Batman : Année Un - le comics incontournable qui a redéfini les origines de Batman

Arnold Petit | 14 novembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Arnold Petit | 14 novembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

À l'approche de The Batman, on a décidé de se replonger dans ce chef-d’œuvre de Frank Miller et David Mazzucchelli sur les origines du Chevalier Noir.

Une ruelle sombre de Gotham City, un enfant qui voit ses parents être abattus sous ses yeux par un voleur, puis fait la promesse de traquer tous les criminels et devient plus tard un justicier. Tout le monde ou presque connaît les origines de Batman. Un récit qui a été revisité, adapté et réadapté à foison depuis qu'il a été dévoilé en novembre 1939 dans le numéro 33 de Detective Comics.

Néanmoins, s’il ne fallait garder qu’une seule œuvre consacrée à la naissance du Chevalier Noir, ce serait certainement Batman : Année Un de Frank Miller et David Mazzucchelli. Une histoire profonde et complexe, dont s’est largement inspiré Christopher Nolan pour Batman Begins et qui devrait aussi influencer The Batman de Matt Reeves, dans lequel le Bruce Wayne de Robert Pattinson connaîtra ses premières années en tant que justicier de Gotham.

 

photoDans le sang et les larmes

 

WHO HE IS AND HOW HE CAME TO BE

En 1986, après les événements de Crisis on Infinite Earths, un immense crossover (auquel on a consacré un dossier juste ici) destiné à clarifier sa continuité incohérente et à relancer tous ses titres, DC pense qu’il est grand temps de moderniser ses héros et décide de commencer avec les trois plus grands, la Trinité : Superman, Batman et Wonder Woman.

Alors que le Kryptonien est placé entre les mains de John Byrne et que l’Amazone est confiée à George Pérez, la maison d’édition ne veut pas toucher aux origines de Batman que Bob Kane et Bill Finger avaient imaginé, estimant qu’elles caractérisaient déjà parfaitement le personnage et la quête de justice qu’il poursuit.

 

photoLes origines de Batman par Bob Kane et Bill Finger

 

Sur les recommandations de feu Dennis O'Neil, une légende de l’industrie qui avait redonné ses lettres de noblesse à Batman avec l’artiste Neal Adams en le ramenant à un héros sombre et torturé, la tâche est confiée à Frank Miller. En plus d’avoir réinventé le personnage de Daredevil pour la concurrence, le jeune scénariste s’était fait largement remarquer avec The Dark Knight Returns, une œuvre devenue culte pour ses dessins, ses couleurs, son intrigue politique, mais surtout pour son Batman.

Un Batman vieillissant, massif, brutal, à moitié alcoolique et aux méthodes expéditives, qui n'était plus que l'ombre de lui-même et sortait de sa retraite pour sauver Gotham du chaos. Après avoir imaginé la fin du Chevalier Noir, il était logique de boucler la boucle en le laissant raconter ses débuts.

 

photoUn Chevalier plus Noir que jamais

 

Contrairement à The Dark Knight Returns, qu’il a écrit et illustré, Frank Miller préfère se focaliser uniquement sur le scénario et choisit de laisser le crayon à David Mazzucchelli, avec qui il a déjà signé l’un des meilleurs récits autour du Démon de Hell’s Kitchen, Daredevil : Renaissance.

Au départ, les deux hommes conçoivent le projet comme un roman graphique, mais Dennis O’ Neil parvient à les convaincre d’intégrer leur arc narratif dans les numéros mensuels de Batman pour tenter de remonter les ventes, leur promettant une liberté aussi grande que celle dont avait bénéficié Frank Miller pour The Dark Knight Returns. Le scénariste et le dessinateur découpent finalement leur récit en quatre parties, publiées en 1987 dans les numéros 404, 405, 406 et 407 de Batman avant d’être réunies plus tard dans une seule et même histoire, Batman : Année Un.

