Cannes 2023 : on a vu Killers of the Flower Moon, et c'est un chef d'oeuvre

Alexandre Janowiak | 20 mai 2023 - MAJ : 13/06/2023 15:58
Alexandre Janowiak | 20 mai 2023 - MAJ : 13/06/2023 15:58

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2023 du Festival de Cannes. Entre cinéastes confirmés et jeunes talents prometteurs, la centaine de films sélectionnés a de quoi donner le tournis. Après l’ouverture de Maïwenn, Jeanne du Barry, c’est l’heure de s'intéresser au film le plus attendu de cette édition : Killers of the Flower Moon. Signant le retour de Martin Scorsese sur la Croisette (cette fois hors-compétition) et mené par son duo d'acteurs fétiches Leonardo DiCaprio-Robert De Niro, le film est une fresque inouïe et un geste de cinéma miraculeux.

 

 

De quoi ça parle ? Dans les années 20, en Oklahoma, de nombreux membres de la tribu Osage, devenus riches grâce au pétrole, sont visés par une série de meurtres violents. Une enquête est menée pour tenter de résoudre cette succession de crimes baptisée « le règne de la terreur ».

C’était comment ? Dans une tribune publiée dans le New York Times en 2019 lors de la sortie de The Irishman, Martin Scorsese pointait du doigt « l’élimination progressive et constante du risque » dans l'industrie hollywoodienne et notamment celles des films à gros budget, au point de provoquer la co-existence de « deux champs séparés : d’un côté, le divertissement audiovisuel planétaire, de l’autre, le cinéma »Killers of the Flower Moon fait évidemment partie de la deuxième catégorie, sans trop de surprise, mais Martin Scorsese vient surtout rappeler l'importance du public dans cette bataille pour l'avenir du 7e art.

 

 

 

Se détachant très largement du bouquin éponyme de David Grann et de son enquête criminelle (reléguée à quelques scènes mineures du dernier tiers), Killers of the Flower Moon est, dans sa description la plus classique et basique pourait-on dire, un western fabuleux. Qu'il rende hommage à Sergio Leone dans les premières minutes et notamment l'arrivée en gare de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l'Ouest (ici reprise dans une quasi-similitude de plan avec le personnage de Leonardo DiCaprio) ou se démène à reconstituer avec une précision redoutable l'époque à travers les décors et les costumes, Martin Scorsese fait une entrée fracassante dans le genre qui a bercé son enfance.

Toutefois, à l'instar de sa carrière, le cinéaste se refuse à tomber dans les acquis du genre, à simplement reproduire ce qui a déjà été fait. Loin des courses-poursuites rythmées, des fusillades en fanfare ou des duels tonitruants, Killers of the Flower Moon repose au contraire sur une dynamique à la lenteur hypnotisante (qui devrait faire décrocher les moins persévérants). Ainsi, au fur et à mesure du visionnage, le film agit comme un lent poison, venant engourdir le spectateur pour mieux lui injecter sa puissance sourde et lui en faire prendre conscience (l'incroyable personnage de Lily Gladstone, excellente et touchante, vraie âme du film).

 

Killers of the Flower Moon : Photo Lily Gladstone, Leonardo DiCaprioOui ce plan est bien dans le film

 

Car Martin Scorsese transforme rapidement ledit western initial en une quête de vérité sur un épisode oublié de l'Histoire. Killers of the Flower Moon débute en effet sur l'inhumation d'un calumet Osage dans un signe de paix avec la communauté blanche américaine. La mise en terre d'un héritage, une époque, une façon de vivre, de croire... acceptée de bonne volonté, mais qui va venir signer leur propre arrêt de mort progressif, laissant peu à peu les Blancs (notamment guidé par la figure autoritaire de William Hale, Robert De Niro à son meilleur) prendre leur pouvoir, leur richesse et tout ce qu'ils avaient réussi à créer.

Et alors, pendant 3h26, Martin Scorsese observe l'extinction des Osage, subissant l'hubris de la communauté blanche despote et d'un capitalisme avide d'appropriations et domination. Une observation qui provoque un parallèle troublant, les tenants et aboutissants du récit ayant inévitablement un retentissement contemporain déconcertant sur le fonctionnement de notre système économique, politique et social. Mais plus encore, dans un geste miraculeux, Killers of the Flower Moon semble vouloir dénoncer la spoliation culturelle et cinématographique du monde actuel.

 

Killers of the Flower Moon : Photo Robert De Niro, Jesse PlemonsUne autre forme de duel

 

Quand Martin Scorsese filme l'extinction commanditée des Osage, il semble également filmer l'extinction d'une forme de cinéma. Après tout, une bonne partie du 7e art a cédé aux sirènes de l'argent et les grandes machines hollywoodiennes préférent compiler les oeuvres sans saveur plutôt que de prendre le risque de se planter. Et avec Killers of the Flower Moon, reposant sur une narration à l’opposée des préférences du grand-public, Martin Scorsese prend justement tous les risques. En déployant une fresque criminelle épique, violente, mais surtout exténuante, amère et funèbre sur la cupidité humaine, il semble exhorter les spectateurs à explorer de nouveaux territoires, à rallumer la flamme sur le point de s'éteindre.

