Ubisoft va utiliser une IA pour assister (ou remplacer) ses scénaristes
Alors que tout part en vrille pour Ubisoft, la firme française vient d’annoncer qu’elle compte se servir d’une IA pour l’aider à faire ses prochains jeux.
Le célèbre développeur et éditeur à qui l’on doit la franchise Assassin’s Creed n'est pas au mieux de sa forme ces derniers temps. Entre ses trop nombreux projets (et tous trop ambitieux), ses bilans financiers de début d’année catastrophiques et ses retards sur ses jeux les plus attendus, Ubisoft est sérieusement dans la mouise côté bourse. 2023 pourrait donc bien se révéler une année d’immenses défis pour l’entreprise et elle devra redoubler d’ingéniosité pour ne pas manquer de s’effondrer d’ici peu.
Puisque personne ne semble vouloir racheter la boîte ou même fusionner avec elle dans son état actuel (même Microsoft ne s’intéresse pas au dossier, c’est dire), Ubisoft va devoir s’en sortir seule, et s’assurer de faire des chiffres extrêmement importants avec ses prochains AAA prévus. Il faudra donc espérer que Skull & Bones ne soit pas le naufrage que tout le monde sent venir, qu’Assassin’s Creed Mirage redynamise sa licence ou qu’Avatar : Frontiers of Pandora (qui arrivera avec un train de retard) fasse un carton.
En attendant un éventuel miracle, Ubisoft panique, annule plusieurs jeux et s’apprête même à utiliser des méthodes non conventionnelles pour s’aider à développer ses futurs projets. L’équipe de R&D vient en effet d’annoncer l’utilisation prochaine de Ghostwriter, une IA capable d’assister les scénaristes du studio.
I, robot (and writer)
Il était inévitable qu’on y arrive un jour et pourtant on ne peut s’empêcher d’être surpris. Il fallait donc que la situation d’Ubisoft soit à ce point chaotique pour que le premier pas soit fait et qu’un développeur de jeu vidéo fasse appel à l’intelligence artificielle pour écrire ses jeux. Alors, ne soyons pas mauvaises langues : Ubisoft a été très clair et ne compte pas (pour l’instant du moins) utiliser Ghostwriter pour se substituer aux créatifs humains, mais aurait été créé dans le but d'alléger leur travail.
Ubisoft Laforge (qui constitue l’équipe de développeurs derrière Ghostwriter) a ainsi expliqué en détail la fonction de cette IA :
"Cet outil a été créé main dans la main avec nos auteurs afin de créer des interactions plus réalistes et authentiques chez les PNJ, et ce en générant de nouvelles variations dans leurs dialogues. Vous verrez que nos équipes utiliseront cette IA pour s’occuper à leur place de tâches répétitives, leur libérant du temps pour qu’ils se concentrent sur des éléments centraux du jeu."
Bientôt, les technologies de Watch Dogs vont faire rétros
C’est ce que Ben Swanson, chercheur d’Ubisoft Laforge, appelle les "barks" (qu’on peut traduire par "aboiements", mais qui signifient ici plutôt "bavardages" ou "bruits de fond") qui concernerait uniquement l’IA. Swanson, durant sa conférence, a ainsi expliqué que les dialogues répétitifs des PNJ dans les jeux où ils sont assez nombreux seront être prises en charge par Ghostwriter, avec toujours un encadrement humain. Quatre situations spécifiques dans lesquelles l’IA devra assister les scénaristes ont été citées.
Premièrement, Ghostwriter aura pour mission de générer des dialogues de PNJ secondaires en fonction de ses motivations et de la situation dans laquelle il se trouve. Ensuite, l’IA se chargera de créer de nombreuses bribes de conversation qui soient cohérentes dans la foule qui entoure le joueur lorsqu’il s’y déplace. Dans le même ordre d’idée, il faudra également qu’elle puisse créer des dialogues cohérents et brefs entre deux personnages de cette même foule.
Et enfin, Ghostwriter reformulera des lignes de dialogue écrites par des auteurs pour en faire plusieurs variations (par exemple, reformuler un "Je dois y aller" en de nombreuses autres lignes de dialogue similaire pour permettre à son personnage de prendre congé).
