Tokyo Vice : critique pas assez noire sur Canal+

Arnold Petit | 15 septembre 2022 - MAJ : 16/09/2022 04:09
Arnold Petit | 15 septembre 2022 - MAJ : 16/09/2022 04:09

Inspirée du livre autobiographique de Jake Adelstein, Tokyo Vice attirait l'attention du fait qu'elle marquait le retour de Michael Mann derrière la caméra, sept ans après l'échec (malheureux) de son dernier long-métrage, Hacker. La série de HBO Max créée par J.T. Rogers (Oslo) et produite par le réalisateur de Heat et Collateral est enfin arrivée en France, sur Canal+. Belle réussite ou nouvelle déception ? Les deux, étonnamment.

THE INSIDER

Pas étonnant que Michael Mann soit impliqué dans l'adaptation de Tokyo Vice en tant que producteur exécutif et réalisateur du premier épisode. Le roman de Jake Adelstein, dans lequel le journaliste américain retraçait son entrée dans un des plus grands quotidiens nippons et son enquête sur la mafia japonaise, possédait, en filigrane, plusieurs thèmes ayant défini l'oeuvre du cinéaste : une mégalopole qui ne se révèle qu'entre les ombres et la lumière artificielle des néons, un héros obsessionnel qui existe en marge des autres et un récit dans le monde journalistique, policier et criminel où les personnages découvrent qu'ils ne sont que les rouages d'un système qui les dépasse.

En d'autres termes, la série était faite pour le style si distinctif de Mann. Et ce premier épisode le prouve parfaitement. Tandis que le scénario se débarrasse de tout l'aspect foisonnant et explicatif du livre pour n'en garder que l'essentiel, le réalisateur s'approprie totalement la ville et retranscrit tout l'esprit et la richesse de l'oeuvre originale à travers sa mise en scène, toujours aussi maîtrisée et classieuse.

 

Tokyo Vice : photoEast Side Story

 

Par son travail du cadre, du montage, de la musique ou une simple mise au point sur un visage, Michael Mann sublime l'atmosphère tendue et hypnotique du récit avec un minimalisme déconcertant et n'hésite pas à emprunter à CollateralRévélations ou Le Sixième Sens lorsqu'il explore le Tokyo invisible ou la psyché de Jake (Ansel Elgort). Caméra à l'épaule, le cinéaste suit le journaliste en passant des bureaux chaotiques du Meicho Shimbun aux clubs à hôtesses luxueux et réussit à capturer, seulement en quelques plans, le ressenti de ses personnages et le flux perpétuel (humain, informationnel, commercial ou criminel) dans lequel ils sont pris.

Le choc culturel, l'isolement de Jake, le caractère ambivalent de l'inspecteur Katagiri (Ken Watanabe), les codes qui régissent la société japonaise ou la hiérarchie au sein des yakuzas, de la police ou du journal... En moins d'une heure, le réalisateur introduit tous les éléments et les enjeux de la série d'une main de maître, tout en dévoilant les différentes facettes de la ville, des personnages et jusqu'où ils sont prêts à aller pour faire leur travail ou donner un sens à leur vie (l'un rejoignant souvent l'autre). Mais malheureusement, Michael Mann ne réalise que le premier épisode de Tokyo Vice, et ça se voit.

 

Tokyo Vice : photoEntre les ombres

 

LOST IN TRANSLATION

Dès le deuxième épisode, Tokyo Vice devient une série radicalement différente. La nervosité et l'élégance qu'avait apportées Michael Mann disparaissent subitement pour laisser place à une réalisation tristement plus générique et convenue. La direction artistique, la photographie ou le découpage restent quand même soignés, et la réalisatrice japonaise Hikari apporte un style plus contemplatif à l'image, mais la mise en scène et l'esthétique des autres épisodes contrastent tellement avec celles de Mann que la déception est inévitable.

