L'Homme le plus détesté d'Internet : critique d'une grosse enflure sur Netflix

Lino Cassinat | 1 août 2022 - MAJ : 04/08/2022 20:02
Lino Cassinat | 1 août 2022 - MAJ : 04/08/2022 20:02

Dans la lignée de ses succès Au Royaume des fauves, Don't F**k With Cats : Un tueur trop viral ou L'Arnaqueur de Tinder, Netflix nous présente désormais L'Homme le plus détesté d'Internet. Non ce n'est pas Martin Shkreli : son nom est Hunter Moore. Il se nomme lui-même le roi du revenge porn, il a humilié publiquement des centaines (des milliers ?) de personnes pour le plaisir, et le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est une sacrée ordure, peut-être même le plus gros déchet des dix dernières années. Un sujet extraordinaire... mais dont le réalisateur Rob Miller ne tire un portrait que trop ordinaire.

"RUINING LIVES IS JUST TOO MUCH FUN"

Tout Hunter Moore est contenu dans cette phrase, qu'il a lui-même prononcée en réponse à la question "pourquoi n'arrêtez-vous pas vos activités si vous en avez honte ?". Ruiner des vies, c'est juste trop marrant. C'est même un mode de vie et un modèle économique pour Hunter Moore, créateur du site IsAnyoneUp. Un site sur lequel les utilisateurs sont invités à soumettre des photos humiliantes d'eux-mêmes ou de tiers, pour les soumettre à une section commentaire déchaînée. Et c'est légal : tant que les personnes prises en photo sont majeures, et tant que les photos ont été volontairement données au site par ses utilisateurs, la plate-forme ne fait rien de répréhensible, n'est pas responsable de ce qui est publié.

D'ailleurs, Hunter Moore en est persuadé lui-même, il ne fait rien de mal, ce sont les gens qui lui soumettent des contenus, lui ne fait que publier. Et inviter ses followers à harceler et détruire la vie des gens figurant sur les photos qu'il publie. Photos qu'il prend bien soin de compléter en ajoutant des liens vers les réseaux sociaux directs des personnes concernées pour les frapper le plus profondément possible, mais bon. C'est pour se marrer jusqu'au bout quoi, et puis, si cela intéresse et qu'il y a moyen de se faire de l'argent sur la perversité des gens, pourquoi ne pas en profiter. Ce n'est pas de la faute d'Hunter Moore si les gens sont attirés par l'obscène.

 

L'Homme le plus détesté d'Internet : photoQu'est-ce qu'on aimerait que cette main reste collée à tout jamais

 

L'obscène, c'est littéralement ce qui ne devrait pas être mis sur scène. "Ob" en latin renvoie à l'extérieur, aux coulisses, ce qui est caché derrière le rideau. IsAnyoneUp, c'est le rideau déchiré, la décharge publique – là encore, littéralement –, l'aboutissement logique de Facebook si Mark Zuckerberg avait mené à son terme son site de notation du physique des étudiantes de Harvard. Un torrent de nudes, la plupart de femmes mais aussi d'hommes, mais aussi de pratiques obscènes proches des sévices. Sur un défi, on y voit par exemple quelqu'un se brosser les dents avec sa pisse et sa merde. Et tout le monde y passe, surtout les ex.

Même les grosses, même les vieilles, même des handicapées en fauteuil roulant, même les pratiques sexuelles extrêmes jusqu'à la zoophilie. Seule constante : l'absence quasi-explicite de consentement des personnes affichées dans la très large majorité des cas, qui sont d'ailleurs souvent en réalité victime de piratage. Voire n'ont même jamais envoyé de photo dénudée, comme Kayla, fil rouge du documentaire qui n'avait pris sa photo que pour elle-même, et ne l'avait jamais partagée. Et quand bien même elle l'aurait partagée que cela ne changerait rien, mais prouve que ce qui anime IsAnyoneUp est une pure logique d'anéantissement par l'acharnement. Mais pourquoi ? Une question qui provoque un vertige psychiatrique.

 

L'Homme le plus détesté d'Internet : photoButthole Girl, "célébrité" du site

 

HUNTERxxxHUNTER

Il ne faut pas plus de cinq minutes d'un épisode pour comprendre pourquoi Netflix s'est intéressé à cette histoire. Car Hunter Moore a une particularité : il ne se cache pas, au contraire. Ce n'est même pas qu'il assume : il s'en vante et s'en amuse. C'est un personnage tout à fait public qui passe à la télé. Tout le monde sur Twitter connaît le fondateur de IsAnyoneUp, et il génère autour de lui une sorte de culte par son humour salace et ses provocations dégoûtantes. Et plus il est extrême, plus son phénomène grossit, plus son ego grossit, plus il jouit du mal qu'il fait. En un mot, puisqu'il en est la définition même : un sociopathe. Un sujet d'étude fascinant... mais Netflix passe à côté.

