Le Seigneur des Anneaux : comment Tolkien nous a sauvés d'une adaptation foireuse par Kubrick et les Beatles

Il y a des projets de films annulés que l'on regrette. Il y en a d'autres qui nous manquent beaucoup moins. La toute première tentative d'adaptation du Seigneur des Anneaux par les Beatles et Stanley Kubrick fait partie de ceux-là.

Lorsque la trilogie du Seigneur des Anneaux est publiée pour la première fois dans les années 50, bien que sa qualité littéraire soit reconnue, son impact culturel n'est pas immédiatement significatif – du moins, aussi significatif qu'aujourd'hui. Il faut attendre le milieu des années 60 pour que l'univers de J.R.R. Tolkien prenne fermement pied dans la culture populaire, et s'ancre notamment dans la toile de fond de la contre-culture (notamment dans le mouvement hippie) encore bourgeonnante. Quand celle-ci explose, Tolkien est un peu partout : sur les campus des universités, dans les chansons de Led Zeppelin, dans la tête des Beatles.

Les Beatles, dans un monde parallèle

Paul McCartney et Ringo Starr auraient raconté cette histoire à Peter Jackson qui l'a, à son tour, racontée à la BBC : alors que le groupe voyage en Inde en 1968, le groupe découvre les livres, et ils sont immédiatement conquis. Les Beatles, dont la gloire n'en finit plus de monter et s'apprêtent à sortir leur White Album de légende, commencent à rêver d'une adaptation pour le grand écran. Et leur projet est complètement délirant... pour ne pas dire un brin puant. Ils imaginent en effet – probablement au cours d'une soirée riche en consommation de carambar, smarties et autres confiseries – que le casting serait composé des membres du groupe eux-mêmes.

Paul McCartney jouerait Frodon. C'est le plus grand membre en taille des Beatles, mais admettons que jusqu'ici tout va bien. Ringo Starr, éternelle victime du groupe, se retrouverait à jouer Sam. George Harrison aurait joué Gandalf, parce que pourquoi pas, la moustache sans doute. Et enfin, John Lennon aurait interprété... Gollum. Là, on ne sait plus quoi dire, mais visiblement nous sommes les seuls puisque la MGM répond banco les cocos, et semble emballée par le projet. À moins qu'elle ne le soit par la perspective de vendre un film avec le groupe de musique le plus phénoménal (et rentable) de la décennie dans une adaptation du gros livre de fantasy du moment que tout le monde s'arrache.

Alec Guinness, admettez qu'on aurait pu en tirer un bon Gandalf.

Toujours est-il que l'idée fait son chemin, les Beatles envisagent même de faire la musique du film et commencent à approcher des réalisateurs. D'après Variety, plusieurs noms circulent. L'incroyable et amoureux des paysages épiques David Lean, à qui l'on doit Le Pont de la rivière Kwaï et qui sort tout juste des mémorables morceaux Lawrence d'Arabie et Docteur Jivago, est envisagé (et pour le coup on saute de notre siège). Le beaucoup moins incroyable Richard Lester, habitué à collaborer avec les Beatles avec qui il a fait les deux longs-métrages Help ! (déjà une histoire d'anneau maudit) et Quatre garçons dans le vent (traduction géniale de A Hard Day's Night), est aussi sur le radar.

Le chantre du cinéma de l'errance et du refus de la dramatisation classique, Michelangelo Antonioni, est également sur la liste d'après Variety, ce qui n'a absolument aucun sens. Mais peu importe, car celui que les Beatles veulent, c'est Stanley Kubrick. Le réalisateur vient en effet de sortir le bluffant 2001 : l'odyssée de l'espace, ainsi que Dr Folamour, une satire anti-militariste qui résonne avec les thèmes de la contre-culture des Beatles. De plus, son travail sur Spartacus l'a rompu aux films guerriers en costume. Mais deux problèmes se posent, qui vont tuer le projet.

"- Je suis Frodon ! - Je suis Frodon !"

D'abord, Stanley Kubrick refuse de réaliser l'adaptation, qu'il considère, toujours selon Variety, "impossible à filmer". Mais surtout, il faut obtenir les droits, et comme Tolkien est encore vivant en 1968, il faut négocier avec le monsieur en personne. Sauf qu'il refuse tout net. Peter Jackson a raconté à la BBC :

"Finalement, ils n'ont pas réussi à obtenir les droits, car Tolkien n'aimait pas l'idée qu'un groupe de pop adapte son histoire. Donc il a mis son veto (...). Mais le projet était vraiment sérieusement envisagé en 1968."

Et honnêtement, difficile d'en vouloir à Tolkien. Sans manquer de respect à personne (et surtout pas aux Beatles), imaginez un peu les BTS (groupe de musique le plus vendeur de 2022) qui se lanceraient dans une adaptation de Guerre & Paix dont ils assureraient également la BO, avec un Steven Spielberg enchaîné dans une cage pour réalisateur. Admettez qu'il y a de quoi être sceptique, mais qui sait. Peut-être que Le Seigneur des anneaux : Les Anneaux de Pouvoir qui sort cette semaine sur Amazon nous fera regretter nos quatre garçons qui se sont pris un vent.