Big love - Saison 1

Stéphane Argentin | 12 septembre 2007
Stéphane Argentin | 12 septembre 2007

Avec la fin en 2005 de Six feet under et celle, programmée pour 2007, des Soprano, HBO était (désespérément ?) à la recherche d’une saga familiale d’envergure à même de reprendre la place laissée vacante par ces deux (pré)retraités. Après les pompes funèbres et la mafia, le salut pour la chaîne la plus innovante de l’Histoire du petit écran devait donc revenir en cette année 2006 à Big love et son sujet polémique : la polygamie.

 

Brûlant sur le papier, le sujet se révèle hélas bien vite en deçà des espérances sitôt passé les premiers épisodes. Pas facile, il faut bien l’avouer, de rentrer dans les pénates de ces deux prédécesseurs multi-récompensés et dont les louanges ne cessent de pleuvoir aujourd’hui encore. Pas facile surtout pour les deux rookies du milieu Mark V. Olsen et Will Scheffer, créateurs de Big love aux CV vierges, de se hisser au niveau d’un David Chase ou d’un Alan Ball. Pris en tenaille entre une chaîne (HBO) qui a littéralement révolutionné le petit écran en une décennie et deux hommes (Chase et Ball) considérés comme de véritables génies de ce même médium, les descendants de cette prodigieuse lignée étaient-ils voués à l’échec ?

 


Oui et non. Oui car la barre était placée bien haut et que la concurrence ne s’est pas endormie sur ses lauriers. Ainsi, des séries telles que The L Word pour son immersion frontale et sans tabou au cœur de la communauté lesbienne, Weeds pour son portrait au vitriole de la suburb chic californienne (toutes deux sur la chaîne câblée concurrente Showtime) ou encore, dans une moindre mesure, Desperate housewives pour sa chronique épicée de vie de femmes au foyer (sur ABC) ont en effet tenté, avec succès, de prendre le train en marche de cette révolution tant graphique que thématique.

 

Big love débarque donc en cet hiver 2006 (le season premiere a été diffusé sur HBO le 12 mars 2006) et aura bien du mal à se frayer un chemin vers des sommets qu’elle n’atteindra hélas jamais (tout du moins au terme de cette première saison), et cela quelque soit les trois chemins qu’elle emprunte. Le premier, sans doute le plus réussi, c’est le quotidien de cet homme, Bill Henrickson, campé par un Bill Paxton à la fois tout en force et en faiblesses (sexuelles), entouré de ses trois épouses, chacune avec son tempérament (in)directement lié à sa tranche d’âge : la jeune et insouciante Margene (Ginnifer Goodwin), la manipulatrice et dépensière Nicolette (Chloë Sevigny) et enfin l’autoritaire et posée Barb (Jeanne Tripplehorn). À ces quatre adultes s’ajoutent les progénitures respectives de chacun des couples, soit au final une belle et grande famille et des emplois du temps plutôt chargés pour tout ce petit monde : qui fait les courses, qui couche avec Bill ce soir… ? C’est le côté « Desperate housewives » de la série, surtout lorsque les trois concubines se retrouvent seules à tout gérer pendant que le mâle est parti gagner le pain quotidien.

 


Un pain religieusement rompu à chaque début de repas par toute cette petite tablée que le voisinage, et par extension l’ensemble de l’américaine puritaine monogame et chrétienne, ne voit pas d’un très bon œil. À l’image de ce couple de nouveaux voisins auquel il conviendra de cacher la nature véritable des relations entre Bill et ses trois épouses. C’est le côté « Weeds » de la série où les banlieues BCBG n’aiment rien moins que les plates-bandes clean et les jardins bien arrangés et qui ne communiquent surtout pas les uns avec les autres comme dans le cas présent. Un « côté cour » qui autorise certes de jolis travellings d’une demeure à l’autre mais qui sent un peu trop le « décor de studio » artificiellement ensoleillé par moments.

 

Un « côté cour » qui s’étend également à l’ensemble de la communauté Mormone décrite dans la série et emmenée par le prophète Roman (inquiétant et machiavélique Harry Dean Stanton) entouré pour sa part de ses quatorze femmes (oui : 14 !). Car comme nous le rappelle l’écriteau en fin de series premiere, on estimerait entre 20.000 et 40.000 le nombre de personnes pratiquants aujourd’hui la polygamie au pays de l’Oncle Sam. Un mode de vie qui se « transmet » en famille, même pour ceux, comme Bill, partis vivre à l’écart de cette « secte religieuse » (le prophète tout-puissant à sa tête renforce encore ce sentiment) qui finira par les rattraper tôt ou tard (les oppositions entre Bill et Roman ou encore entre Bill et ses parents refont ainsi surface). C’est le côté « L Word » de Big love pour son immersion au cœur d’une communauté (les mormons et à fortiori une fraction d’entre eux : ceux pratiquant la polygamie) à l’importance démographique non négligeable avec ses us et coutumes bien à elle.

 

Ce « mode de vie » présenté au travers de ces trois lignes narratives aboutit à une série à la liberté de ton certes bien ancré dans les standards de la chaîne (le sexe y est pratiqué sans tabou) mais dont le sujet n’est finalement abordé qu’en surface et, de surcroît, sous un angle beaucoup plus consensuel que ce que l’on était en droit d’attendre. Un décalage « sujet / traitement » qui n’a toutefois pas enraillé la réussite de Big love outre-atlantique, entrainant de facto la reconduction de la série pour une deuxième, puis une troisième saison (cf. news). Mais si HBO tient vraiment à se démarquer d’une concurrence de plus en plus oppressante, il lui faudra dégainer bien davantage que cette trilogie de l’anneau, bandante en théorie mais en manque de viagra en pratique, pour (re)conquérir un public habitué aux sommets télévisuels.

 


 

 Big love : Tous les jeudis soir à 22h15 sur Canal + à partir du 13 septembre 2007.

 

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