 

photoLa naissance d'une légende

 

OUI, JE SUIS TON AMI

Comme son nom l’indique, Batman : Année Un retrace la première année de Bruce Wayne en tant que Batman, mais suit également l’ascension de James Gordon dans les rangs de la police. Frank Miller est bien resté fidèle aux origines imaginées par Bob Kane et Bill Finger et a développé son récit tout autour, en ajoutant des détails, des dialogues, mais surtout de la profondeur à l’histoire de Batman et sa relation avec Jim Gordon.

La première apparition du Chevalier Noir dans le numéro 27 de Detective Comics en 1939 démarrait sur une conversation entre Bruce Wayne et le Commissaire Gordon et Frank Miller a donc fait en sorte que l’origine de Batman soit intrinsèquement liée à l’histoire de celui qui deviendra son fidèle allié dans sa croisade. La narration passe d’ailleurs à travers les pensées de Bruce et Jim et nous plonge au plus près de leur psyché, afin de saisir leurs motivations, de partager leurs émotions et de comprendre pleinement comment ils sont devenus les personnages que nous connaissons aujourd’hui.

 

photoEnsemble depuis toujours

 

L’histoire se déroule 18 ans après le meurtre de Thomas et Martha Wayne et débute sur Bruce Wayne et Jim Gordon arrivant tous les deux à Gotham le même jour. Les deux hommes trouvent une cité américaine sur le déclin, rongée par la corruption, la drogue et la violence, en proie à la misère et au désespoir. Il n’y a pas de super-vilains, d’énorme complot autour d’une organisation secrète, de voyage spatio-temporel ou de monde sous la menace d’une guerre nucléaire.

Bruce et Jim sont confrontés à un mal ordinaire, sur lequel Frank Miller s’appuie pour injecter un réalisme palpable et une ambiance de film noir à son récit, dont les premières pages dressent immédiatement un parallèle entre ces deux personnages que tout oppose au premier abord : Jim arrive en train et aurait préféré être dans un avion pour éviter d’être confronté à la crasse et la noirceur ambiante, tandis que Bruce débarque en jet privé après ses 12 ans d’absence et aurait voulu arriver en train, afin d’être au plus près de ce qu’il considère déjà comme l’ennemi.

 

photoNés un 4 janvier

 

Aussi bien pour l’un que pour l’autre, les débuts sont rudes et les désillusions s’enchaînent. Jim se rend compte que son coéquipier, l’inspecteur Flass, son patron, le commissaire Loeb et la police de Gotham sont aussi pourris que le reste de la ville, puis se fait tabasser pour avoir refusé un pot-de-vin. Bruce pense être prêt et tente de protéger une jeune fille d’un proxénète, mais termine blessé, se fait arrêter et parvient tout juste à échapper à la police pour retourner au Manoir Wayne.

Alors que Jim va régler ses comptes avec Flass et découvre qu'être un flic à Gotham City implique aussi de se salir les mains, Bruce se remémore la nuit où ses parents ont été tués. À cet instant, une chauve-souris passe à travers une fenêtre et le jeune homme prend conscience qu’il doit quitter sa condition humaine et devenir quelque chose d’autre, une idée, un symbole, qui inspire autant la terreur que l’espoir.

 

photoJe deviendrai une chauve-souris

 

Dès lors, Bruce Wayne évolue, apprend à devenir un héros tant bien que mal tandis que Jim gravit les échelons de la police, tout en étant chargé d’arrêter ce justicier habillé en chauve-souris qui gêne les affaires des ripoux du GCPD et des politiciens de Gotham. Certains grands personnages de l’univers de Batman font leur apparition, Selina Kyle, Harvey Dent ou Carmine Falcone, mais l’histoire reste toujours concentrée sur Bruce et Gordon, qui représentent en fait les deux faces d’une même pièce et dont le parcours va inévitablement les amener à se croiser.

