JETT : The Far Shore – Test : le jeu d'exploration tient-il ses promesses d'odyssée de l'espace ?

Antoine Desrues | 4 octobre 2021
Antoine Desrues | 4 octobre 2021

Présenté pour la première fois lors du reveal de la PlayStation 5 en juin 2020, JETT : The Far Shore a tout de suite surpris par son imagerie éthérée, où une navette spatiale traversait une immense étendue océanique. Après tout ce temps, la proposition du studio indépendant Superbrothers est enfin entre nos mains, et promet un voyage à nul autre pareil sur PC, PS4 et PS5.

Space, the final frontier

Sublime. Un simple mot qui évoque aujourd'hui quelque chose de grande valeur, d’admirable et de magnifique. Pourtant, ce serait oublié que "sublime" est avant tout dépendant d'un rapport à la grandeur, au point d'être un concept esthétique qui transcende le beau. Le sublime, c'est un sentiment d'écrasante inaccessibilité, la force presque terrifiante du grandiose, à commencer par celle que suscite la Nature au contact de l'Homme.

Ce désarroi romantique – symbolisé par le tableau L'Homme contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich – inspire fortement le jeu vidéo, d'autant plus lorsque ce dernier se lance dans une course pour amener sa technique à délivrer des mondes virtuels toujours plus détaillés, réalistes et vastes. Pourtant, la vue à la première ou à la troisième personne tend à limiter ce sens du sublime, coincée qu'elle est dans le dos ou dans les yeux de l'avatar.

C'est pourquoi, dès ses premiers instants, JETT : The Far Shore se montre revigorant par sa gestion du point de vue. Dans la peau de Mei, une astronaute choisie pour une mission de reconnaissance sur une planète océan, le jeu fait littéralement plonger sa caméra dans le corps de son héroïne.

 

photoÇa commence fort !

 

Nous voilà toisés par nos proches, à la fois tristes et fiers de nous voir partir dans les confins de l'espace. Puis, après ces adieux déchirants, Mei monte dans sa navette d'exploration. Un vaisseau imposant, jusqu'à ce que l'objectif recule, et nous fasse naviguer dans l'immensité de notre planète natale, en faisant de notre véhicule un point minuscule sur l'écran, striant l'image par la petite trace qu'il laisse derrière lui.

Si JETT propose d'une simple pression de touche des changements d'angle de sa caméra, tous s'accordent néanmoins avec cette envie de briser les carcans du jeu de pilotage. Ouvertement inspiré par 2001 : l'odyssée de l'espace et par Interstellar, le deuxième titre du studio Superbrothers dépeint une humanité au bord de l'extinction, à la recherche d'une nouvelle planète à coloniser. Pour cela, les éclaireurs auxquels appartient Mei ont pour mission d'étudier la faune et la flore, mais aussi une onde quantique, un son mystérieux émis par la planète d'eau, et qui pourrait être la réponse à la survie des êtres humains.

 

photoUn petit serpent-monde

 

Odyssée de l'espèce

Nonobstant ces prémices alarmantes, JETT est un jeu plutôt calme, en quête permanente d'une contemplation rendue plaisante par les teintes pastel adoptées par ses développeurs. D'île en île, de panorama en panorama, le titre se renouvelle sans cesse et émerveille par sa beauté. Ce rapport au regard est même au cœur de son gameplay volontairement épuré, où il s'agira principalement de scanner les éléments à notre portée pour en comprendre la nature et la composition.

Alors que le jeu vidéo d'exploration, de Minecraft à No Man's Sky, s'est amusé à donner un pouvoir total et démiurgique aux détenteurs de la manette, Superbrothers a visiblement créé son titre en opposition à cette dimension colonialiste. Profondément écologiste, JETT se pose en permanence des questions sur la place de l'Homme sur cette planète. Doit-il s'imposer dans cet écosystème ? Peut-il essayer de le chambouler le moins possible ?