Un blâme difficile à mettre totalement sur le dos du géant du streaming, tant il est vrai que Hunter Moore n'a pas souhaité participer au documentaire. Ce qui est à la fois compréhensible puisque l'oeuvre est à charge contre lui (fort justement, faut-il le préciser), et en même temps surprenant de la part de quelqu'un qui veut la lumière, qui est allé sur CNN expliquer en rigolant qu'il envoie des corps nus en pâture à sa meute, devant deux de ses victimes en chair et en os avec lui sur le plateau. Difficile de creuser une matière qui ne veut pas se rendre disponible.

 

L'Homme le plus détesté d'Internet : photoHunter Moore ou le je-m'en-foutisme incarné

 

On comprend également que Netflix veuille mettre en avant les victimes ainsi que leurs récits accablants. Pour autant, le résultat à l'écran a quelque chose de décevant, ressemble à une grosse occasion manquée à cause de cet angle mort. Car, pas un instant, le documentaire n'interroge les conditions, le contexte (légal, moral, sociétal, mot en -al qui n'est pas handball) qui a permis à cette pathogénie du mal de non seulement de s'épanouir, mais en plus de proliférer, contaminer et fédérer une communauté.

Un manque cruel alors même que Hunter Moore est un pur produit de la génération MySpace. Sa vie, son oeuvre : les réseaux sociaux. Mais Netflix n'interrogera jamais cette nouvelle donnée des organisations humaines, dont nous n'avons pourtant pas fini de mesurer l'impact.

 

L'Homme le plus détesté d'Internet : photoCharlotte Laws seule contre le tyran d'Internet

 

ISTHISONEDOWN ?

Hunter Moore est présenté comme un épiphénomène, et au-delà du manque de réflexion que cela occasionne, cette démarche à d'autres répercussions plus en surface. Formellement, L'Homme le plus détesté d'Internet n'est rien de plus qu'un déroulé chronologique extrêmement factuel des événements. C'est un banal enchaînement d'entretiens avec quelques reconstitutions somme toute assez basiques et même pas spécialement remarquables. Nous sommes finalement plus proches d'un très gros reportage de luxe de Christophe Hondelatte, et encore, le travail de ce dernier amène régulièrement plus de perspectives que ce que fait ici Netflix, qui se contente de servir la soupe sans se fouler.

Un gros reportage en termes de moyens, mais aussi en termes de durée, puisque L'Homme le plus détesté d'Internet dure trois heures en tout et pour tout, soit au minimum trente minutes de trop. Le format docu-série a d'ailleurs de quoi laisser perplexe tant l'ensemble pourrait très bien tenir en un film, et semble artificiellement étiré dans un dernier épisode redondant, peinant à relancer la machine. C'est aussi le problème de la démarche trop factuelle de L'Homme le plus détesté d'Internet : restant trop en surface, l'oeuvre s'épuise trop vite.

 

L'Homme le plus détesté d'Internet : photoDe l'autre côté de l'écran, des vies brisées et des personnes au bord du suicide

 

Reste que, même à la périphérie de son sujet, tout ce déchaînement de violence est si incompréhensible qu'on ne peut s'empêcher de diriger son esprit vers lui, comme un tournesol vers un soleil. Ou, peut-être  comme un soleil à la dérive en périphérie d'un trou noir. C'est le problème de ces sombres objets sidéraux et sidérants : on ne sait trop s'ils attirent par leur mystère ou s'ils aspirent par leur néant. On aimerait saisir ce phénomène qui se tient là, à la lisière de notre compréhension. Lever le rideau sur celui qui a arraché le voile pudique de tant de gens innocents, pour enfin avoir la clé.

Difficile de comprendre, d'admettre même qu'il n'y a pourtant rien à comprendre. Et qu'Hunter Moore n'est pas un trou noir comme peuvent l'être les serial killer. Juste un énorme trou de balle.

La série documentaire L'Homme le plus détesté d'Internet est disponible sur Netflix depuis le 27 juillet 2022

 

L'Homme le plus détesté d'Internet : photo

Résumé

Trop long et en pilote automatique, L'Homme le plus détesté d'Internet passe paisiblement à côté de la plaque, la faute a une formule Netflix trop rodée. Le sujet est cependant si fort qu'on ne peut s'empêcher d'être intrigué de bout en bout, malgré ce traitement consensuel et mollement efficace.

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commentaires
Geoffrey Crété - Rédaction
01/08/2022 à 11:48

@KibuK

On entend votre point de vue, mais nous, on fait notre job : ici, donner notre point de vue et justement contextualiser la chose, en essayant de prendre du recul pour "donner des armes" au public qui le consomme. Ce film cartonnait avant qu'on écrive dessus (Netflix n'a jamais besoin de nous pour que ce genre de programme excite...), on a donc réagi à son succès, en se disant que c'était aussi notre rôle d'en parler, pour dire tout ça.

