Dahmer : Monstre - L'histoire de Jeffrey Dahmer : critique sans Dahmer le pion des minorités sur Netflix

Ange Beuque | 26 septembre 2022 - MAJ : 21/06/2023 11:08
Ange Beuque | 26 septembre 2022 - MAJ : 21/06/2023 11:08

Après O.J. Simpson et Andrew Cunanan dans les deux premières saisons d'American Crime Story, Ryan Murphy poursuit ses dissections macabres avec Dahmer : Monstre - L'histoire de Jeffrey Dahmer sur Netflix. Alors que la plateforme accueillera prochainement Jeffrey Dahmer : Autoportrait d'un tueur sur le même sujet, le créateur de Ratched fait le choix du docudrame, convoquant pour le rôle-titre son fidèle Evan Peters ainsi que Richard Jenkins (La Forme de l’eau) et Penelope Ann Miller (L’Impasse) en parents dépassés.

Le fantasme algorithmique

Dans la lignée de son travail sur American Crime Story ou Feud, la nouvelle création de Ryan Murphy approfondit le sillon du docudrame, un genre qui prétend coller au plus près des événements par le seul jeu de la reconstitution, sans images d'archive. Son sujet : Jeffrey Dahmer, un cannibale nécrophile qui a compilé dix-sept meurtres en treize ans.

Un pedigree de choix dont on comprend qu'il ait attisé l'intérêt du créateur d'American Horror Story, dont l'attrait pour le glauque est patent. Amateurs de tête dans le frigo, de squelettes façon puzzle, de lobotomie artisanale et de cuves d'acide, vous serez en terrain conquis : Dahmer : Monstre surfe sur l'attraction mortifère qu'exerce ce genre de sociopathe et plastronne son interdiction aux moins de 18 ans comme un gage d'authenticité. Jeffrey Dahmer figure de surcroît parmi les tueurs les plus connus aux États-Unis, qui ont pourtant leur comptant de spectaculaires déviants.

 

Dahmer : photo, Evan PetersDahm(er) Dahm(er) Deo

 

Le filon criminel est si prospère qu'il génère nombre de programmes à succès, qu'il s'agisse de fictions (Hannibal, Bates Motel, Mindhunter...) ou de documentaires (Don't Fuck with Cats, L'Affaire Watts...). Le contrat d'exclusivité signé par Ryan Murphy avec Netflix en 2018, estimé à 300 millions de dollars, pourrait donc bien avoir trouvé avec Dahmer : Monstre sa martingale, tant sa combinaison de vrai serial killer et de créateur en vue semble être le fruit d'un fantasme algorithmique.

De quoi satisfaire la curiosité morbide du public, qui pourra se repaître d'un frisson cathartique à l'idée que cet homme tranquillement affairé à nettoyer ses outils sanguinolents dans l'évier crasseux de son appartement aurait pu être son voisin de palier... En filigrane : l'éternelle question de la monstruosité et la manière dont elle s'insinue dans les communautés humaines.

 

Monster: The Jeffrey Dahmer Story : photo Shaun Brown, Evan PetersThe Gloomy Indoors

 

Une chronologie débitée à la scie à métaux

Pour rendre au mieux son parcours meurtrier, la série fait le choix d'éclater sa chronologie. En suivant alternativement ses traces à divers moments de son existence, on ausculte tant les conséquences de ses actes que leur genèse. Ces aller-retour de 1966 à 1991 avec plusieurs étapes intermédiaires cassent la monotonie du déroulé sans jamais entraver la limpidité de la narration.

Cette défragmentation temporelle permet à Dahmer : Monstre de jouer avec nos attentes et dérouler de pures scènes de tension. Celles-ci sont de deux natures : celles qui placent une potentielle victime dans sa nasse et celles, à l'inverse, le confrontant aux autorités avec l'espoir – souvent irrationnel – qu'il soit interpellé.

 

Monster: The Jeffrey Dahmer Story : photo Evan PetersVous avez été reconnu coupable d'aimer L'Exorciste 2

 

La réalisation, dont une partie est assurée par Jennifer Lynch (fille de David), compte d'ailleurs parmi les réussites incontestables de la série, tout particulièrement dans ces scènes étouffantes merveilleusement gérées. Sobre, la mise en scène s'épargne les excès grand-guignolesques d'American Horror Story et, si elle ne se défile pas devant la tripaille, on ne sent jamais la série racoleuse.

En approfondissant le passé de Dahmer et l'engrenage de ses premières transgressions, la série se place sur le fil aiguisé de dilemmes bien connus : peut-on tout expliquer ? Si oui, peut-on expliquer sans excuser ? Se pose également la question de l'empathie que le spectateur peut ressentir pour un criminel, un sujet d'autant plus explosif que nombre de déviants jouissent d'authentiques fan-clubs, à l'image du phénomène Ted Bundy. Intelligemment, Ryan Murphy tend un miroir à ces groupies décérébrés, en les donnant à voir dans leur insensibilité crasse... qui interroge par la même occasion notre propre appétence pour ce type de récit.

