La meilleure version de moi-même : critique pas toute Blanche sur Canal+

Mathias Penguilly | 13 décembre 2021
Mathias Penguilly | 13 décembre 2021

Et si l'auto-dérision et l'humour dépréciatif avaient une influence sur la santé (et le transit intestinal) des humoristes ? C'est le propos de départ de ce faux documentaire de l'actrice Blanche Gardin, qui retrace ses adieux au stand-up et son envie de prendre un peu plus soin d'elle. Au programme : Instalives, groupe de parole féministe, chamanisme et médecines new age. Avec La meilleure version de moi-même, la comédienne réalise une mini-série Canal+ hilarante (quoiqu'un peu longuette) sur l'absurdité et le narcissisme de notre époque.

PÈTE UN COUP, T'ES TOUTE PÂLE

Nul fan de Blanche Gardin ne sera étonné : la série commence par une série de blagues scatophiles. Chaque fois qu'elle sort de scène (on reconnaîtra l'étrange robe bleue de son spectacle Bonne nuit Blanche, disponible sur Netflix), l'actrice est prise de constipation et de coliques intenses. Les conseils avisés des médecins (qui déplorent un stress chronique) ne lui suffisent plus. Elle va voir un naturopathe et son diagnostic est clair : à force de se déprécier elle-même sur scène, la comédienne s'accable de nombreux maux et ne parvient plus à suivre. Il faut que les choses changent... et elles vont changer de manière radicale.

L'actrice décide de rompre complètement avec la comédie, de démagnétiser son eau, de changer de régime alimentaire (plusieurs fois) et de faire la paix avec ses anciens détracteurs... essentiellement les jeunes féministes qu'elle offusque avec chacune de ses saillies. Le tout, bien sûr, est documenté à la fois par la caméra-épaule d'un mystérieux Boris, qui filme Blanche dans chacune de ses expériences, et bien sûr, par une série de live Instagram de plus en plus ridicule.

 

La meilleure version de moi-même : photo, Blanche GardinUne séance de chirurgie spirituelle (de charlatanisme)

 

Pour bien comprendre la série, il faut probablement avoir en tête les discours de Blanche Gardin aux Césars de 2017, puis lors des cérémonies des Molières en 2017, 2018 et 2019. En 2018, elle a d'ailleurs reçu le précieux Molière de l'humour (pour la première fois), un Molière qu'elle s'était décerné à elle-même en raillant un effort de "discrimination positive" après le vague #MeToo. La meilleure version de moi-même s'inscrit dans la lignée directe de ce discours : Blanche Gardin veut tourner la page de l'humour noir, qui a fait son succès autrefois - et comme toujours, c'est bougrement drôle. Sa volte-face atteint d'ailleurs son paroxysme quand elle balance ses deux trophées dans un feu de joie, énième doigt d'honneur à la bienséance.

Tous les thèmes qui ont fait son succès sont présents : l'humour noir et dépréciatif, l'absence de filtre quand elle parle de ses fluides corporels et bien sûr, la critique acérée d'une société qui a parfois tendance à marcher sur la tête. Entre deux blagues de constipation, elle sabre les complotistes, les féministes qui descendent les autres femmes, la victimisation de tous omniprésente et la tentation de la censure.

 

La meilleure version de moi-même : photo, Blanche Gardin, Manon KneuséBlanche est une femme déconstruite

 

"L'HUMOUR, C'EST LA SEULE CHOSE QUE TU SAIS FAIRE !" 

Et tac ! Quand Blanche annonce son retrait de la scène comique à sa famille, sa mère l'envoie dans les fleurs illico-presto. Peut-être bien que faire rire, c'est la seule chose que Blanche Gardin sache faire et c'est tant mieux. Chacune de ses apparitions comiques est brillante (on rappellera l'excellent Effacer l'historique) et cette série ne fait pas exception. À l'écriture, elle retrouve son compère Noé Debre (Parlement, Problemos) et leur coopération est évidente. La série est extrêmement bien écrite, avec juste la bonne dose de crasse et de sous-texte politique. Digne du meilleur stand-up.

 

La meilleure version de moi-même : photo, Blanche GardinMiroir, mon beau miroir

 

On sait que la comédienne n'a pas vraiment les faveurs des féministes. Après avoir lancé un bon gros tacle à Roman Polanski lors de sa première intervention aux César, elle a beaucoup tourné en dérision le mouvement #MeToo et ses dérives. En faisant mine de faire amende honorable, elle s'enfonce de plus en plus dans le politiquement incorrect et souligne l'absurdité ambiante (si on défend la libération de la femme, faut-il virer sa femme de ménage pour "la libérer" ?).

À mesure que la saison progresse, l'actrice devient complètement tarée et souscrit aux thèses de tous les charlatans à la mode. Le propos prend une autre dimension : il ne s'agit pas simplement de régler ses comptes, l'actrice part en croisade contre le nombrilisme et la bêtise.

