Que vaut Here and Now, la série d’Alan Ball avec Holly Hunter et Tim Robbins ?
Personne n’en parle, mais c’est pourtant l’un des petits événements de l’année : le retour d’Alan Ball avec la série Here and Now. Le créateur de la fabuleuse Six Feet Under et de True Blood, scénariste oscarisé d’American Beauty, réinvestit le champ du drame intimiste centré sur une nouvelle famille pas comme les autres.
Avec ce même goût pour les larmes, l’excentricité, la folie douce et l’humour, avec un casting porté par Holly Hunter et Tim Robbins, et donc beaucoup d’attente.
Notre avis sur cette première saison de 10 épisodes, diffusée sur OCS City.
ATTENTION QUELQUES SPOILERS !
UNE FAMILLE FORMIDABLE
Sur le papier, c’est une copie presque conforme de Six Feet Under : une histoire de famille pas comme les autres qui, derrière ses apparences à peu près normale, se révèle n’être qu’un nœud d’angoisses, névroses, mensonges et frustration. Au jeu des sept erreurs, il y a même des ressemblances troublantes avec une mère obsédée par sa soif de contrôle, un fils gay, une post-ado plus légère qui plane dès le pilote, et un patriarche autour duquel quelque chose se brise.
Car la famille Bayer-Boatwright a au moins une particularité évidente : ex-hippies et éternels idéalistes, Audrey et Greg ont adopté trois enfants, venus de différents endroits du monde, en plus d’en avoir un autre, biologique. D’où Ashley aux origines africaines, Duc d’origine vietnamienne, et Ramon d’origine colombienne, autour de Kristen, fille biologique du couple.
Entre le père de famille (Tim Robbins) au bord d’une dépression à l’aube de ses soixante ans et Ramon qui est assailli par d’étranges visions du nombre 11, au point d’avoir une hallucination sous les yeux de ses proches, quelque chose bascule dans Here and Now, dès le premier épisode.
MAKE FAMILY GREAT AGAIN
A priori, Here and Now coche un bon nombre de cases susceptibles d’exaspérer celui qui colle les mots « politiques » et « correct » dans un soupir de mépris. Enfants adoptés, couple mixte, scènes de sexe gay, islam, musulman gender fluid… La série d’Alan Ball brasse quantités de thématiques, inscrites dans son oeuvre depuis quelques temps. De la discrimination centrale dans True Blood à la place de la religion dans son premier film comme réalisateur Pureté volée (inédit dans nos salles, sorti en DVD en 2010, avec d’ailleurs le même Peter Macdissi), l’histoire se place dans la lignée directe de son travail.
Le spectre de Donald Trump plane discrètement sur ce portrait d’une Amérique en proie à ses vieux démons, qui s’incarnent sous diverses formes selon les personnages. Traumas ensevelis sous une carapace sociale clinquante, amertume d’avoir été bouffé par le train de vie bourgeois, difficulté du vivre ensemble, incapacité à affronter un monde rongé par la peur, doute absolu sur sa propre identité à une époque où la multiplicité des étiquettes (sexuelles, culturelles, religieuses) donne le vertige : les personnages de Here and Now se révèlent parfaitement en déséquilibre, bousculés par des forces intérieures ou extérieures.
Il n’y a pas de gentils démocrates contre méchants républicains, mais des lignes qui ont bougé, et sont devenues trop floues pour être lisibles. Jusque là, c’est une chronique simple et limpide d’une famille, d’une époque, d’un pays, avec ses ficelles classiques (crises conjugales, crises adolescentes, crises sentimentales, crises professionnelles). Sauf que la série ajoute un élément inattendu.
L’EFFET PAPILLON
Le ciment de la série n’est pas uniquement cette douce folie américaine : derrière les crises habituelles, il y a ce Ramon, assailli par des visions dès le pilote. Le chiffre 11 se multiplie dans sa vie jusqu’à être au cœur d’une hallucination effrayante, qui bouleverse la famille pas si idéale que ça. Le psychiatre qu’il va voir a un lien étrange avec ses rêves, qui va peu à peu ronger cet homme a priori cartésien, le replonger dans ses traumatismes enfouis, et là aussi briser l’harmonie de sa famille.
De ce côté, Here and Now flirte avec le fantastique, créant des ponts surréels entre les personnages, amenant des facteurs extérieurs presque magiques pour expliquer et nourrir leurs angoisses. Il y avait certainement une note loufoque omniprésente dans Six Feet Under et American Beauty, au service de personnages étouffés par les lois de leurs existences, quand True Blood était une série de genre pure. Ici, c’est quelque part entre les deux : le fantastique est un vrai moteur dramatique, au cœur des enjeux, mais camouflé dans la réalité apparente.
Et si Here and Now n’a pas un point d’entrée aussi fort que les histoires de la famille Fisher, et n’en a pas la pureté conceptuelle avec sa mort qui ouvre chaque épisode (même si un épisode se termine avec un accident qui aurait pu finir chez les Fisher), la nouvelle série d’Alan Ball révèle peu à peu ses atouts, jouant avec les attentes et les genres, jusqu’à un final incroyable qui donne une toute autre perspective à l’histoire. Ce côté Donnie Darko donne à la série une couleur très belle et étonnante, et plus riche que la comparaison un peu facile avec This Is Us, grand carton de ces derniers temps.
Daniel Zovatto, l’enfant pas comme les autres
APOCALYPSE HERE AND NOW
Here and Now, diffusée aux Etats-Unis sur HBO et en France sur OCS City.