D'autant que, à partir du deuxième épisode, la série va même à l'encontre de la démarche du livre ou de ce qu'elle proposait dans le premier épisode : plutôt que de conserver le point de vue étranger et singulier de Jake sur la culture nipponne, la vie à Tokyo et la mafia japonaise, le récit se divise en différents arcs sur les autres personnages croisés par le journaliste, comme sa supérieure, Emi (Rinko Kikuchi), l'inspecteur Katagiri, l'hôtesse de club Samantha (Rachel Keller) ou Sato (Shô Kasamatsu), un jeune yakuza mélancolique.

 

Tokyo Vice : photoLavé, plié, repassé

 

En multipliant les perspectives, la narration voulait peut-être offrir un portrait plus ample et plus complet de Tokyo et sa face cachée. Cependant, la plupart des sous-intrigues n'ont que peu d'intérêt ou viennent s'insérer sans trop de cohérence ou de pertinence (la famille de Jake ou le passé de Samantha, entre autres). Par conséquent, le récit perd son élan, son originalité et la série finit par ressembler à n'importe quelle autre production du genre, avec son lot de rebondissements, de romances, de trahisons et d'anecdotes plus ou moins oubliables.

Tokyo Vice en oublie même son sujet et la corruption, l'exploration du monde des yakuzas, l'évolution et le déclin de mafia japonaise, la réflexion sur le métier de journaliste ou les rapports entre la presse, la police et le crime organisé se retrouvent bâclés ou laissés de côté. Une frustration et une sensation d'inachevé qui se confirment jusqu'au bout, puisque la fin ne se donne même pas la peine de faire le lien avec le prologue du premier épisode. Comme si la série avait été redécoupée et remontée à la va-vite pour inciter à regarder la deuxième saison, déjà annoncée.

 

Tokyo Vice : photoDeux yakuzas à Tokyo

 

PUBLIC ENEMIES

Pour autant, malgré son manque de parti-pris ou de structure narrative, Tokyo Vice parvient à tenir en haleine pour son récit, mais surtout pour ses personnages, de plus en plus attachants. Le scénario s'égare peut-être, mais il sait néanmoins donner vie à la galerie d'âmes en peine qui parcourent Tokyo et ses rues labyrinthiques.

Il suffit parfois d'un seul regard, d'un silence ou d'une conversation autour des Backstreets Boys pendant un trajet voiture pour que ces personnages existent et se rapprochent, brouillant encore un peu plus la frontière entre les différents mondes auxquels ils appartiennent.

 

Tokyo Vice : photoLa voie honorable

 

Et si Jake, qui reste au centre du récit, n'est traité que comme un journaliste américain avec une belle gueule et pas mal de chance, les autres protagonistes, eux, ont finalement plus à raconter que ce qu'ils laissent présager : Emi, la patronne de Jake, qui tente elle aussi de bousculer les règles avec son article sur les féminicides et le sexisme institutionnel au Japon ; Samantha, qui s'accroche à son rêve d'ouvrir son propre club, ou Sato, qui est de moins en moins sûr de vouloir être un yakuza. Tous évoluent et dévoilent une étonnante profondeur, souvent dans des séquences anodines, et pourtant touchantes.

Évidemment, une grande partie de cette réussite découle aussi du casting et du choix des acteurs et des actrices. Alors que le visage chérubin d'Ansel Elgort colle parfaitement à la naïveté et l'arrogance du personnage principal, Rachel Keller prouve qu'elle n'a rien perdu du talent et du magnétisme qu'elle avait démontrés dans Fargo ou Legion. Ken Watanabe, avec son visage usé, donne toute sa gravité au personnage de Katagiri et Shô Kasamatsu crève l'écran de tout son charisme, y compris dans les scènes qu'ils partagent avec l'acteur de Baby Driver et West Side Story.

 

Tokyo Vice : photoJeux dangereux

 

Au terme de cette première saison, Tokyo Vice est trop inégale au niveau de son écriture et ne sait pas si elle veut s'intéresser uniquement au parcours de Jake ou proposer une fresque plus ample autour de ses différents personnages. Jamais la mise en scène ne retrouve la virtuosité et l'atmosphère du premier épisode, mais le scénario possède suffisamment de tension pour captiver jusqu'au bout. Désormais, il serait temps pour la série de se plonger dans le monde souterrain et fascinant qu'elle a présenté plutôt que de simplement l'observer.