 

La meilleure version de moi-même : photo"Vive les fêtes de famille !"

 

Blanche Gardin est la seule star à bord. Les fans hardcore seront ravis de découvrir le visage de Maïa Sandoz (sa metteuse en scène, qu'elle cite régulièrement), mais tous les autres protagonistes entrent, servent leur blague et ressortent. Tous sauf un. Un seul personnage secondaire est un peu étoffé (bien qu'il n'apparaisse presque que derrière un écran d'ordinateur) : il s'agit du comédien américain Louis C.K., légende du stand-up (aujourd'hui en disgrâce après une affaire d'exhibition sexuelle).

Dans la vie réelle, les deux humoristes sont aussi en couple ; ils se sont rencontrés après que Blanche l'a remerciée pour l'inspiration lors de son discours aux Molière. Dans la série, il interprète un amant longue distance, coincé à New York, qui voit sa compagne devenir complètement marteau et encaisse chacun de ses caprices. Blanche Gardin reste assez discrète sur sa relation avec son modèle et cette série satisfera à coup sûr les vrais nerds du stand-up.

On soulignera aussi l'intelligence du dispositif : Boris et sa caméra qui tremblote, les jeux constants avec le quatrième mur, les références constantes au narcissisme de Blanche... Le faux documentaire est un genre parfaitement adapté à son style d'humour.

 

La meilleure version de moi-même : photo, C K LouisLouis et Blanche, rois de l'incorrect

 

FAUT-IL CULTIVER NOTRE GARDIN ?

Reste que la série est certainement beaucoup trop longue pour son propre bien. Au bout de six épisodes, la série commence un peu à traîner et la caricature qui faisait le génie des premiers épisodes s'essouffle. On pense notamment aux deux épisodes sur les groupes de parole féministes, toujours très drôles, mais qui empilent une pléthore de clichés faciles. Blanche Gardin y retrouve un rôle de sorcière new age moralisatrice, un rôle qui rappelle celui qu'elle s'était écrit dans Problemos d'Eric JudorBis repetita.

 

La meilleure version de moi-même : photoDéjà-vu : le comeback de Gaïa

 

Le dernier épisode s'achève avec une cérémonie de mariage complètement improbable : après avoir décidé de se nourrir uniquement de lumière, Blanche décide de se marier à elle-même... sous les yeux de sa famille et de son compagnon. Pendant que Blanche s'en va pour singer une séance de photos de mariage, les invités se prennent la tête. Quelques minutes plus tard, on retrouve Blanche Gardin en hôpital psychiatrique. C'est peut-être là le bémol de la série : même si la scène est complètement absurde et drôle, on aurait préféré voir l'actrice remonter sur scène plutôt que dépérir complètement. La folie, est-ce une fatalité ? 

Cette scène finale, bien que déstabilisante, sert son propos : à force d'excès, d'hypocrisie et d'individualisme, on se jette tous dans une course effrénée vers la démence. Et si finalement, contre le stress et la constipation, contre le radicalisme et le repli sur soi, la seule vraie thérapie, c'était le rire ?

La meilleure version de moi-même est disponible en intégralité sur MyCanal depuis le 6 décembre

 

La meilleure version de moi-même : photo, Affiche

Résumé

Il n'y a rien de particulièrement étonnant dans ce faux-documentaire Canal+ mais la mise en scène est efficace et Blanche Gardin reste fidèle à sa marque. Une série à voir pour tous ceux tombés sous son charme lors de ses fameux discours aux Molière et aux César.

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Lecteurs

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commentaires
Schtroumpfette
20/12/2021 à 07:34

Elle est géniale. Et puis c'est un véritable poil à gratter, et c'est tant mieux. Entre parenthèses, je suis vraiment navrée que l'excellente série semi autobiographique de KC Louis ( flûte, j'ai un doute sur l'ordre du K et du C) ne soit plus disponible sur OCS. Cet homme paye un peu trop cher ses errances, qu'il a avouées, et pour lesquelles il s'est publiquement excusé. D'autres ont nié l'évidence et s'en sont bien mieux tirés. Censurer ce qu'il a déjà tourné me semble vraiment excessif. Surtout qu'il ne s'y donne jamais le beau rôle...