 

photoPlongé dans les ténèbres

 

DYNAMIC DUO

Frank Miller désacralise le Chevalier Noir pour en faire un héros inexpérimenté, l’humanise en dévoilant ses faiblesses et montre que la guerre que mène Bruce a démarré bien avant qu’il ne devienne Batman. Ni justicier ni héros, il n’est rien de plus qu’un petit garçon enfermé dans un corps d’adulte qui voudrait que ses parents ne soient jamais morts et qui va tout faire pour s’assurer que personne d’autre ne vive la même chose.

Un sentiment de vulnérabilité renforcé par la manière dont David Mazzucchelli le représente. Loin de l’immense armure et de la panoplie de gadgets, Batman a vraiment l’air d’être un homme dans un simple costume, prêt à risquer à sa vie à chaque fois qu’il l’enfile. Cela n'empêche pas pour autant le dessinateur d'offrir quelques cases iconiques et des séquences d'action aussi intenses que palpitantes, comme lorsque Batman s’infiltre dans un dîner mondain chez le maire pour le mettre en garde ou lors de son affrontement face à une unité du S.W.A.T dans un immeuble en ruines.

 

photoLa fête est finie

 

Batman : Année Un est une merveille surtout grâce à la trame solide et réfléchie de Frank Miller, mais aussi (et surtout) à David Mazzucchelli, qui réalise un travail absolument grandiose, surtout en termes de narration. L’artiste joue avec les ombres, les perspectives, le découpage et alors que le scénario de Frank Miller agit comme un miroir entre Bruce Wayne et Jim Gordon, les dessins des deux personnages se suivent, se répondent, avec un trait minimaliste et épuré, mais qui s’attarde sur les détails des visages et les expressions de manière subtile. Un style aussi frappant qu’accessible, qui a sans doute inspiré celui de Greg Rucka pour Gotham Central plusieurs années plus tard, mais aussi la manière d’appréhender l’univers de Batman.

Teintées de réalisme et de noirceur, les planches du dessinateur se conjuguent avec le récit, capable d’enchaîner les moments d’accalmie et de réflexion avec des scènes d’action sombres et brutales, mais sans jamais tomber dans la violence graphique ou oublier les traits d'humour. Un coup de crayon sobre, lisible, magnifié par les couleurs maladives et picturales de Richmond Lewis et qui marque pour la crédibilité qu’il amène aux personnages et au monde dans lequel ils évoluent.

 

photoTout en finesse

 

Comme Bruce Wayne et Jim Gordon, Frank Miller et David Mazzucchelli se complètent pour accoucher d’une œuvre d'une importance capitale dans l’histoire du Chevalier Noir, qui deviendra aussi culte que The Dark Knight Returns ou Killing Joke.

Avec Batman : Année Un, ils ont apporté une vision contemporaine aux origines de Batman et exploré son passé, mais aussi défini son avenir de façon durable dans les comics et sur les écrans avec une histoire qui continue d’avoir une influence considérable sur le personnage de Batman, sa représentation et sa mythologie, même après plus de 30 ans.

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commentaires
Deny
14/11/2020 à 23:16

Oui @Gonzo, l'excellent Sin City est un des rares films a utiliser (avec succès) ce procédé. Las Vegas Parano (chef d’œuvre) l'utilise aussi. Bravo pour ces précisions qui m'ont échappées.

Numberz
14/11/2020 à 21:23

Au oui, beau chef d'œuvre. Année 2 étant parcontre un gros étron, ma suite direct est l'excellent Proie, avec Hugo Strange.

Gonzo
14/11/2020 à 19:47

" les pensées/voix intérieurs des personnages"
Interressant, et effectivement c'est fait dans Sin City et c'est sans doute ce qui donne au film tout son charme. Idem pour Las Vegas Parano

Deny
14/11/2020 à 19:11

Souvent relu tellement impressionné par la parfaite maitrise du récit. D'ailleurs, je suis toujours étonné de voir Hollywood ne réussit pas à faire un film avec les pensées/voix intérieurs des personnages. C'est tellement percutant!
Roger Zelazny utilise ce procédé que j'adore et je ne serais pas surpris que Miller se soit inspiré de cet écrivain génial (vivement, une série sur les Princes d'Ambre)