KibuK
01/08/2022 à 11:44

@Ecran Large : Ceci n'est pas une charge contre vous... mais je tiens à dire qu'en parlant de ce programme, selon moi, vous faites indirectement la promotion de ce type : vous attisez forcément la curiosité de certaines personnes qui, à défaut de regarder le programme, iront voir sur les réseaux numériques qui est ce type detestable, ce qui génèrera des vues pour lui et d'autres qui parlent de lui. Je rêve d'un monde à peu près sain où ce genre de personnage ne susciterait que de l'indifférence et où un tel programme serait boycotté par les abonnés Netflix. Cela enverrait un message clair aux créateurs de contenus pour qu'ils se concentrent sur des sujets à valeur ajoutée, même provocateurs ou controversés. Ca existe. Il y a des contenus dont medias ne parlent pas pour diverses raisons donc c'est possible. Il n'y a aucune valeur ajoutée à "s'interesser" ou à "analyse" un tel personnage. Ceux qui en parlent utilisent généralement le pretexte de dénoncer pour faire des vues en essayant de faire oublier qu'ils particiepent à la pervesité du système.

Kyle Reese
31/07/2022 à 15:10

@La Classe Américaine

Je ne m'élève pas vraiment, je m’énerve juste inutilement et exprime ça ici futilement.
Et après ... je me sens mieux ! ^^

Mais tu as surement raison, le doc aurait dû se consacrer à Charlotte Laws.
Un bon exemple de quelqu'un qui s'est élevé contre et a fait quelque chose de bien pour tout le monde.

Dans le genre ordure, il y a Martin Shkreli, l'homme le plus détesté du monde connu pour avoir racheté des brevets de médicaments de maladie orpheline et d'avoir multiplié le prix de manière exorbitante pour s'enrichir. Il est maintenant banni a vie du secteur pharmaceutique.

Lt
31/07/2022 à 08:50

Ce n'est pas du tout l'homme le plus détestable de mon point de vue.

La Classe Américaine
31/07/2022 à 08:41

Faites tres attention, ca dénonce grave : Kyle Reese prend des risques énormes : il s'élève tout vent debout contre le racisme, contre la guerre, contre les méchants, contre Trump, contre les fachos, contre les escrocs, contre les machos et tutti quanti. J'aimerai pas être a cote de lui quand il s'énerve comme ca...
Bref.
Comme T., je n'avais jamais entendu parlé de charmant jeune homme mais surtout je ne vois pas trop l'intérêt de lui consacrer un documentaire (cette affaire date d'il y a plus de 10 ans, lui et son site ont justement fini dans l'oubli) c'est surtout a Charlotte Laws, mere d'une des victimes, qu'il aurait fallu s'intéresser car c'est elle qui l'a fait tomber.
Tiens, ca va faire plaisir a Kyle Reese, ca. Qu'est-ce qu'il m'arrive ?

Sébastien
30/07/2022 à 11:51

Heureusement qu'il y a suffisamment de tarés pour fournir des sujets à Netflix...
Pathétique tout simplement.

Kyle Reese
30/07/2022 à 10:26

@l’indien Zarbi

Sûrement l’effet de la chaleur ;)
Mais il est vrai que ce genre de profil je peux pas. Internet est à la base un outil fabuleux, voir comment il est utilisé, détourné par certains me désolé. Et dire que toutes ces dérives sont à la porté des plus jeunes. L’arnaque, le harcèlement etc sont au bout des doigts de chacun. Top.

Kyle Reese
30/07/2022 à 10:20

@l’indien Zarbi

C’est sûrement la chaleur ;)
Mais c’est vrai que ce genre de profil je peux pas. Mais c’est pas grave ^^

L'indien Zarbi.
30/07/2022 à 09:54

Kyle, je ne t'avais jamais connu si énervé.
Punaise.

Kyle Reese
29/07/2022 à 23:10

Juste un gros c*nard de plus qui se fait du fric sur le dos des autres sans scrupules et qui incite les gens aux pires bassesses tout comme ces influenceurs à 2 balles, expatriés, qui font leur fortunes en arnaquant les plus naïfs avec des produits de merdes « fa-bu-leux », made in china, ou des produits financiers « ma-gi-ques  ar entre toi et moi on va pas se mentir ». Tout ça n’est pas nouveau mais avec la caisse de résonance d’internet, et les états à la ramasse ça prend des proportions inimaginables.
Magnifiques réseaux sociaux qui prolongent la bêtise humaine vers des profondeurs insondables et enrichissent du même coup ceux qui les possède.
A fuir.

Pas envie de regarder ce doc pour le coup, ça va sûrement m..énerver pour rien.
Pourtant j’ai bien aimé celui de l’arnaquer de Tinder.

Ce sera tout pour moi ce soir en mode vieux c*n ^^

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