Silent Hill 2 : la plus belle bande originale des pires cauchemars

JL Techer | 15 juillet 2022
JL Techer | 15 juillet 2022

À sa sortie sur PS2 en 2001, Silent Hill 2 a bouleversé les joueurs, sa bande originale composée par Akira Yamaoka y est pour beaucoup.

Certaines œuvres filmiques ou vidéoludiques sont strictement indissociables de leur bande originale. La Victory Fanfare renvoie immédiatement à Nobuo Uematsu et à Final Fantasy comme L'uomo dell'armonica est à jamais lié à Il était une fois dans l'ouest. De la même manière, il suffit d'entendre les trois premiers accords de Theme of Laura pour savoir que les portes de l'enfer de Silent Hill 2 sont ouvertes, prêtes à happer et traumatiser les joueurs à tout jamais.

Silent Hill 2 est un survival horror à l'état brut. La terreur y habite chaque recoin sombre, chaque coin de rue. Mais c'est aussi un jeu d'horreur qui cache une histoire d'amour, une quête d'identité, et une exploration des émotions humaines. L'OST de SH2 parvient à rendre tangible chacun de ces éléments. Il s'agit d'une BO tout en contradiction, allant du rock le plus lumineux aux expérimentations bruitistes les plus dérangeantes, pinacle de la carrière de Akira Yamaoka en tant que compositeur, où il montre l'étendue de son talent et son champ des possibles.

Retrouvez notre classement des jeux de la saga Silent Hill

 

Silent Hill 2 : photoLa tête du rédacteur après la 50e écoute de l'OST de Silent Hill 2

 

Le maestro de la terreur

Personnalité indissociable de la licence Silent Hill, Akira Yamaoka n'avait pourtant jamais envisagé de travailler dans le jeu vidéo dans sa jeunesse. Élève ni mauvais ni brillant, après son cycle d'enseignement secondaire, il intégrait la Tokyo Art School, équivalent des Beaux-Arts, à la fin des années 80. Fasciné par le design, il étudiait le design de produits et l'architecture d'intérieur. Un choix presque par défaut, car son coeur vibrait pour la musique.

Tout en faisant partie d'un groupe de punk-rock lors de ses études, il a appris en autodidacte à composer de la musique électronique sur un PC grâce à un séquenceur. Il s'abreuvait alors de new-wave british comme Ultravox, Visage et Conny Plank. Mais Akira Yamaoka ne se limitait pas à un seul genre, et a voué également une passion sans borne au punk hardcore de Discharge, Chaos UK et The Exploited. Un grand écart stylistique qui allait devenir une des marques de fabrique du compositeur.

 

Silent Hill : photoQuand on sort du pit d'un concert de Discharge

 

À tout juste 25 ans, le 21 septembre 1993, il a rejoint Konami pour travailler au sein de la section sound design et composition de la firme. Pour ses premières armes, il a livré l'OST de Sparkster, un jeu de plateforme-action sur Super Nes et Mega Drive. Un pur travail de commande dont le résultat est une BO légère et enjouée, à des années-lumière de l'univers de Yamaoka. Puis, il est baladé d'un poste à l'autre, tantôt sur des postes de sound designer sur certains titres (Snatcher, Vandal Hearts), tantôt compositeur principal sur d'autres (la version PS1 de Road Rage).

Le passage du support 16 bits au support CD de la PlayStation a été une sorte d'épiphanie pour le musicien. Enfin, il n'était plus limité par les spécifications techniques des hardwares, et pouvait livrer des bandes originales à la hauteur de ce qui bouillonnait dans son cerveau. Quand, après le succès de Resident Evil, Konami a décidé de mettre en chantier le projet Silent Hill, Yamaoka a sauté sur l'occasion. Dans une interview accordée à spelmusik.net, Akira Yamaoka expliquait qu'il n'avait pas hésité un instant, y voyant la possibilité d'enfin s'exprimer pleinement :

"Même au moment de la planification du concept, je pensais que j'étais le seul capable de réaliser ce projet. J'ai été le premier à lever la main pour être sélectionné." 

 

Silent Hill 2 : photoBienvenue en Enfer

 

Une nuit en enfer

La bande originale du premier Silent Hill a largement marqué les esprits grâce à son approche expérimentale et industrielle, aux antipodes des OST des Resident Evil ou Alone in the Dark. Largement inspirée par les travaux d'Angelo Badalamenti sur Twin Peaks, avec ses nappes sonores angoissantes et désincarnées, entrecoupées de mélodies plus légères, mais profondément mélancoliques, Akira Yamaoka est parvenu à donner une couleur sonore très particulière à Silent Hill.

