Outer Range : critique qui revisite The Leftovers à la sauce western sur Amazon

Geoffrey Fouillet | 11 juin 2022
Geoffrey Fouillet | 11 juin 2022

Passée un peu sous les radars, la série Outer Range s'offre une saison 1 pour le moins atypique sur Amazon Prime Video. Créée par le jeune Brian Watkins et co-produite notamment par Brad Pitt, la série conjugue western et science-fiction, rappelant moins Westworld que le chef-d'oeuvre de Damon Lindelof, The Leftovers. La proposition est-elle à la hauteur ?

THERE WILL BE BLOOD

Au royaume des séries, l'hybridation est reine. Les genres se mêlent et se reconfigurent presque spontanément, encourageant la création d'univers toujours plus riches et singuliers. Outer Range s'inscrit pleinement dans cet état des lieux. Aux commandes du projet, un nouveau venu dans le paysage sériel, Brian Watkins, qui a fait ses classes en tant que dramaturge. Une formation théâtrale que l'on perçoit plus d'une fois au cours de la série et qui porte volontiers ses fruits.

Tout au long des huit épisodes que compte cette saison 1, le spectateur suit l'implosion d'une famille d'éleveurs de bétail, les Abbott, dans son ranch du Wyoming. Après la découverte par le père, Royal (Josh Brolin), d'une cavité surnaturelle sur la propriété familiale, la situation dégénère de plus belle sous la pression des Tillerson, habitant le ranch voisin et réclamant une part des terres des Abbott. Et si ce n'était pas suffisant, l'arrivée d'une étrange randonneuse, Autumn (Imogen Poots, magnétique comme à son habitude), vient alimenter la discorde entre les deux familles.

 

Outer Range : Photo Imogen PootsDonnez plus de rôles à cette actrice, elle le mérite ! 

 

Dès l'épisode pilote, la tragédie couve. Au beau milieu de la nuit, Royal se débarrasse d'un corps avant d'être aveuglé par le faisceau d'une lampe torche. Ces toutes premières minutes donnent le ton, il y aura du sang et aussi des zones d'ombre, des angles morts auxquels les personnages chercheront à avoir accès. L'Inconnu n'est pas seulement incarné par ce trou, surgi dans la plaine, mais par cette résistance irrationnelle et mutuelle des Abbott à vouloir se laisser percer à jour.

"C'est déjà assez dur de se connaître, alors les autres", lance la mère, Cecilia (Lili Taylor), à son fils aîné, Perry. Au fond, chacun cherche l'harmonie en soi avant d'essayer de la trouver auprès de ses proches, d'où un sentiment de solitude palpable menaçant peu à peu la cohésion familiale. C'est là où brille le talent d'écriture de Brian Watkins, qui orchestre des règlements de compte paroxystiques en respectant la sacro-sainte unité de temps, d'action et de lieu.

 

Outer Range : Photo Josh Brolin, Lili Taylor, Tom PelphreyComme un début de tension dans l'air

 

ANIMAL KINGDOM

Au-delà des terres, il y a ceux qui la peuplent et président aux hommes. Loin d'être de pures fonctions décoratives dans le récit, les animaux jouent pour les personnages le rôle de guides spirituels, de "totems". Même morts, ils continuent d'être vénérés. C'est le cas par exemple du père de la famille Tillerson (Will Patton), qui s'en remet plusieurs fois à la sagesse que lui inspire son trophée de chasse, une tête de bison accrochée dans sa chambre. De même pour ses fils, Luke et Billy (Noah Reid, excellent en benjamin de la fratrie, amateur de musiques pop), dont les interactions les plus marquantes ont lieu devant un mur tapissé de chouettes empaillées.

C'est à l'espèce animale qu'incombe la responsabilité de porter la mémoire du monde. Mémoire que les personnages ont enfouie de leur propre chef et redoutent de déterrer. Seule Autumn, cette randonneuse autorisée à camper sur la propriété des Abbott, accepte de vivre parmi les bêtes sauvages et de les "écouter". Dans l'une des scènes les plus fascinantes de la série, elle se retrouve face à un ours qui lui murmure : "Montre-lui". Une phrase dont la valeur prophétique achève d'abattre à cet instant précis la frontière entre l'animal et le divin.

 

Outer Range : photoLe plus gros MacGuffin de la série

 

Avoir choisi de situer l'intrigue au cœur de l'Ouest américain n'est en rien gratuit bien sûr. Outre sa filiation au genre du western, ce seul décor renvoie à l'Histoire génocidaire des États-Unis et Outer Range prend à bras-le-corps le sujet via le personnage de la shérif, Joy Hawk, d'origine amérindienne. L'audace est double : non seulement, c'est une femme qui fait régner l'ordre et la justice, mais elle appartient aussi à un groupe ethnique autrefois martyrisé par ceux qu'elle représente désormais.

