Servant saison 2 : critique proto-satanique sur Apple TV+

Simon Riaux | 23 mars 2021 - MAJ : 24/03/2021 09:35
Simon Riaux | 23 mars 2021 - MAJ : 24/03/2021 09:35

Adopter un enfant, recueillir une adepte du Malin, zigouiller des mômes et massacrer des chiens attire rarement la bonne étoile à qui s'y risque. La preuve, avec la deuxième saison de Servant. Qui sont vraiment les Turner, leur bébé est-il vivant et que leur veulent les psychopathes sectaires qui les épient ? Seul le réalisateur de Glass a la réponse. ATTENTION SPOILERS.

LE RETOUR DE LA MALÉDICTION

Nous avions laissé les Turner dans une situation pour le moins alambiquée, alors que leur enfant avait une nouvelle fois disparu, au moment où leur nounou était de son côté enlevée par les membres d’une secte plutôt inquiétante. Ni une ni deux, Dorothy, Sean et Julian unissent leur force pour dénouer ce sac de nœuds et essayer de voir un peu clair dans des évènements aux confins du surnaturel et du fait divers inavouable. 

Jamais désagréable à suivre, la première saison de Servant souffrait néanmoins d’un format qui paraissait aller contre ses ambitions formelles et plastiques. En effet, le sentiment de regarder un film très inutilement étiré était prégnant jusque dans les ultimes épisodes, à tel point qu’on se demandait quelle direction pourrait bien prendre une seconde saison. Car si certains faits ont été éclaircis, quelques secrets mis en lumière, le récit a distillé suffisamment d’énigmes pour nous frustrer durablement, tandis que nos héros se retrouvent finalement dans une situation trop proche de leur problématique initiale pour en renouveler les enjeux. 

 

photo, Boris McGiverLe vieil oncle qui schlingue !

 

Et manifestement, le producteur M. Night Shyamalan ainsi que le showrunner Tony Basgallop ont décidé de mettre les bouchées doubles, et de nous précipiter dans du bon vieux pétage de boulards. Oubliez tout semblant de cohérence ou de crédibilité, le scénario, cousu de twists passablement absurdes, tente de nous faire passer la pilule en surmultipliant les séquences plus énormes les unes que les autres et les actions folles. 

Cette année dans Servant, on dérouille du second rôle, on se kidnappe, on découpe les cousines, on s’empoisonne et on planque des macchabées sous les yeux de policiers plus myopes qu’une taupe un lendemain de Saint-Sylvestre. Plus rien ni personne n’a la moindre limite, et on laisse la narration progresser de manière anarchique, au rythme métronomique d’un morceau de bravoure par épisode. 

 

photo, Nell Tiger FreeLeanne va perdre le contrôle...

 

MORT MORT D'ÊTRE UN BÉBÉ

C’est à ce prix que la série parvient, parfois très efficacement, à divertir. Grâce à des chapitres courts, l’ennui a rarement le temps de s’installer, d’autant plus que Lauren Ambrose, Toby Kebbell et Nell Tiger Free, s’ils en font des caisses et cabotinent sans vergogne, prennent un plaisir contagieux à verser dans l’hystérie totale. Et ils ont de quoi faire, le script ne leur épargnant aucune bizarrerie, quitte à sombrer plus d’une fois dans le grand-guignol. 

Qu’une mère infanticide en plein déni décide de kidnapper une gouvernante, ou que son frère priapique choisisse soudain de faire la bête à deux dos avec une créature pour le moins menaçante, pendant que le "chef" de famille trouve parfaitement normal de vivre dans une maison truffée de cadavres, où la police vient systématiquement farfouiller dès que la situation devient hors de contrôle et on finira presque par trouver réaliste qu'une présentatrice de journaux télévisés craque en plein direct sans s'attirer les foudres de qui que ce soit. Les ressorts narratifs sont plus grossiers qu'un after chez Cauet, et si personne ne regarde Servant dans l'espoir de découvrir une cartographie psychologique rigoureuse des névroses psycho-sexuelles de la bourgeoisie de Philadelphie, on a souvent l'impression que la série se moque de tout, à commencer par son spectateur.

 

photo, Lauren Ambrose, Toby Kebbell, Rupert GrintJames Bond a pris un peu cher

 

En jouant systématiquement toutes les cartes à sa disposition, psychologiques, comme spirituelles ou fantastiques, arrimant en apparence son ensemble dans le surnaturel, pour le renier la scène d'après, avant de mieux souligner la nature inexplicable des évènements qui s'abattent sur notre malheureux couple (et pas mal de leurs proches). De même, les obstacles se multiplient, alors que les antagonistes ne sont plus seulement (ou plus vraiment) l'inquiétante nounou ressusciteuse d'enfants, mais un possible culte de dégénérés meurtriers. Aucune de ces pistes n'est à proprement parler inintéressante, mais le récit les aborde sans jamais les creuser.

D'où un sentiment que chaque chapitre progresse dans toutes les directions à la fois, sans prise de risque réelle. Jamais Basgallop ou Shyamalan ne font de véritables choix, maintenant un statu quo basé sur leur atmosphère, mais dont on peine à entrevoir une progression véritable ou un possible dénouement. Pour un peu, on jurerait presque que ce petit monde n'a pas la plus petite idée de ce qu'il nous raconte, et galère terriblement pour gagner du temps, incapable d'arrêter la teneur de sa mythologie. Il en va de même pour les personnages, qui vont tous beaucoup trop loin pour que nous croyions encore dans leurs liens, ou dans leurs tentatives de ne pas se désunir.