Elden Ring : un monde ouvert à l’écriture phénoménale qui n’a pas besoin de "barks"
Alors en quoi cela peut-il effectivement être une aide pour Ubisoft dans sa situation actuelle ? Et bien, nombreux sont les AAA d’Ubisoft à être des mondes ouverts (et contiennent souvent un très grand nombre de PNJ et des simulations de foules importantes) et ceux-là leur demandent un travail monstre en termes d’écriture. Qu’on apprécie ou pas la façon dont sont créés les univers des derniers Assassin’s Creed ou de Watch Dogs, ceux-là brassent un très grand nombre d’interactions qui doivent être rédigés par des auteurs.
Par manque de temps ou d’effectif, ces fameux "barks" deviennent très vite limités et donc rébarbatifs pour le joueur. C’est d’ailleurs un problème que rencontrent beaucoup d’autres mondes ouverts, même parmi les plus loués. Prenons par exemple The Witcher 3 dans lequel on finit par connaître par cœur les répliques des PNJ de Novigrad à force de la parcourir pendant des heures. L’argument d’Ubisoft Laforge est donc de remédier à cette cassure dans l’immersion du jeu tout en déchargeant ses employés de cette masse de travail.
Si c’est de la faute du studio d’avoir empilé de trop nombreux projets à monde ouvert et de sans doute surmener ses auteurs, Ubisoft espère toutefois réussir ici à faire d’une pierre deux coups. La boîte pourrait se prendre à rêver que Ghostwriter lui sortira un peu la tête hors de l’eau tout en révolutionnant la façon dont on fabrique les mondes ouverts dans l'industrie.
"Il va pleuvoir... Le sang du veule... Il va pleuvoir..."
TERMIN-ART-OR
Une idée en réalité intéressante sur le papier, certes, mais qui n’a pas convaincu grand monde pour l’instant. Sur Twitter et ailleurs, beaucoup de professionnels du métier ont immédiatement réagi à l’annonce de façon fort négative. Finalement, Ubisoft n’arrivera pas à apaiser la colère de ceux qui voient, à l’avènement des Chat GPT et des Midjourney, une nouvelle victoire des IA contre les artistes. Pour ces derniers, c’est un peu comme si Ubisoft venait de laisser entrer le loup dans la bergerie. Il n’y aura pas de retour en arrière et désormais la nature essentielle du travail des auteurs pourrait être sérieusement remise en question.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, et tous les artistes voient bien la chose venir. À force de privilégier les économies financières, la rapidité d’évolution des IA pourra à terme supplanter de plus en plus le travail des humains. Et c’est déjà le cas : par exemple avec The Dog and The Boy, un anime Netflix produit par Wit Studio qui utilisera une IA pour créer ses arrière-plans (avec pour excuse une pénurie de main-d’œuvre...). Une nouvelle qui n’a pas non plus été accueillie avec le sourire par les principaux intéressés du milieu.
Netflix アニメ・クリエイターズ・ベース×技術開発のrinna株式会社×WIT STUDIOによる共同プロジェクトアニメ『犬と少年』のショートムービー。
— Netflix Japan | ネットフリックス (@NetflixJP) January 31, 2023
人手不足のアニメ業界を補助する実験的な取り組みとして、3分間の映像全カットの背景画に画像生成技術を活用! pic.twitter.com/GYuWONSqlJ
En fin de compte, il est encore tôt pour disposer d’un avis tranché sur l’utilisation des intelligences artificielles dans la création artistique. Il faut nécessairement comprendre et entendre les graves préoccupations qu’elles suscitent – toutefois, il est difficile d'ignorer les arguments d’Ubisoft qui en fait un outil plutôt pratique pour délester des scénaristes d’un travail pénible et peu stimulant. Toutefois, même sur ce dernier point, il reste encore à en étudier la réelle efficacité de Ghostwriter.
Alanah Pearce, autrice chez Santa Monica Studio (God of War : Ragnarök), a émis des doutes quant à l’utilité de l'IA et envisagerait même qu'elle soit potentiellement contre-productive : "En tant que scénariste, devoir éditer des scripts/dialogues générés par l’IA me semble bien plus fastidieux que d’écrire mes propres lignes temporaires. Je préférerais de loin que les studios AAA utilisent le budget qu’ils consacrent à la création d’outils comme celui-ci pour embaucher davantage d’auteurs".
Et quid du doublage ? Plus de lignes de dialogues différentes signifient plus de coûts de doublage et de temps d'enregistrement. Bref, d'autres paramètres auxquels il faudra penser en temps et en heure.
Comme le malheureux prisonnier des sables mouvants, Ubisoft est peut-être bien en train de s’enfoncer davantage tout en essayant de s’extraire de son piège fatal. Cette solution exceptionnelle aura ainsi beaucoup à prouver (autant du point de vue de l’utilité de l’IA que de son usage éthique) et ce n’est pas encore gagné. Quant à l’avenir de la compagnie ? Affaire à suivre.