Qu'elle s'appelle Hawk (soit "faucon" en français) n'est pas anodin non plus quand on sait que l'animal est associé symboliquement au zénith dans la culture amérindienne. Une lumière solaire qui finira de l'envelopper à l'issue du dernier épisode, à contrario des autres personnages qui resteront perdus dans le noir. Cette alternance jour/nuit contribue d'une part à l'esthétique "entre chien et loup" de la série et redit l'importance de ces animaux "crépusculaires", messagers évoluant d'un monde à l'autre.

 

Outer Range : Photo Tamara PodemskiQue voulez-vous, elle a vu la lumière

 

LA TENTATION DU NÉANT

Ce qui nous amène à cette fameuse cavité, l'élément surnaturel sur lequel repose tout le mystère de la série. Une autre audace d'Outer Range est d'aborder la science-fiction via une anomalie venue du sous-sol et non du ciel. Interrogé par le média américain The Playlist, Brian Watkins explique : "J'ai toujours envisagé la science-fiction dans la série comme quelque chose de terrestre et non d'extraterrestre. C'est vraiment l'histoire de personnages découvrant des secrets juste sous leurs pieds".

Plutôt que d'exploiter cette cavité en tant que pur ressort scénaristique, la série l'utilise pour sa charge métaphorique. Si les personnages, et plus particulièrement Royal, semblent attirer par ce gouffre sans fond, c'est qu'ils y reconnaissent leur vide intérieur et tentent de le combler. Et plus ils multiplient les tentatives, plus leurs inconscients se rappellent à eux, notamment à travers des flashs que la mise en scène et le montage avortent intelligemment pour mieux nous les dévoiler au moment opportun.

 

Outer Range : photoJouer avec le feu

 

Dès lors, les Abbott semblent voués à se volatiliser. Le récit commence justement sur la disparition de la femme de Perry, le fils aîné. Personne n'arrive à l'expliquer, mais tous ressentent une profonde culpabilité. C'est là où la comparaison avec The Leftovers est évidente. Et même si la série de Lindelof est en tous points supérieure, Outer Range signifie l'absence, le manque, par des astuces souvent pertinentes, comme cette photo de la disparue gardée hors-champ ou cette petite fille qui échappe régulièrement à la vigilance de sa famille.

Hélas, à force de vouloir préserver le mystère à tout prix, la série laisse en suspens la plupart des pistes qu'elle avance. En l'état, la saison 1 sert de rampe de lancement à une saison 2 que l'on espère voir confirmée rapidement. Le potentiel est grand, comme en atteste le climax du dernier épisode, qui lâche non pas les chevaux, mais les bisons pour nous offrir un morceau de bravoure aussi spectaculaire qu'énigmatique. Nous aurions donc tort de bouder notre plaisir tant l'expérience, même frustrante, demeure fascinante.

La saison 1 de Outer Range est disponible en intégralité sur Amazon Prime Video depuis le 6 mai 2022

 

Outer Range : Affiche US

Résumé

Quelque part entre le drama familial et la fable métaphysique, Outer Range tire le meilleur parti des genres qu'elle convoque, mais se complaît dans le mystère plus que de raison.

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commentaires
John Warsen
04/07/2022 à 09:06

L'astuce scénaristique du trou auto-généré comme émanation de la facétie divine, permet d'y faire entrer et d'en faire sortir n'importe quoi, comme un bon vieux "tunnel à droopys" : des bisons, des ours, des shérifs arapahoes LGBT, des soldats confédérés ayant participé par erreur à la Guerre de 30 Ans, et pourquoi pas des réfugiés ukrainiens oubliés dans les souterrains de Marioupol ? Avec une trouvaille comme ça, ils peuvent faire 25 saisons de plus sans problème, et sans aucun besoin de se justifier ! ... et en plus, les spectateurs qui viendraient éventuellement se plaindre, bing, un bourre-pif dans les coulisses du rodéo, on les roule dans une couverture, et hop, dans le trou !

Deny
13/06/2022 à 13:20

Une série lamentable. Perdue de la vie à regarder cette saison ennuyeuse hyper surestimé.

Kyle Reese
12/06/2022 à 10:53

@Flash

En effet, mes neurones ont vrillé, c'est l'effet shining ;)

Flash
11/06/2022 à 22:16

Bien vu alulu, je crois que l’ami Kyle c’est emmêlé sur les titres !

