas fini de jouer les outsiders sur le retour, l'acteur ayant toujours un dernier combat à mener, au risque de plomber un peu plus sa carrière. 

Si les personnages de Rocky et Rambo l'ont fait entrer dans la légende hollywoodienne, Sylvester Stallone n'a jamais réussi à se défaire de l'archétype de héros qu'il a façonné. Le rôle du combattant sur le retour, de l'homme qui doit faire ses preuves, reprendre son destin en main et soigner son syndrome du sauveur a certes forgé sa carrière, mais le tire surtout vers le bas depuis une quinzaine d'années.

Après être devenu une icône au même titre que les personnages qui l'ont porté aux sommets, l'Étalon italien s'est progressivement transformé en auto-parodie qui n'a pas su ranger ses armes à temps et s'est tiré dans les pieds

 

 

STALLONE à LA DÉRIVE

Si Sylvester Stallone a marché sur Hollywood dans les années 80, l'acteur a vu sa carrière s'étioler au début des années 90, celui-ci étant toujours prisonnier du moule dans lequel il a été formé au milieu des années 70. Le film Copland, réalisé par James Mangold et sorti en 1997, lui a cependant offert l'opportunité de déconstruire son image vieillissante d'éternel Rocky et Rambo avec un physique plus pataud et un personnage moins héroïque ou valorisant qu'à l'ordinaire. Cette mise en retrait de son ego et cette volonté de mettre en relief son jeu davantage que ses muscles restent cependant une anomalie dans sa carrière, l'acteur étant vite retourné à ses rôles de prédilection, plus musclés et artificiels. 

Au début des années 2000, Stallone, alors perdu dans le nouveau paysage hollywoodien, a poursuivi sa chute en recyclant les figures de Rambo et Rocky dans une suite de navets et d'échecs au box-office, alors même qu'il était en quête de réhabilitation et de réaffirmation. Dans l'assommant Get Carter, il joue un mafieux très premier-degré qui veut venger la mort de son frère et prouver à tout le monde qu'il a raison. Dans le nanardesque Driven (qu'il a au départ pensé comme "le Rocky de la Formule 1"), il incarne un ancien pilote vedette qui s'est retiré après un grave accident, mais remonte dans sa monoplace pour une ultime course.

 

Driven : photo, Sylvester StalloneL'époque où il avait du mal à rester sur le côté

 

Dans le thriller oublié Compte à rebours mortel, il campe un agent du FBI devenu alcoolique qui remonte la pente en traquant le meurtrier de sa fiancée dans un centre de désintoxication. Dans Mafia Love, il se glisse dans la peau d'un garde du corps pour devenir une figure paternelle de substitution forcément salvatrice. Mais le fond du gouffre a été atteint avec son caméo dans Spy Kids 3D, qui aurait pu être un gros délire burlesque, mais n'est qu'une confirmation de l'érosion de sa légende, tout comme celui dans Taxi 3 où il joue un simili James Bond après que Pierce Brosnan et les producteurs de la saga ont décliné la proposition de Luc Besson.

Bref, durant la première moitié des 2000, la carrière de Stallone était dans un état de plus en plus calamiteux, l'acteur étant relégué au rang de relique, certes toujours iconique et nostalgique, mais de fait totalement dépassée. 

 

Spy Kids 3 : Mission 3D : photo"Un ptit rôle svouplé"

 

LES RENDEZ-VOUS MANQUéS

En plus d'enchaîner les échecs et les films anecdotiques, Sylvester Stallone n'avait pas laissé ses deux icônes en bon état après Rocky 5, qui a été conspué par une bonne partie du public, et Rambo 3, jugé trop manichéen et idéologiquement bas du front. Alors faute d'arriver à passer à autre chose, il y est finalement revenu. L'idée d'un baroud d'honneur pour ces deux personnages cultes qui n'avaient pas eu la fin qu'ils méritaient était aussi attirante que casse-gueule, mais le film Rocky Balboa de 2006 a finalement marqué une autre résurrection pour Stallone, autant que celle de la franchise qui l'a rendu célèbre.