 

photo, Toby KebbellRestent quelques scènes mémorables

 

SATAN L'HABITE

Pour autant, Servant n'est jamais une oeuvre déplaisante. Tout d'abord, parce qu'elle flatte les rétines de son public. Le quasi-décor unique est utilisé au mieux de ses possibilités, et le sentiment d'évoluer dans un lieu familier, progressivement dévoré par le pourrissement, tant de ses hôtes que de sa propre matrice, est parfois saisissant.

La vaste demeure bourgeoise de notre couple est traitée comme un personnage à part entière, dont les couloirs s'étirent comme des tendons crispés, pendant que les escaliers s'enroulent à la matière d'intestins paresseux. Ce grand corps à la renverse jouit en outre d'une photographie spectrale, tirant sur les verts et les jaunes, qui traduit parfaitement la putrescence inexorable de la famille Turner.

 

photo, Nell Tiger FreeCeci est son corps. Pour le moment.

 

Derrière la caméra, Apple TV+ a réuni du beau monde, puisque Shyamalan est accompagné de Julia DucournauNimród Antal ou encore Isabella Eklöf, qui font du très beau boulot, chacun s'appropriant, discrètement, mais indiscutablement, les épisodes dont il a la charge. Grâce à une architecture pensée autour de segments d'environ trente minutes, chaque cinéaste bénéficie d'un matériau au rythme plutôt enlevé, qui lui donne juste assez de liberté pour déployer quelques idées retorses, sans pouvoir s'égarer dans une intrigue trop bavarde. 

Enfin, pour grotesque, invraisemblable et parfois stupide que soient les rebondissements, ce décor aux airs de cathédrale névrotique encourage naturellement chaque réalisateur ou réalisatrice à s'emparer de l'espace, pour le reconfigurer et en faire son terrain de jeu. Le procédé ne révolutionne ni la narration sérielle ni les codes esthétiques du fantastique, mais offrira aux amateurs quelques frissons bienvenus, et ici et là, de jolis moments de suspense, quelques pics de tension. Et puis bon, une série nous donnant à voir un Rupert Grint avoiné comme un bouc dans un champ de poivrier est nécessairement un spectacle respectable.

Les saisons 1 et 2 sont disponibles sur Apple TV+ en France

 

Affiche

Résumé

En dépit d'une générosité, d'un rythme de morceaux de bravoure sympathiques, Servant perd progressivement son centre de gravité, pour délayer toujours un peu plus une situation à laquelle on croit de moins en moins.

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Lecteurs

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commentaires
Nesse
28/03/2021 à 20:13

Ils sont tous morts, et leurs âmes errents dans le magnifique appartement.

Oïda
26/03/2021 à 20:58

Oui immense déception de la saison 2 par rapport à la première: bcp de choses sont passées à la trappe (les parallèles cuisine savoureux), des invraisemblances (le frère jette la poupée, le mari la récupère, le frère la revoit ds le salon sans s’étonner le moins du monde), des développements scénaristiques dans tous les sens qui n’aboutîssent nulle part...
Bon, je pense malgré tout à un effet Covid qui a du rendre la production particulièrement pénible d’où cette impression.. de bâclage, de vide..

Simon Riaux
24/03/2021 à 09:34

@Sacha92

Oui vous avez tout à fait raison, merci pour le signalement !

Sacha92
23/03/2021 à 20:52

Par contre, ça ne se passe pas à New-York mais à Philadelphie :)

Kyle Reese
23/03/2021 à 16:07

J'ai préféré la première saison, mais celle-ci reste bien dans la continuiété. J'aime beaucoup les interprétations des acteurs, un faible pour Léanne évidement. L'"oncle" est excellent, avec des scènes rocambolesques voir burlesques qui donnent un ton très particulier à la série, un ton assez unique en fait. La photo est toujours aussi magnifique ainsi que tout l'aspect technique, c'est fluide on ne se rend pas compte de la mise en scène. Le format d'environ 30 minutes est parfait pour ce genre d'histoire avant d'aller se coucher quand on n'a pas le temps de voir un long film.
Ok ça n'avance pas beaucoup mais c'est pas trop grave encore car tout ça reste très plaisant à suivre, mystérieux, assez drôle et encore surprenant. Hâte de voir l’ascension de Léanne mi ange mi démon après l'excellent dernier épisode avec la "tante", pseudo veuve nettoyeuse.

Euh
23/03/2021 à 15:09

La saison 1 donnait à chaque épisode envie de voir la suite et intriguait beaucoup, mais je n'ai toujours pas réussi à aller au bout du 2eme épisode de la saison 2, la chute au niveau mise en scène, enjeux et dialogues est très dure..., il me semble que ce sont les épisodes de Julia Ducourneau.

DjFab
23/03/2021 à 13:57

Oui la saison 2 est en dessous de la 1. 16/20 pour la 1 et 12/20 pour la 2. Ca n'avance pas beaucoup...

Solty
23/03/2021 à 12:18

Saison 1 : 16/20
Saison 2 : 05/20
La saison 1 avait une fin ouverte qui suffisait largement.
Quelle déception. On ne retrouve rien de l’atmosphère, de la gestion du récit voire de la spécialisation qui faisaient tout l’intérêt de la première saison.

Bravo
23/03/2021 à 12:17

"...zigouiller des mômes et massacrer sont des chiens attirent rarement la bonne étoile à qui s'y risque"

Kamoulox

Best première phrase, ever

stivostine
23/03/2021 à 11:31

4 saisons de prévues alors wait and see

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