Deux épisodes de Tokyo Vice sont diffusés chaque jeudi soir sur Canal+ depuis le 15 septembre 2022.

 

Tokyo Vice : Affiche française

Résumé

Après le premier épisode exceptionnel réalisé par Michael Mann, Tokyo Vice perd sa tension, sa mise en scène virtuose et son point de vue resserré pour un style convenu et une écriture sporadique, mais reste captivante pour ses personnages, son excellent casting et ce qu'elle pourrait raconter sur l’envers de la société nippone.

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Lecteurs

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commentaires
Lala Lisa
26/12/2022 à 00:10

J'ai été déçu il n y a pas beaucoup d'action.C'est long et mou.
Déçu de voir le grand Ken dans ce bourbier le talent de ce grand acteur n'est la absolument pas exploiter quel gachis.L'acteur qui Jake me tape un peu sur le systée il faut trop collègien et puis enlever lui son sac a dos...Il faut trop jeune ado pas crédible en tout cas pour moi.


Sinon oui les histoires d'amour entre certains personnages sont trop longue à l'écran trop molle bientôt on va nous montrer peut êtred ans la deuxième saison le parrain l'oyaboun en vacances au ski en famille ...LOL .Cela me rappele un film avec Jet Li et Mark Dacascos a eux seul ils faisaient l'intrigue le film ..quand même et bien non pour le politiquement correct on a affubler Jet Li d'un rappeur US et d'autres personnages qui n'ont rien apporter au film ni à l'intrigue. Un rappeur pour aider Jet Li on se fout de qui sérieusement bref le film a perdu en saveur et en crédibilité.Avec Tokyo vice pour moi c'est pareil .Si bien que j'ai vite décrocher ..

La nana mormone c'est vrai ou juste rajouter pour l'intrigue ?? Les yakuza ne sont bien méchant bientôt en thérapie comme Tony Soprano ???

Yakuza girl
25/12/2022 à 23:57

Personnellement j'ai été déçu.Le premier épisode oui pourquoi pas mais au bout du 2 eme puisx3eme sans interet .De plus les actrices occidentales au secours au secours très vite je ne pouvez vraiment plus. Elle jouent mal sont enervante leur rôle leur personnage n'apporte absolument rien.Celle qui joue Polina j'en peux plus ... virer pour la deuxième saison please ..Samantha a la rigeur comme second rôle féminin avec la journaliste qui bosse avec Jake mais sa copine non e(t non ça n'apporte rien a la série.

La tête de l 'actrice désoler mais je peux pas.Les personnages féminins sans plus les dialogues sont long et nul a ch...
On est loin des films du grand Kitano.Personnages féminins mais place à l'intrigue film de ganster on voit du gangster ça tue ça flingue des films de yakuza .Mais juste une série sur le Japon et l'action n'y est pas présente on parle des histoires d'amour des hommes que yakuza bof bof je suis déçu .

Prodi
29/09/2022 à 16:51

Je vous trouve durs sur le côté "mollasson" de cette série.
Ce n'est pas une série de Yakuzas "pure" (qui, de toutes façons ne représente pas la mafia la plus sanguinaire du monde bien loin des triades, cartels, Organizatsiya et autres ndranghetta) mais bien plus un témoignage sur l'envers du décor de la société japonaise et de ses nombreux travers (la place de la femme, la sexualité "exotique"/les quartiers chauds, la collusion entre la presse/la police/la mafia, la violence dissimulée, la jeunesse désoeuvrée, la drogue, le mépris des gaijin).
Je trouve les acteurs convaincants dans leurs fragilités cachées (le jeune yakuza sentimental, le journaliste déraciné et idéaliste, la chef de rédaction autoritaire mais maltraitée par son frère, Tozawa l'ambitieux Yakuza humilié et jaloux etc.) malgré quelques exagérations et grosses ficelles.
Scénaristiquement, les moments d'égarement stupide de chacun(e) dans les deux derniers épisodes me laissent perplexes même si, quelque part cela peut coller avec une forme de naïveté qui se retrouve chez certains japonais.
Je regrette tout de même l'absence d'une "fin provisoire" lors de l'épisode 8.