Il est ainsi repassé à la réalisation pour la première fois depuis Rocky 4, et à l'écriture après les mésaventures de Driven. Avec près de 155 millions de dollars au box-office mondial pour un budget d'à peine 25 millions, ce sixième volet est son premier succès commercial et surtout critique, au point d'être ici considéré comme un des films les plus puissants de la saga. Pour la première fois, Rocky (à l'instar de son interprète) est un vrai outsider, un sexagénaire qui cherche à retrouver le goût de vivre, qui a tout à se prouver en faisant un dernier come-back, et surtout plus rien à perdre. C'est un bel hommage à la saga, une mise en abime sur l'oubli et la vieillesse plus touchante que narcissique, et un dénouement sincère et gentiment naïf

 

Rocky Balboa : photo Rocky BalboaLe retour du roi 

Fort du succès de Rocky Balboa qui l'a ramené sur le devant de la scène, Stallone a réhabilité deux ans plus tard son autre héros emblématique avec le sombre John Rambo qui a offert à l'ancien béret vert une dernière occasion de sauver des personnes et d'en charcuter des centaines d'autres à la sulfateuse. C'est le premier volet qu'il a lui-même mis en scène, et même si le succès n'a pas été comparable à celui de Rocky Balboa, ce volet lui a permis de redonner à cette figure mythologique ses lettres de noblesse, à la réinscrire dans le présent alors qu'elle semblait figée dans une époque passée. Son John Rambo y apparaît de fait plus cassé et blasé, plus assommé et conscient de ses propres limites.

Là encore, il a donné à son personnage une dignité et une mélancolie d'une plus grande ampleur, mais aussi une fin apaisée avec un retour au pays, auprès de son père en Arizona. Cela aurait pu être une belle conclusion pour les deux personnages et un hommage louable aux franchises dont ils sont issus avec un dernier retour, nécessaire et presque miraculeux. Sauf qu'évidemment, la logique des franchises a finalement saboté l'aura qu'il avait réussi à leur redonner.

 

Sylvester Stallone : photo, John RamboTrois ptits tours (de nuque) et puis s'en vont pas

 

Rocky Balboa aurait pu permettre au boxeur de Philadelphie de ressortir auréolé du ring, de laisser au public une image triomphante, mais la saga spin-off qui a suivi a tout dilué. Dans le premier Creed, Rocky prend le rôle de coach, mais aussi trop de place dans un scénario qui ne tourne pourtant plus autour de lui, mais d'un nouveau héros. Dans Creed 2, en plus de toucher l'immortalité du bout des doigts de façon toujours plus risible, il n'est plus qu'un spectre qui hante ce qui fut un jour SA franchise, sans incidence sur le récit ni évolution significative. 

Et comme Rocky Balboa n'était finalement pas le chant du cygne de la franchise, John Rambo a été suivi de Rambo Last Blood, qui est malheureusement retombé dans tous les travers de la saga. L'acteur avait pourtant expliqué en 2010 à Empire qu'il était sûr à 99% qu'il n'y aurait aucune suite au film de 2008, car "comme Rocky Balboa, le personnage a finalement bouclé la boucle". Pourtant, il y a bien eu la saignée de trop avec ce film réalisé par Adrian Grunberg qui s'applique à défaire tout ce que le précédent opus avait mis sur pieds.

Avec Last Blood, la franchise n'a plus rien à raconter et double donc le nombre de cadavre pour faire passer le temps, quitte à surfer sur le Z de façon un peu trop décomplexé. Et comme pour Rocky, le refus de faire mourir les anciennes idoles, qui ont plus de trou dans le corps et d'os fracturé qu'un poussin en nuggets, devient plus pathétique et absurde qu'autre chose.

 

Rambo : Last Blood : photo, Sylvester StalloneLa suite de trop, épisode 21654

 

ENTRE AUTOPARODIE ET Autodérision

Alors qu'on pensait qu'il avait dit adieu à ses deux mastodontes de fiction, Sylvester Stallone a fait un autre retour en 2010, mais cette fois avec un nouveau personnage, Barney Ross, dans Expendables : Unité spéciale. Ce film, pensé comme un gros fantasme de quadragénaire et un bras d'honneur d'une génération d'acteurs laissés pour compte, lui a fait refaire une percée spectaculaire dans le cinéma d'action à 65 ans. Mais là encore, Stallone l'avait plutôt envisagé comme un autre dernier combat avant de se retirer progressivement. 

Lors du Festival du Film de Los Angeles, peu avant la sortie du film, Stallone avait évoqué la possibilité qu'il puisse s'agir de son dernier film en tant qu'acteur : "Mon ambition à terme est de faire comme Clint Eastwood et de réaliser des films sans qu’on me voie dedans. À mon âge, on entend le tic tac, et il résonne aussi fort que Big Ben. Étant en sursis, ma longévité dans le métier dépendra de ma capacité à accomplir cette transition".

Le premier Expendables a cependant été un joli succès avec 274 millions de dollars au box-office mondial (pour 80 millions de budget) et des critiques plutôt enthousiastes et réceptives à cette proposition old-school. Un Expendables 2 est donc sorti deux ans plus tard, toujours avec Stallone au centre de l'affiche, et cette fois Simon West à la réalisation, histoire d'enterrer profondément les sages projets de retraite derrière la caméra.