24/03/2023 à 01:00
@Kynapse A mon humble avis, c'est parce qu'Elden Ring propose un parti pris totalement opposé à ce que fait Ubisoft, qu'il prouve qu'on peut faire de l'open-world très ambitieux sans s'imposer des nombreux PNJ et donc plein de lignes de dialogue à écrire pour les équipes surchargés. C'est une alternative qui inspire beaucoup aujourd'hui d'autre studio, que ce soit en terme d'écriture qu'en terme de game design.
Et je ne pense pas qu'Elden Ring soit sous-écrit, bien au contraire. Son univers et son histoire sont extrêmement riches et surpassent sans problème de nombreux autres AAA plus bavards.
23/03/2023 à 23:07
« Elden Ring : un monde ouvert à l’écriture phénoménale qui n’a pas besoin de "barks" »
Elden ring est sous-écrit et ne doit gérer qu’un (de ses rares) PNJ à la fois.
C’est un parti-pris d’écriture à l’exact opposé de celui d’Ubisoft, donc la comparaison n’a pas lieu d’être.
23/03/2023 à 21:03
@nickdabaro
De rien.
Effectivement cela va tendre vers une nouvelle précarisation de nombreux métiers. Surtout avec la montée en puissance des IA.
Je viens d'ailleurs de regarder une vidéo à la fois intéressante et flippante sur le nouveaux moteur de recherche de Microsoft
(chaine "Diskor" sur YouTube, vidéo : Ce Nouveau Bing (IA) va TUER Google et Chrome !)
@Morcar
Concernant la transmission des émotions par les IA, je pense que l'on ait beaucoup plus proche qu'on ne le croit d'une imitation parfaite des émotions humaines.
Je te renvois vers mon exemple précédent "Eminem / David GUETTA", où l'imitation du chanteur était parfaite.
(YouTube : Pourquoi David Guetta ne commercialisera pas ce featuring avec Eminem)
Cela annonce beaucoup de "fake news" dans les années à venir, à base de "deep fake" et autre IA pour les voix et les images.
C'est personnellement ce que j'appréhende le plus, surtout vu la faculté d'une partie de la population (dont je fais parfois partie) à ne pas vérifier une info.
Heureusement que quelques entreprises travaillent sur des méthodes informatiques permettant de vérifier si un fichier (image, audio ou vidéo) n'a pas été altéré ou modifié
23/03/2023 à 17:13
Ils n'ont qu'à inventer une IA pour jouer à leurs jeux, tant qu'ils y sont.
23/03/2023 à 15:51
@JohnBarry, j'ose espérer que malgré tout une IA n'arrivera jamais à jouer les émotions etc... aussi bien qu'un humain. Mais il faut admettre que quand on voit parfois les doublages de certaines jeux-vidéos qui sont assez moyens (manque de budget, de temps, etc... sans doute), un doublage fait par une IA ferait peut-être tout aussi bien le travail.
23/03/2023 à 15:06
çà pourrait être une bonne chose... finalement je ne crois pas que çà puisse être pire que le déclin qu'ils vivent actuellement... mais je me demande... ce serait pas plutôt au niveau de la direction de faire le ménage ?
23/03/2023 à 13:48
@JohnBarry
Merci pour les infos.
Cela semble confirmer mes craintes sur le fait qu'Ubisoft pourrait bien ouvrir la voie à des pratiques dangereuses pour de nombreux artistes et techniciens.
23/03/2023 à 13:20
Watch dogs, Assassin's creed 3... Il y avait des scénaristes humains derrière ces jeux?
23/03/2023 à 11:53
Devancé par Banban à quelques secondes près :)
23/03/2023 à 11:51
@Nickdabaro
Lorsque l'on voit les facilités des IA à imiter les voix de personnages connues, cela ne semble pas être un obstacle pour Ubisoft.
Par ex, Eminem en version IA lors d'un concert de David GUETTA ou Val KILMER dont la voix a été reproduite dans Top Gun 2.
https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/intelligence-artificielle-top-gun-redonne-voix-val-kilmer-98630/
on peut se dire que les IA pourront non seulement créer des dialogues, mais aussi les doubler comme s'il s'agissait de plusieurs doubleurs différents.
Donald REIGNOUX (si je ne me trompe pas), expliquait lors d'une interview qu'avec l'avancée de la technologie son métier était clairement voué à disparaitre.