Dredd*
11/06/2022 à 22:15

-In this proud land we grew up strong-
Comment ne pas mentionner la bande son de la série qui est vraiment très bonne?

alulu
11/06/2022 à 20:57

Depuis le temps qu'il existe, tu n'as pas encore vu Open Range, comme Flash le dit c'est un super Western. À l'occasion regarde aussi Outer Range :)

Metuxla
11/06/2022 à 20:25

J'ai bien aimé cette série que j'ai commencé en dépit de rien d'autre a me mettre sous la dent et au final belle surprise, SF, questions sans réponses, réponses sans questions mais assez bien amenés avec de beaux paysages. Mention spéciale au personnage de Royal incarné par Josh Brolin qui oscille entre le mec bien te la pire enflure, rien que pour ca j'attend une saison 2

Docteur Benway
11/06/2022 à 20:20

C'était très nul cette série. Un mélange indigeste de western, de drama policier et de science-fiction, arrosé d'un peu de mythologie et de mystère. Bien emballé avec cette référence à Cronos, la série brasse en réalité du vide, ne parvenant jamais à faire cohabiter ses différents aspects. Heureusement qu'il y a Josh Brolin et Lili Taylor, des vétérans solide qui portent la série à eux seuls. Mais alors sinon, paie ton scénario creux qui fait n'importe quoi. Les réactions des personnages sont souvent incohérents et ma patience a été achevée à l'épisode 6.

Kyle Reese
11/06/2022 à 18:57

@Flash

Je vais voir. Je viens de finir Shining Girls et la conseille vivement. 4,5/5 pour moi.
Facile dans mon top 3 des séries de l'année. En même temps je n'en ai pas vu bcq ces derniers temps.

Stivostine
11/06/2022 à 17:54

Mouais sympatoche mais ca vaut pas gaslit avec un Shea Whigham énorme ou Winning Time The Rise of the Lakers Dynasty avec tout le casting énorme

zetagundam
11/06/2022 à 17:17

Série au début intrigant mais qui finit par s'effondrer dans les abimes du trou au centre de l'histoire

Flash
11/06/2022 à 15:10

@Kyle , très bon Western Open Range !

Kyle Reese
11/06/2022 à 14:03

@JR

Tient justement je suis à fond dans Shining Girl, excellente ambiance. J'attaque la fin et le mystère qui va s'éclaircir. Elisabeth Mosscon confirme encore une fois la très grande actrice qu'elle est depuis Madmen, Jamie Bel est excellent. Je conseille vivement.

Du coup je repousse un peu Open Range, j'en ai d'autres en retard ... je suis comme le lapin d'Alice, toujours en retard en ce moment. :)

alulu
11/06/2022 à 13:28

Je n'ai pas pensé un seul instant à The leftovers (très bonne série au passage) en visionnant Outer Range. Plus à la phrase bien connue de Nietzsche ou à la série Bloodline pour tout dire. Après je n'ai pas l'impression que la série joue sur le mystère à fond sans révéler derrière, contrairement à The leftovers ou l'on est beaucoup plus impliqué. Ce n'est que la première saison mais j'ai bien kiffé, j'attends pour voir ce qu'augure cette doline.

Kelso
11/06/2022 à 12:56

J'ai adoré cette première saison, content de voir enfin une critique, qui la fera connaître à ceux qui sont passé à côté. j'espère qu'ils vont annoncé la saison 2

Flash
11/06/2022 à 12:39

Assez fascinante cette série qui prend son temps pour construire son histoire, peut-être un peu trop, c’est son principal défaut.
Mais j’ai bien accroché et j’espère une deuxième saison passionnante.

JR
11/06/2022 à 12:15

Très emballé au début, la série m'a, pour mon humble part, perdu en route. Les moments de vie ne m'ont pas suffit (contrairement à the Leftovers ou Yellowstone) et le mystère est moins mystérieux que celui de Shining Girls.
J'aurais aimé aimer.

kimfist
11/06/2022 à 12:14

La série était vachement bien à suivre, et deux épisodes par semaine c'est plutôt pas mal ça évite la frustration des pauvres 45 minutes qu'on a pour l'instant avec Disney...

J'ai bien aimé l'histoire même si clairement on a aucune, mais aucune réponse... Encore pire que Lost !

Techniquement aussi c'est très travaillé les lumières, la mise en scène... Même si j'ai pas trop aimé les mouvements de caméra sur les deux premiers épisodes, sans doute que le pilote a été réalisé par un réalisateur différent du reste...

Et il y a vraiment un côté grosse série triple A très travaillé très poussé, c'est toujours très agréable surtout quand la mayonnaise prend.

Si ce n'est pas encore fait je vous conseille le visionnage de la série, vous ne devriez pas le regretter car c'est très Cali à tous les niveaux malgré quelques frustrations au niveau du mystère où il faudra encore attendre 2 ans avant d'en savoir plus je pense...

Numberz
11/06/2022 à 12:06

C'est exactement mon ressenti. J'ai beaucoup aimé, les personnages sont chouettes, mais au bout de la Saison tu te dis ok, mais ça rime a quoi ce bordel. A part le passage paint in black dans le trou, tu suis la série sans chercher à comprendre.

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