 

Monster: The Jeffrey Dahmer Story : photo Molly Ringwald, Richard JenkinsTu seras un homme déviant mon fils

 

Reste qu'en dépit de sa construction habile, Dahmer : Monstre prend peut-être un peu trop ses aises au gré de ses dix épisodes. Au-delà du saisissement provoqué par la nature effroyable des faits, le parcours du tueur est somme toute assez « conventionnel » : taxidermie, fascination suspecte pour les cours de dissection, problèmes relationnels, expériences scientifiques hasardeuses sur sujet non consentant... pour réelles qu'elles soient, ces transgressions successives paraîtront familières aux amateurs de true crime, quand elles n'ont pas été digérées par la pop culture (coucou, Dexter).

Toutefois, la performance d'Evan Peters, visage emblématique de la série d'anthologie American Horror Story, permet de garder le cap. Fraîchement auréolé d'un Emmy Award pour son second rôle dans Mare of Easttown, il crève l'écran dans ce rôle torturé qui lui va comme un gant en peau humaine. Après avoir visionné de nombreuses interviews et images d'archive du tueur et bénéficiant d'un maquillage extrêmement réussi, Peters livre une prestation remarquable de retenue et d'intériorité.

 

Monster: The Jeffrey Dahmer Story : Photo Evan PetersTaxidermie Driver

 

L'angle (du) mort

Dahmer : Monstre a l'intelligence de ne pas se laisser cannibaliser [sic] par son centre de gravité et se distingue par la place qu'elle accorde aux victimes. Tout particulièrement dans son mémorable sixième épisode, qui s'attache aux pas d'un jeune noir gay et sourd sans jamais faire preuve de misérabilisme, et dont la réalisation épouse le point de vue en coupant ponctuellement le son.

Aussi touchant que déterminé, le personnage de Tony (Rodney Burnford) provoque une puissante empathie qui rend d'autant plus déchirante la perspective de sa rencontre avec le tueur. Même les victimes qui disposent de moins de temps d'écran sont toujours incarnées, agissant d'une manière raisonnée qui leur confère un minimum de substance.

 

Dahmer : Monstre - L'histoire de Jeffrey Dahmer : photo, Rodney BurnfordThe Silenced Ballad of Gay Tony

 

Cette mise en lumière des victimes laisse surtout transparaître de troublantes récurrences. En effet, Dahmer avait une fâcheuse tendance à cibler les communautés noires et hispaniques défavorisées : simple hasard lié à son implantation dans un quartier pauvre du Wisconsin ou sélection cynique de proies parmi les moins susceptibles de faire l'objet d'enquêtes approfondies ?

Au fil des épisodes s'affirme le véritable sujet de la série, à mesure que le spectateur prend conscience de l'ampleur des signalements infructueux qui ont jalonné le parcours du tueur. Pour paraphraser sa voisine de palier (impeccable Niecy Nash), les bruits et les odeurs dénoncées à plusieurs reprises aux autorités auraient dû suffire à stopper sa course macabre.

 

Monster: The Jeffrey Dahmer Story : Photo Niecy NashSelon que vous serez puissant ou misérable...

 

Sans les diaboliser de manière caricaturale, Dahmer : Monstre expose les stéréotypes des policiers et leurs conséquences tragiques, car ce refus de prendre au sérieux les alertes qui se multipliaient a contribué à la lourdeur du bilan humain. La série dévoile alors sa nature de drame social sous les oripeaux du thriller et traite ouvertement des inégalités systémiques dans sa seconde partie, un sujet hélas toujours en prise avec l'actualité.

Les victimes étant de surcroît homosexuelles, Dahmer : Monstre nous épargne logiquement le cliché complaisant de la jeune femme suppliciée au profit d'une représentation décomplexée des minorités transversales. On n'en attendait pas moins de Ryan Murphy qui a pris soin, depuis Nip/Tuck, de ménager du temps d'écran aux profils les plus hétérogènes, et dont le récent Ratched avait réhabilité la dimension queer évacuée du film de Milos Forman. Par une savoureuse ironie, c'est donc la propension de Dahmer à tirer ses proies d'un bingo des diversités ethniques et sexuelles qui permet à la série de les mettre en valeur.

Dahmer : Monstre – L'histoire de Jeffrey Dahmer est disponible sur Netflix depuis le 21 septembre 2022

 

Dahmer : affiche, Evan Peters

Résumé

Fort de son habillage soigné et de sa construction habile, Dahmer : Monstre marque des points là où la plupart des récits similaires en perdent : par la place qu'il ménage aux victimes et sa dénonciation du coût humain qu'induisent les discriminations systémiques.