 

Expendables 2 : Unité spéciale : photo, Sylvester StalloneUn allié de Macron sur la réforme des retraites

 

Avant de retenter le diable en 2014 avec Expendables 3, Sylvester Stallone a continué d'embrasser son auto-parodie méta avec la comédie Match retour (au nom assez équivoque). Le film a rappelé sur le ring l'interprète de Rocky, mais aussi Robert De Niro en référence à Jake LaMotta, son boxeur culte dans Raging Bull réalisé par Martin Scorsese. Bien qu'amusant sur le papier, le film s'est finalement pris un K.O par la critique, en plus d'avoir été boudé par le public. Il n'a finalement récolté que 44 millions de dollars dans le monde pour un budget de 40 millions de dollars. L'acteur a alors (re)foncé tête baissée dans le cinéma d'action bourrin, plutôt que changer de registre.

Dans Du plomb dans la tête, il a ainsi repris un rôle de tueur à gages énervé. En 2012, lors du Festival de cinéma de Rome, l'acteur lui-même avait expliqué que son personnage était une (énième) combinaison de Rambo et Rocky, et qu'il espérait bien qu'il pourrait devenir une icône pour les nouvelles générations. Malheureusement pour lui, le film n'a pas marqué les esprits ni rempli les poches de ses producteurs, le magazine Forbes l'ayant inclus dans le top 10 des plus gros flops cinématographiques de 2013.

 

Photo Sylvester StalloneDu plomb dans la tête dure

 

Le film d'action Évasion, premier volet de la trilogie éponyme, n'a pas non plus redonné un rôle fort à Stallone, qui a continué sa descente en rappel avec Expendables 3. Ce troisième volet, qui a coûté entre 90 et 100 millions de dollars, s'est quant à lui avéré l'opus le plus faible, que ce soit auprès de la critique ou du box-office, prouvant ainsi les limites du concept de la franchise, finalement obligée de se tourner vers des figures plus actuelles (Tony Jaa, Iko Uwais ou encore Jacob Scipio ayant été castés aux côtés de Dolph Lundgren, Randy Couture et Jason Statham). 

Aujourd'hui, Stallone semble avoir définitivement rangé ses anciens rôles au placard. Il n'était pas dans Creed 3, ce qu'annonçait plus ou moins Creed 2 avant le règlement de compte de Stallone avec le producteur Irwin Winkler qui a confirmé son absence. Il fera également ses adieux à la franchise Expendables avec le quatrième volet qui est actuellement en production et dans lequel il devrait avoir un rôle largement réduit. Et si par un concours de circonstances Evasion 4 venait à voir le jour, il ne devrait pas impliquer son Ray Breslin qui a pris sa retraite dans Evasion 3 en 2019. Mais la rechute n'est jamais loin, quand bien même le running gag n'est plus drôle depuis un bon moment.

 

Le Samaritain : photo, Sylvester StalloneRecoller sa carrière en morceaux 

 

En 2022, il a ainsi pris un rôle lourd de sens dans Le Samaritain, celui d'un super-héros, le premier vrai de sa carrière remplie de surhomme en tout genre. Son personnage sort ainsi de la retraite pour livrer un dernier combat contre un groupe de méchants, sauver sa ville et un enfant pour parfaire le cliché. Après la tentative foirée de Match Retour, le film aurait pu verser dans l'auto-dérision, mais a préféré rester dans un egotrip méta beaucoup trop premier degré pour fonctionner.

Sa dernière oeuvre en date est la série Tulsa King de Paramount+, qui lui a offert une première vraie expérience télévisuelle et un premier rôle calibré pour lui. Il y incarne ainsi un vieux mafieux qui sort de 25 ans de prison et doit se recréer un empire à partir de rien dans une société qu'il ne reconnaît plus et qui a évolué sans lui.

C'est un personnage rincé, déphasé et un poil réac que la série finit cependant par remettre dans le coup pour revenir au schéma classique de l'anti-héros réhabilité qui prouve qu'il en a encore sous le coude. En somme, un millionième comeback réussi (du moins pour son personnage). Une seconde saison a par ailleurs été annoncée, et peut-être qu'il s'agira cette fois du vrai dernier combat et retour de Sylvester Stallone, même si le mal a déjà été fait il y a longtemps et que sa carrière sera probablement la seule chose qu'il ne réussira plus à sauver, ce qui serait particulièrement ironique.