Jouaner
15/12/2021 à 08:16

J'ai adoré Blanche dans Working girls, là j'ai décroché rapidement à l'épisode 3. Trop de blabla, de nombrilisme et pas mon type de série, sans doute.

minapaty
14/12/2021 à 20:41

Désolée pour ce "bla bla" car je voulais simplement tester si je pouvais poster un commentaire....Pas très fin de ma part, je le reconnais !
Bon, puisque çà fonctionne, voilà mon avis : je regarde très peu la télévision et je choisis ce que je regarde. J'ai vu à plusieurs reprises Blanche GARDIN sur scène (jamais sur place mais toujours par l'intermédiaire de la TV ou d'Internet). Et j'adore son humour. Il suffit de baisser la garde et d'un seul coup, PAF elle vous envoie une 'patate'. Je suis une inconditionnelle de cette humoriste, souvent juste dans ses réflexions. C'est la raison pour laquelle j'ai regardé ce documentaire sur lequel je suis 'tombée' par hasard. Eh bien, vu que je regarde assez peu la télé, je n'ai donc pas les codes que tout bon téléspectateur assidu possède pour comprendre ...ce qui passe à la télé justement !
Donc c'est en totale novice de ce genre d'émission que j'ai regardé ce documentaire. Et je vous assure que c'est très très bien joué, à tel point que tout le long du documentaire je me suis demandé s'il s'agissait d'un vrai ou d'un faux docu (je ne connaissais pas jusque là ce genre de documentaire). Donc j'ai été scotchée tout le long des 9 épisodes en y trouvant de l'humour (noir souvent), une bonne analyse de la société des années 2020 (encore peu nombreuses mais tellement intenses qu'il y a de quoi discuter, et Blanche nous en donne la preuve). J'y ai trouvé également des sentiments, des vérités (parfois pas agréables voire atroces), de la matière à réflexion sur le fonctionnement de notre société actuelle. J'y ai aussi trouvé des aberrations, tellement grosses que je me suis souvent dit que c'était un canular.
Bon, je suis arrivée au bout du doc' et je suis allée sur internet pour vérifier que tout cela était bien...une invention. BINGO, j'avais vu juste.
Tout cela pour dire que la télévision forme votre esprit au fil du temps et selon les programmes que vous regardez. La plus grande moralité qui ressort de tout cela est que vous verrez le même documentaire avec des yeux totalement différents selon que vous êtes habitués à regarder telle ou telle émission à la TV (émissions, jeux, films et documentaires y compris).
Je ne me sens pas idiote d'avoir hésité à reconnaitre un doc'vérité ou un doc'fiction.
Je n'ai pas l'esprit formé à ce genre et je ne le regrette absolument pas : ce documentaire nous apprend qu'il faut toujours regarder la télévision avec beaucoup de recul et ne pas croire tout ce qu'on croit et qu'on entend. Peu importe le sujet que Blanche a traité, la leçon est celle-là : soyez toujours sceptiques dans les informations que vous recevez des médias car elles peuvent être très trompeuses, surtout dans la période actuelle que nous traversons. De nos jours, il faut toujours chercher la contre-vérité pour pouvoir se faire une idée, à peu près juste. Merci Blanche. Continuez à nous faire rire, c'est un besoin vital en ce moment.

minapaty
14/12/2021 à 20:13

blabla

Shag on !
14/12/2021 à 12:40

Décevant. Déprimant. Je préfère le rythme et le corrosif des spectacles.
(J'ai trouvé l'image horrible et les acteurs mauvais aussi)

Goelette
14/12/2021 à 12:06

Magnifiques seconds rôles! Louis CK ,toujours filmé en gros plan ,est prodigieux de sensibilité....Vite,venez en France faire de beaux films avec nos grands réalisateurs!

Telliac
13/12/2021 à 20:31

Oui, certes, les deux premiers épisodes sont longuets, mais ils posent parfaitement le cadre : qu'est-on en train de regarder ? Jusqu'où est on prêt à regarder l'introspection (au sens propre, si je puis dire..)
Et puis l'absurde vient, distillé avec intelligence et parcimonie, en nous laissant toujours dans l'ambiguïté : qui est le plus atroce entre le personnage monstrueux de Blanche, la société qui est le carburant de son délire, ou bien nous-mêmes, voyeurs impuissants ?
Oui, le cercle des femmes évoque beaucoup Problémos dans certains propos, mais si dans ce film tous les personnages portaient leur part de ridicule, ici c'est le personnage de Blanche qui accumule toutes les tares...
Elle ne se moque pas du féminisme, du véganisme, de l'antispécisme, mais de nos facultés à nous accoutrer de ces causes pour la seule cause de nous voir plus "belle personne" en nos miroirs. Et c'est courageux de sa part que de tenir ce miroir où elle est omniprésente, mais où chacun de nous peut se deviner...

Edualc
13/12/2021 à 17:45

Unique dans son genre et magnifique
Je l'aime !

Flash
13/12/2021 à 17:32

J’ai regardé les deux premiers épisodes, pas particulièrement accroché, a voir ce que donne la suite.
Moi aussi, j’ai bien aimé Problemos.

Kyle Reese
13/12/2021 à 15:57

@Morcar

Merci pour le conseil, j'ai zappé un moment par hasard sur No Problemos il y a peu, ça avait l'air en effet bien barré, avec ce coté étrange décalé qui la caractérise. Faudrait que je le regarde depuis le début. No problemos le titre me fait penser à son sketch sur l'utilisation de l'expression "Pas de soucis" ! C'était bon ça !

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