Dérangée et glauque, l'OST est à la limite du bruitisme, et certains morceaux sont composés de sons étranges presque indéfinissables, à l'instar du tordu Devil Lyric, qui semble tout droit sorti du cerveau torturé de Justin Broadrick de Godflesh ou d'un Trent Reznor au fond de la dépression la plus profonde. Une BO qui a contribué à construire l'identité même de ce que devait être Silent Hill : une saga où l'horreur est viscérale, plus profonde que la concurrence. Pour Silent Hill 2, Yamaoka devait faire encore mieux. Une mission impossible qu'il releva pourtant haut la main.

 

 

Encore plus que Silent Hill, SH2 devait offrir une plongée dans l'horreur des actions humaines, et dans l'horreur des sentiments humains. Le héros de SH2, James Sunderland, reçoit plusieurs années après la mort de sa femme une lettre de celle-ci lui demandant de la retrouver à Silent Hill. En dépit du bon sens, il se met en chemin vers la ville maudite, et au gré de rencontres étranges, glisse peu à peu en plein cauchemar.

Pour SH2, Yamaoka a fait le choix de symboliser la torture de l'âme humaine, constamment déchirée entre le besoin de paix et les pulsions hétéro - ou auto-destructrices. Pour y parvenir, il choisit de diviser la bande-son entre un ensemble de sons et bruitages glauques qui semblaient tout droit sortis d'une boucherie chevaline, et des morceaux d'ambiance plus mélodiques, et pourtant pas moins terrifiants.

Dès les premières secondes du morceau d'ouverture Theme of Laura, nul doute n'est permis. La patte de Yamaoka est bien là, le thème sonne comme un écho au morceau Silent Hill sur la BO de SH1, avec ces cordes mélodiques et pourtant à la limite de la dissonance. Pour marquer encore plus cette filiation, le compositeur y inclut même la mélodie du morceau titre de Silent Hill 1 de 2:00 à 2:15. 

 

 

Suivent les pistes White Noiz et Forest, deux pistes noyées dans des ambiances quasi spectrales, menées par de délicates mélodies de piano et de synthétiseur. Il se dégage une lourde mélancolie de ces deux morceaux, qui laissent déjà deviner le poids de la culpabilité de James. Le terme White Noiz n'est bien sûr pas choisi au hasard : il s'agit techniquement d'un son mêlant tous les autres sons à la même fréquence.

Ici, la métaphore indique que les sentiments de James sont mêlés les uns aux autres, brouillant sa capacité de jugement. Elle est aussi l'indication symbolique d'une porte ouverte sur un autre monde, fantasmé, où Mary, sa femme, serait toujours vivante. La véritable bascule dans cet autre monde se fait avec A World of Madness, mélodie entendue quand James rencontre Angela Orosco pour la première fois dans le cimetière.

Les percussions arythmiques viennent y troubler la mélodie, perturbant le joueur en l'empêchant de pouvoir s'accrocher à quelque air que ce soit, à mesure que James perd pied et quitte sa réalité pour la vérité de Silent Hill. Un procédé que Yamaoka a utilisé plusieurs fois sur la BO afin de montrer qu'il est impossible de comprendre et d'accepter la réalité de Silent Hill, qui n'est pourtant que l'émanation du propre esprit du héros.

 

  

heaven's night

Alors que l'on pouvait s'attendre à une pure descente dans l'horreur, Yamaoka a choisi de prendre le public à contre-pied pour le reste de son OST. Il s'agit bien d'une plongée dans l'âme humaine, à la fois dans ce qu'elle a de plus beau, et de plus horrible. Les morceaux les plus légers et les plus torturés et violents vont alors cohabiter dans le même espace.

Promise (Reprise), entendu dans les appartements Blue Creek quand James rencontre une Angela suicidaire, Magdalene, joué après le décès de Maria dans l'hôpital, et Heaven's Night, qui hante le strip-club du même nom, sont des lumières au sein de la tracklist, des moments de quasi-apaisement, où le héros est pour ainsi dire libéré de ses tourments. Mais ceux-ci n'existent que pour le faire chuter plus durement.

L'apparition des monstres au Blue Creek au son de Ashes and Ghost, avec ses effets distordus, ou la bascule dans le monde cauchemardesque au Brookhaven Hospital avec The Darkness That Lurks in Our Mind et ses sons de machines évoquant des lamentations, détruisent tout espoir. The Darkness That Lurks in Our Mind sonne comme une révélation : les ténèbres sont dans les esprits plus que dans le monde réel.