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commentaires
Auskaro
06/04/2023 à 20:28

Nul à chier
Tes journalistes tu fais pas 1/3 de ce qu'il a fait reste tranquille

Leduk
20/03/2023 à 13:54

Une légende que je nai jamais compris. Il a fait tout au plus une poignée de films entre correct et bon, et copland etait le meilleur, suivi d'expandables.
Le reste, en dehors des premiers rocky & rambo, c'est tout extrêmement mauvais.

AmEnIc
20/03/2023 à 00:25

Sly restera une icône du 7e art !!

Eddie Felson
19/03/2023 à 21:22

@Cinégood
Il n’est pas le seul à compter 2 personnages iconique à son actif! Que dis-tu d’Indiana Jones et Han Solo pour un certain Harrisson Ford!!! Bref…

DillyDally
19/03/2023 à 18:57

Stallone est un acteur top sur son segment qui a su rester simple et humble. Je pense qu'actuellement il est beaucoup plus classe et mieux loto niveau crédibilité que schwarzie son ennemi de toujours. Ses films oui, ne sont pas tous bien mais il parle toujours à son public, et n'essaie pas de se transformer pour "rester dans le vent". Aujourd'hui son rôle dans Tulsa king est une forme de continuité vis à vis de l'esprit qu'il a défendu et fait vraiment du bien en tant que divertissement dans le société actuelle.

Ca reste un acteur qui sera irremplaçable une fois qu'il aura raccroché pour de bon. Parce que même si ce qu'il fait peut paraître bas du front, je vois mal qui réussirait à prendre sa suite.

C'est un monstre sacré dans son genre.

alulu
19/03/2023 à 18:12

@Cinégood

https://www.ecranlarge.com/films/news/1470169-le-flic-de-beverly-hills-quand-sylvester-stallone-devait-etre-la-star-du-film

https://mondocine.net/le-saviez-vous-stallone-le-flic-de-beverly-hills/

Simcad26
19/03/2023 à 17:59

Franchement...dans le style ''film d'action'' Stallone a été excellent. Sur le nombre...il y a des moins bons...mais on parle de déconnecter son cerveau pour un simple divertissement ici. C'est plus que mission accomplie dans cette optique pour Stallone. Il reste une légende du film d'action...

Rainbros
19/03/2023 à 16:00

Malgré ce vous dites, Stallone restera dans les mémoires, comme un acteur incontournable, qui n'a jamais eu la grosse tête. Que ses derniers films soient moyens, c'est évident, mais il faut lui reconnaître une sacré dose de courage malgré tout

Cinégood
19/03/2023 à 15:23

S'il n'est pas le meilleur acteur de sa génération, il a su - fait unique - incarner deux personnages qui sont devenus iconiques au point d'entrer dans le langage courant : Rocky et Rambo. (Il a même créé le premier !) Personne d'autre ne l'a fait.
On peut bien évidemment critiquer ses choix de carrière, mais lui a-t-on proposé autres chose ? Il faudrait lui demander, car dans Copland, il a su montrer autre chose et s'imposer au milieu d'un casting 5 étoiles.

Altaïr Demantia
19/03/2023 à 12:45

Dire de Stallone qu'il restera un grand parmis les grands est risible.
Les grands font partie du cinéma "classique" et leurs rôles sont avant tout dans le registre dramatique. Stallone ou Schwarzi n'en font pas partie. Ce sont des icônes du cinéma d'action de série B des années 70/80/90. Et même si Stallone a fait des incursions dans le cinéma contestataire et social avec Rocky et Rambo il n'en reste pas moins qu'il a fait sa carrière sur l'action en mettant de côté toute tentative d'être autre chose qu'un corps à la musculature hypertrophiée manipulant des flingues. La plupart de ses films n'ont aucun fond et tournent autour d'eux. Et Tulsa king fait dans les mêmes travers sans raconter autre chose que ce que Stallone a toujours raconté, LUI, sans jamais s'effacer derrière le personnage qu'il est sensé incarner.

Le problème c'est que maintenant, ce LUI, est vieux et ça se voit malgré le collagène et la gaine pour tenter de masquer son bide. Tulsa king aurait pu, dû, être sa reconvertion vers un registre dramatique dans lequel Stallone aurait pu briser l'armure et donner à ce corps encore remplis de stéroides le côté pathétique et touchant qu'il est en réalité.

Au lieu de ça on assiste à une énième tentative d'incarner une machine à distribuer les pains entre deux punchlines de machos.

La série est à chier entre parenthèses. Elle ne rend hommage ni au film de gangster ni au film d'action et ressemble à son héros, une arnaque.

Bref, oui, je suis d'accord avec Débora, Stallone a manqué sa sortie avec Rocky Balboa et John Rambo.

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