 

photoIl y aura tout de même des créatures à fuir

 

Le jeu est habité par de précieux dilemmes, qui vont structurer sa narration en cinq chapitres (comptez une dizaine d'heures pour finir l'ensemble). L'un des premiers enjeux de l'aventure sera d'ailleurs l'installation d'une base de reconnaissance, dans laquelle Mei pourra interagir avec les autres membres de l'expédition. C'est dans ces moments de calme et de dialogue que le récit trouvera quelques jolis moments d'introspection, mettant en lumière la crainte de l'équipage face à ses responsabilités, aussi tétanisantes que le monde hostile qu'ils explorent.

JETT : The Far Shore trouve ainsi un fil rouge passionnant, où le sublime s'imprègne des personnages et du joueur, au point de mêler habilement la satisfaction du dépaysement à un sentiment d'urgence malaisant, épaulé par le lyrisme de la musique parfaite de Scntfc.

 

photoUne direction artistique inspirée

 

JETT Set Radio

Malheureusement, le titre peine à se montrer jusqu'au-boutiste dans cette démarche. Les développeurs de Superbrothers finissent par manquer de confiance dans la force de leur proposition. Alors que JETT évoque immédiatement une envie de se perdre dans son univers, de se laisser submerger par son rapport au sublime, cet abandon total est refréné par sa structure rigide, et parfois frustrante.

Jonglant tour à tour entre le pur walking simulator (ou plutôt flying simulator dans le cas présent), le jeu de survie et quelques énigmes pas bien finaudes, le jeu se sent obligé de bouleverser ses enjeux par des rebondissements aussi faciles que peu engageants. Le problème, c'est que JETT souffre alors de son simple gameplay, idéal pour naviguer à toute vitesse sur de grandes étendues, mais peu pratique lorsque le joueur éteint les propulseurs pour réaliser des mouvements plus précis.

 

photoUn jeu qui en JETT...

 

Ce manque d'ergonomie n'est cependant rien à côté du vrai point noir du titre : Isao, le copilote de Mei, qui sert autant d'aide psychologique à l'héroïne que de tutoriel ambulant. Aussi envahissant et agaçant que Fay dans The Legend of Zelda : Skyward Sword, le personnage parle en permanence pour expliciter au joueur les émotions que les avatars ressentent, quitte à oblitérer le sentiment si fort de solitude cosmique que procure le game design de Superbrothers. Il en va de même pour les phases de fuite ou d'énigme, qui sont constamment hachées par les conseils d'Isao, provoquant dans leur sillage des ralentis énervants, même lorsque le joueur a déjà compris quoi faire.

C'est d'autant plus dommage que ces petits défauts privent JETT : The Far Shore d'être le chef-d’œuvre indépendant que ses ambitions laissaient promettre. Pourtant, le titre est aussi beau que cohérent dans ses thématiques, se voulant même déroutant dans une seconde moitié qui convoque une symbolique ésotérique. Tandis que le sublime appelle à une forme de transcendance de l'esprit, l'écriture du jeu la prend au pied de la lettre, en confrontant les personnages à une ultra-sensibilité causée par l'onde quantique.

 

photoIsao, votre nouvelle tête à claques préférée

 

C'est alors que l'ensemble s'amuse à surprendre le joueur avec des suites d'images envoûtantes, éléments mystiques d'une prophétie dont le scénario ne dévoilera jamais pleinement les tenants et aboutissants. Quand bien même JETT construit un crescendo émotionnel efficace menant à un climax magnifique et tendu, il a l'intelligence de délivrer un final au goût d'inachevé, en accord avec son sujet. La nature analysée par Mei et ses compères reste sauvage, insaisissable, et d'une certaine manière indéchiffrable.

Dès lors, si le jeu s'offre un point de vue éloigné sur le vaisseau de son héroïne, il pousse plus généralement à abandonner une vision hégémonique du monde (une rareté dans le jeu vidéo), ramenant l'humanité à son état de poussière insignifiante dans l'ordre cosmique des choses. Et ça, c'est franchement sublime !

JETT : The Far Shore est disponible à partir du 5 octobre 2021 sur PS4, PS5 et sur PC via l'Epic Games Store. Ce test a été réalisé à partir de la version PC.

 

photo

Résumé

Bien que handicapé par une progression frustrante, JETT : The Far Shore est bien un jeu inspiré, dont la beauté de son monde extraterrestre se voit transcendée par son rapport à l'immensité. Une curiosité dans laquelle vous aimerez vous perdre !

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