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Lecteurs

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commentaires
Caleb
09/10/2022 à 08:54

6 épisodes intéressants…puis le cahier des charges de la bienpensance demagogique actuelle vient détruire la série. Cela va jusqu’à créer une fausse remise de récompenses policières caricaturale et ridicule pour la mettre en parallèle avec celle présenté de manière misérable de la voisine de pallier (qui ne l’était pas en réalité) du tueur… En résumé, la série cherche à attisé les esprits en utilisant les arcs actuels black live matter, me too, cancel culture et autres en détournant les faits. Damher était un monstre oui, mais ni raciste, ni homophobe. Un monstre sanguinaire qui s’amuse à dépecer ses victimes après les avoir droguer pour les violer et les faire entrer dans son « vortex » en tentant de les zombifier… à peu près la même chose qu’une série dépeçant les faits pour zombifier les spectateurs en les droguants avec de fausses informations maquillées et ou inventées afin d’alimenter une mouvance a l’odeur nauséabonde qui n’a que pour objectif de scinder les gens en caste, bien plus avantageux sur un plan commercial. Disney, Netflix, Amazon… même combat, même massacre de notre histoire, de notre culture… pour combien de temps encore.

patrick
30/09/2022 à 13:52

je ne regarderai pas cette serie et je resiste à la tentation car, monpsychologique va putot bien en ce moment et je ne veux pas etre perturbé en regardant ça pourtant j'adore evan peters c'est comme avec squid games je ne veux pas etre un de ces admirateurs du macabre et du morbide qui n'ont plus d'ame

beyond
28/09/2022 à 10:24

Le paradoxe de Dahmer, c'est qu'en dépit de ses actes effroyablement abjects, il n'en demeure pas moins un personnage taciturne et très ennuyeux. D'où la question de savoir si le suivre dans ses errances morbides, revêt un quelconque intérêt, si ce n'est y participer d'une façon malsaine et complaisante,

Karma
28/09/2022 à 00:41

Ironique de parler de place ménagé aux victimes, à l'écran seulement alors, parce qu'en dehors c'est déjà une des familles qui à eu la surprise de voir le craquage au tribunal d'un de leurs membres recrée à l'identique sans même avoir été consultés une seule fois et que les autres ont quand même fait remarquer que ça commençait légèrement à les gonfler de voir arriver un 500 ème docu/truc romancé sur leurs trauma sans qu'on leur demande à minima leur avis.
Bref peut être un truc correct sur la forme mais à l'évidence produit avec des méthodes aussi nauséabondes que le personnage lui même. On s'en passera.

Kelso
27/09/2022 à 01:15

Plutôt pas mal la série, malgré les 2 derniers épisodes interminables car plus aucune tension et plus grand chose à raconter à par les retombées sur les familles, ils auraient pu condenser ça en un seul épisode pour garder un certain rythme. A voir mais pas inoubliable, le documentaire dispo le mois prochain sera certainement intéressant pour voir les différences.

Justice pig
26/09/2022 à 22:43

Evan Peters au top, mais une série trop longue qui ne sait pas suivre son fil conducteur... Soit faire une série sur les victimes et l'aspect social, le racisme et l'homophobie, soit faire une série sur le tueur et sa famille... Plutôt que du moitié-moitié jamais vraiment assumée, qui nous montre un monstre dans le premier épisode, pour ensuite essayer de l'humaniser en nous montrant son enfance et son adolescence, pour finalement découvrir un mec finalement assez brouillon, pas très dégourdi, sans personnalité et juste impulsif (qui devient un petit rigolo en prison ?), loin des portraits aussi fascinants que dérangeants de ceux vus dans Mindhunter.

Au final, ce Dahmer semble tout faire au pif, la justification sociale et raciale derrière est un problème intrinsèque à la police et au système (comme on le sait bien depuis le temps) mais n'est jamais justifiée du point de vue du tueur (qui finalement n'apparaît ni raciste, et encore moins homophobe).
Bref, ça me semble un peu putassier tout ça, "regardez le tueur méchant qui tue, c'est cracra, beurk, quand il était petit il ramassait des animaux morts, puis regardez les pauvres victimes mortes et les familles dévastées, c'est trop triste, sans oublier les méchants policiers !"...
Loin de la subtilité de Mindhunter, qui abordait d'ailleurs l'aspect racial dans sa saison 2.


Ah, et n'oublions pas l'épisode 9 qui met en scène les retombés, la médiatisation de l'histoire du tueur, sa monétisation, le développement de sa "fanbase" (d'ailleurs, il semble fasciné par sa réputation en prison, mais s'en foutait totalement avant...) + la mise en scène douteuse de Gacy du début de l'épisode 10 (pourquoi ?)... La série (et la plateforme) contribuant à faire exactement ce qu'elle semble vouloir dénoncer...D'autant si on en croit les articles sur les familles de victimes en colère en ce moment même.

Puis les bondieuseries dans le final... Pitié...

LeConcombreMoisi
26/09/2022 à 19:45

Moi devant cette série : zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz

Mr Biohazard
26/09/2022 à 19:17

Evan Peters est bluffant dans se rôle, franchement impressionnant. L'atmosphère des premiers épisodes est très lourde et malsaine et l'image que portait Dahmer était très étrange au fil du temps. Un personnage inoffensif au premier abord jusqu'à ses pires déviances et un dénouement final qui fait réfléchir.

Cinéma to Logue
26/09/2022 à 16:48

Trop lent et trop long... Aucun suspense.... A éviter

Thekiller
26/09/2022 à 16:41

Une série Netflix. Très moche et mal écrit.

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