Comme Ernest Burkhart (un des rôles les plus riches de Di Caprio), le spectateur se retrouve finalement complice d'une disparition programmée en se laissant noyer, acculer, berner par un système opprimant. Mais il n'est jamais trop tard pour cesser d'accepter un ordinaire fabriqué de toute pièce et dont on ne maitrise (plus) rien. Au contraire, il est toujours possible de se rebeller pour Martin Scorsese et de reprendre les rênes pour sauver ce qu'il reste encore de notre monde, de nos acquis et, ici, de l'idée de cinéma. Car in fine, un modeste tambour, une simple voix et un peu d'ingéniosité peuvent suffire à raconter les plus belles et grandes histoires. À émouvoir, surprendre, interroger... comme rarement auparavant et pour l'éternité. « This is cinema ». 

Et ça sort quand ? En France, il faudra patienter jusqu'au 18 octobre 2023 pour découvrir le film au cinéma.

Tout savoir sur Killers of the Flower Moon

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commentaires
Hugo Flamingo
22/05/2023 à 22:45

Oh les pov'ptits choubidous qui pleurnichent quant à la durée... Vous voulez une boîte de mouchoirs pour toutes les bouzes que vous vous etes mangées ces dernières années ? Tous les marvels, les fast and Furious et cie.
C'est pas de la cinéphilie de dire ça... sans avoir vu le film. Rester loin des chefs d'oeudr Bergman et cie alors, vous risqueriez d'aimer et de découvrir le vrai Cinéma.
Je peux juste juste vous expliquer mais je ne peux pas comprendre pour vous.


22/05/2023 à 16:11

Les commentaires parlent de la durée du film comme les collègues à la machine à café qui se refusent à regarder une série car trop de saisons. C'est critiquer par ennui puisque personne ne les oblige à regarder.
De mon côté, passionné par les cultures amérindiennes, j'ai adoré le livre dont il est adapté, la Note américaine. J'espère que le film ce fera sensible à la culture Osage car finalement la création du FBI n'est pas le sujet clé du livre.
Par contre, je suis curieux de voir quelle sera la fin du film, est ce qu'ils vont se caler sur la vraie fin du livre et dans ce cas je vois mal les 3h2o et quelque être acceptées par les spectateurs lambdas "tout ça pour ça", ou vont-ils prendre le risque de trancher et terminer par une fin qu'ils jugent plausible ?

GTB
22/05/2023 à 13:27

@Chris > "3h de film pour un blockbuster (fut il mauvais) resteront toujours plus agréables que 3h de blabla lénifiant pour le spectateur moyen."

C'est donc que la durée n'est pas le problème. Et c'est vrai dans les 2 sens...moi rien que les trailers de 2min de la plupart des blockbusters arrivent à m'ennuyer. Ce qui est quand même un sacré exploit pour du divertissement.

Moi numéro 2
22/05/2023 à 12:00

Enfin du vrai cinéma. Marre de toute la merde qu'on produit aujourdh'ui.

Flash
21/05/2023 à 22:04

Chris11@ "3h de blabla lénifiant pour le spectateur "
Ah, tout à vu le film, pour affirmer ce genre de choses ?

Chris11
21/05/2023 à 22:00

@GTB : 3h de film pour un blockbuster (fut il mauvais) resteront toujours plus agréables que 3h de blabla lénifiant pour le spectateur moyen.
Pour Nolan, Dunkerque et Tenet ne font clairement pas partie des mes films favoris chez lui mais ça reste très bien fait. J'attends comme toi beaucoup du prochain.

GTB
21/05/2023 à 21:15

@Chris11> "3h26, ce sera sans moi, et je pense que c'est le but : décourager les gens à aller voir ce film"

Les 3h05 d'Avengers Endgame et 3h15 d'Avatar 2 n'ont pas eut l'air de décourager...sans parler du fait que les gens bouffent des séries de 8 à 12 heures en un week-end donc bon...Killer ne fera pas des masses de recettes mais ça ne sera pas dû à sa durée.

Quant Nolan, ça fait 2,5 films que je le trouve particulièrement décevant. Oppenheimer sera un peu ma dernière tentative de réconciliation.

Chris11
21/05/2023 à 20:56

C'est un Scorsese, il est simplement impossible qu'un media quelconque trouve ses films mauvais quand bien même ils le seraient (coucou, The Irishman).
3h26, ce sera sans moi, et je pense que c'est le but : décourager les gens à aller voir ce film et venir pleurer après que "oh la la, le vrai cinéma souffre et qu'est ce que c'était mieux avant". Marvel enchaine les bouses, et les vieux réalisateurs s'encroûtent dans leur propre caricature. Dans ce match, je m'éclipse et je vais du côté de Nolan et Villeneuve.

Flash
21/05/2023 à 20:43

Redwan78@ Un entracte ? Sérieusement ? Quelle mauvaise idée.
Pour le coup, c’est vraiment un moyen de me faire sortir du film.

redwan78
21/05/2023 à 20:18

Ils ont l'intention de remettre en place les entractes pk 3H26. Le film va être long. En général, un bon Scorsese est plus court . Irishman durait 3H30, le loup de Wall Street 3H. Au bout d'un moment, on finit par décrocher et difficile de se replonger dans l'histoire.

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