Joey Joe Joe Junior Shabadoo
16/09/2022 à 18:09

Totalement d'accord avec cet article et la plupart des commentaires : 1er épisode excellent. Il installe une ambiance visuelle et sonore, raconte par l'image, caractérise les personnages...Et puis dès le deuxième, le ton global change et ça devient une série lambda ponctuée de quelques fulgurances (la discussion sur les backstreet boys ^^)

Et la fin de la série, non seulement ils ne bouclent pas la boucle mais en plus les personnages et les situations partent dans tous les sens histoire d'installer l'intrigue de la saison 2, c'est vraiment grossier :(

Euh
16/09/2022 à 17:50

Parfait si vous voulez gagner du temps. Gardez-vous une heure pour admirer le premier épisode, et oubliez le reste, quasiment sans intérêt hélas.

HKey
16/09/2022 à 15:39

Rachel Keller est ultra meow
comme toujours
& je rejoins tt le monde pour dire que le premier épisode est bien au dessus du reste
Oppressant & noisy
ca grouille

Dwigt
16/09/2022 à 13:43

Ah, je me suis planté, une saison 2 a été annoncée en juin (juste avant le bain de sang chez WarnerMedia Discovery). Mais il sera difficile de se passionner pour ça.

Et j'en profite pour préciser que, même si Michael Mann est au générique de toute la saison comme producteur délégué (ou exécutif), ça ne veut pas dire du tout qu'il y ait contribué au-delà du pilote. C'est très courant que le réalisateur d'un pilote ou de deux ou trois épisodes du début d'une série ait droit à ce titre, parce qu'il a contribué à définir l'esthétique et le ton du programme, et donc à son succès. Ça lui vaut donc des parts et des royalties, au travers du titre de producteur. Bryan Singer était producteur de Dr House pendant huit saisons, et il n'avait réalisé que deux épisodes en tout (le pilote et le 3), par exemple.
Mann avait d'ailleurs été vraiment showrunner d'une série télé relativement récente, Luck, sur HBO. Par rapport à Tokyo Vice, sa patte se voyait beaucoup plus, il y avait pas mal de ses collaborateurs habituels (acteurs ou techniciens) au générique. Et il y a eu des conflits à répétition avec David Milch, le scénariste principal, donc on sait que Mann a été impliqué tout au long de la production. Sur Tokyo Vice, ses thèmes de prédilection (un ou deux personnages masculins qui s'investissent à fond dans un travail qui est aussi une passion pour eux) sont quand même assez vite dilués, donc c'est clair qu'il n'a pas contribué au-delà de ce pilote.

Loozap
16/09/2022 à 13:28

Très bon filme parlant d'une histoire captivante

Morcar
16/09/2022 à 09:59

C'est devenu habituel avec les séries : on confie le premier ou les quelques premiers épisodes à un grand nom, puis la suite est mise en scène par des réalisateurs lambda. Et parfois ça se sent beaucoup trop ! Je redoutais ça pour Les anneaux de pouvoir, mais pour finir le 3è épisode était finalement bon aussi (en dehors de la chevauchée sur la plage...). On verra pour la suite.

Dwigt
16/09/2022 à 01:40

Le premier quart d'heure du pilote est phénoménal. La suite du même épisode prolonge cette ambiance, sans atteindre ces sommets.
Dès le deuxième épisode, la série s'engage dans un traintrain parfois un peu poussif, et on voit bien que Michael Mann n'est plus impliqué sur le plan créatif. Cette ouverture du pilote, ce flashforward dans quelques années, est un des rares éléments qui rend au fond le personnage principal intéressant, car on sait qu'il a du potentiel. Mais il n'est sinon pas spécialement sympathique dans la série proprement dite (et le vrai "Jake" semble beaucoup se faire mousser dans son bouquin, se donnant le beau rôle là où il n'a très certainement été que témoin).

Mais le pompon, c'est le final de la saison (et probablement série, vu la situation actuelle chez HBO Max). Tous les personnages se comportent soudain de façon idiote et font des erreurs grossières, de débutant. Et uniquement pour construire un faux suspense histoire de tenter de mettre en appétit pour la suite.

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