 

 

Là où la BO de Silent Hill 1 amenait les joueurs dans un gouffre de violence, l'OST de Silent Hill 2 joue sur la complexité des émotions pour semer le trouble. Les créatures grotesques que croise James au cours de l'exploration de la ville maudite ne sont en réalité que l'incarnation de ses propres démons intérieurs. La BO résonne comme la devise nietzschéenne : "Si tu regardes longtemps dans l'abîme, l'abîme regarde aussi en toi".

Après qu'il a été confronté à la vérité de la disparition de sa femme Mary, avec la chanson True, ses violons répondant à une boîte à rythme désincarnée, laissant le piano s'exprimer comme sur Promise (Reprise), pour un climax émotionnel bouleversant, Yamaoka lâche les chevaux pour les quatre compositions accompagnant les quatre fins principales du jeu (deux autres n'étant que des easter eggs). 

La fin "Leave", où James retrouve une dernière fois son épouse avant de quitter Silent Hill avec la jeune Laura, est vécue au son de Overdose Delusion, un morceau de rock classique dans sa construction, mais au final sursaturé. La fin "Maria", où James quitte la ville avec Maria, est illustrée par Promiseballade désespérée, où les violons s'éclipsent au profit d'une guitare larmoyante.

 

 

La dérangeante The Reverse Will, avec son rock faussement lumineux caractérise l'ending "Rebirth" où James ressuscite Mary, les paroles de la chanson n'y sont audibles qu'en passant la piste à l'envers. Quant à la fin canon, "In Water", qui voit James se suicider, elle est accompagnée par la furieuse Angel's Thanatos au riff de Metal syncopé lourd rappelant Pantera et Down. Une apocalypse sonore qui ne laisse aucun doute quant au sort qui attendait James depuis le début : il n'était en réalité venu à Silent Hill que pour en finir.

L'écoute de l'OST de Silent Hill 2 prouve qu'il existe bel et bien un style Yamaoka. Le compositeur s'affranchit de toute limite créative, et est capable de passer de la plus douce des mélodies éthérées au piano à une succession de bruits de machines quasi inaudibles. Il a presque à lui seul forgé l'identité de la saga Silent Hill. Konami l'a même promu au rang de producteur sur la saga dès le troisième opus, avant qu'il ne quitte le navire en 2009 pour "divergences artistiques". Depuis, il a rejoint GrassHopper Manufacture aux côtés de Suda 51 (Killer 7) et Shinji Mikami (Resident Evil).

 

Silent Hill 2 : photoL'ambiance chez Konami depuis le départ de Yamaoka

 

Étant donné la patte si particulière de Yamaoka, il n'est pas étonnant que Christophe Gans ait utilisé tel quel de nombreux titres des OST de SH1 et SH2 pour son film Silent Hill. Lui seul semble capable de restituer une telle ambiance infernale, tout en produisant une palette d'émotions aussi large.

Si Silent Hill revient bien un jour, difficile de savoir qui pourrait être à la hauteur pour livrer une partition digne de celles du Maestro. Quel qu'il soit, celui ou celle qui prendra la relève risque de ne jamais se relever de la comparaison avec le travail de Yamaoka.

Tout savoir sur Silent Hill 2

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commentaires
Weezy
26/07/2022 à 13:34

Un chef-d’œuvre vidéoludique, un des jeux vidéos qui m'a le plus marqué. Effectivement, la BO était magistrale et a grandement contribué à la réussite du jeu, entre autres choses bien entendu. Durant cette époque, la Team Silent était à son meilleur. Très bon article.

nounours
16/07/2022 à 17:16

j'ai toujours aimé silent hill le 1 belle musique. je voudrais savoir si il va sortir le nouveau jeux sur xbox on

Nanteric
16/07/2022 à 17:02

Ah la série des Silent Hill

JamesCr
15/07/2022 à 23:55

"See... I'm real"

Kherv
15/07/2022 à 19:51

Je reste beaucoup plus marqué par le premier qui était profondément étouffant et naviguait en permanence au bord de la folie, et pour ma part la musique référence de Silent Hill c'est ça :
https://www.youtube.com/watch?v=w2cK8mOG4Q8
Je reconnais cependant que dans sa globalité, Silent Hill 2 est supérieur qualitativement.
Ce jeu à bénéficié d'un soir tout particulier.

Kelso
15/07/2022 à 17:16

J'ai toujours préféré le thème musical du premier moi, question de goût mais elle mettait bien l'ambiance et souvent je repense à cette musique très entêtante, je trouve la musique du deuxième plus anecdotique.

L'autre
15/07/2022 à 14:30

Un des mes souvenirs les plus marquants de gamer que ce jeu ! Le 1 était super, celui-ci est un chef d'oeuvre dépressif...Inoubliable!