Les scénaristes appellent à l'aide Roselyne Bachelot pour sortir du "statut d’esclaves modernes”

Antoine Desrues | 4 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Antoine Desrues | 4 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Le collectif Paroles de scénaristes a signé une tribune édifiante à l’attention du gouvernement, appelant à mettre fin à la précarité du milieu.

Dans de nombreux domaines du cinéma, la France a souvent fait figure d’exception. Parmi eux, la Nouvelle Vague a fortement popularisé l’idée que l'auteur d'un film est son réalisateur, d’où la récurrence d'une double-casquette avec le métier de scénariste. Pour autant, cette assertion n’a jamais été une vérité générale, d’autant plus que l’écriture demeure l’une des phases les plus complexes et floues du septième art, requérant parfois la présence d’autres auteurs, voire de scripts-doctors plus ou moins officieux pour permettre à un projet d’évoluer.

Seulement voilà, en France, la condition des scénaristes est devenue plus précaire que jamais. En effet, les crédits dédiés à l’écriture d’un film ou d’une série sont estimés entre 1 à 3% du budget global, là où il peut atteindre 10 à 15% aux États-Unis. Mais surtout, la législation de ce domaine de la part du gouvernement s’est révélée extrêmement faible, permettant à de nombreux professionnels, quel que soit leur métier, d’arnaquer des auteurs et d’invisibiliser leur travail.

 

photo, Cécile de FranceLe scénario, c'est la base

 

Le 1er décembre 2020, une page Facebook du nom de Paroles de scénaristes a permis à récolter des témoignages édifiants sur les conditions de travail en France. Ce lieu de rassemblement a déjà recueilli plus de cent-cinquante messages, évoquant contrats frauduleux, problèmes de droits d’auteur et autres absences de nom au générique d’une œuvre. Cette parole libérée a poussé le magazine Télérama à offrir une tribune à ce mouvement essentiel, qui s’est directement adressé à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot pour organiser des États généraux :

“Nous ne voulons plus subir et être réduit·e·s au statut d’épouses soumises des années 1950 : sans nom ni protection sociale, juste bonnes à mettre les autres maillons de la chaîne en lumière. Nous n’acceptons plus que notre rôle soit minimisé comme il l’est depuis la Nouvelle Vague. On dit que les scénaristes aident les réalisateur·trices à accoucher de leurs œuvres : nous ne sommes pas des sages-femmes ! L’œuvre ne préexiste pas à notre travail. Nous sommes co-créateur·trices. La vague est passée : elle était belle mais elle n’est plus nouvelle. Elle est poussiéreuse.”

 

photoLe scénariste se met à nu, sans festin

 

À grands coups d’images fortes, ce texte a non seulement rappelé la précarisation du domaine de l’écriture, mais a également mis en avant les absences de précision au niveau des lois, qu’il serait grand temps de réformer :

“L’État doit nous donner les moyens de correctement nous défendre pour sortir de ce statut d’esclaves modernes, sans chômage ni congés payés, payant des charges mais sans droit à une protection sociale digne de ce nom. [...]

Dans les pays anglo-saxons, les accords collectifs qui encadrent l’écriture font six cents pages et sont renégociés tous les trois ans. En France, cet accord fait seulement quatre pages pour la télévision et ne s’applique pas à l’animation ou au cinéma. Cela a des conséquences. Dans nos productions, les réalisateur·trices, acteur·trices, producteur·trices et autres, ne cessent de se servir arbitrairement et impunément sur le budget alloué au scénario, dépossédant ainsi les scénaristes d’une partie de leur maigre rémunération.

 

photoLa série En thérapie, prise dans la tourmente

 

Faire des commentaires sur un texte, changer trois dialogues ou déplacer quelques scènes ne doit plus donner le droit de se déclarer co-scénariste. Un scénario, ce sont des mois, souvent des années de travail pour conceptualiser, mettre en place les thèmes et les univers, imaginer puis structurer le récit, les personnages, les dialogues. Il faut arrêter avec le mythe de l’auteur qui écrit un texte en regardant par la fenêtre, touché par la grâce.”

Si le collectif Paroles de scénaristes a contribué à sensibiliser sur les problématiques de l’écriture en France, des cas concrets ont pu commencer à faire scandale. La scénariste Sabrina B. Karine (qui a co-écrit La Dernière Vie de Simon avec Léo Karmann) a notamment reproché à la réalisatrice Anne Fontaine et son équipe d’avoir déclaré à la presse avoir été à l’origine du concept de son film Les Innocentes, dont les premières versions ont été pourtant conceptualisées par Karine et Alice Vial.

Télérama avait également donné la parole à David Elkaïm et Vincent Poymiro, scénaristes de la série En thérapie, qui se sont vus refuser le statut de showrunner et de co-producteurs, qui a été plus tard octroyé aux cinéastes stars Eric Toledano et Olivier Nakache. Visiblement, le duo de réalisateurs aurait accepté de discuter avec les auteurs mécontents, afin de réviser leurs droits. Espérons y voir le début d'une nouvelle ère de l'industrie...

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commentaires
Fred_NTH
07/02/2021 à 22:34

"Esclaves", je n'aurais pas dit ça. En revanche, nous n'avons pas de chômage, pas d'indemnités, nous ne sommes pas intermittents... Les seuls revenus "secondaires" qu'on peut toucher proviennent d'oeuvres déjà produites et diffusées. C'est une chance rare de pouvoir en vivre pleinement et il est assez récurent de vouloir abandonner en cours de route mais je ne blame personne pour cela, je n'ai pas défini les règles et on ne ml'a pas forcé à vouloir écrire. Nombre d'auteurs ont continués à exercer une autre profession avant de se concentrer sur l'écriture. Il faut parfois attendre 40, 50 ans ou plus pour cela. C'est un métier qui se construit sur l'opportunité, les rencontres, la chance et on n'en a pas toujours. Il est néanmoins certain qu'une aide serait parfois la bienvenue et je remercie ceux qui y croient assez fort pour se lever et s'unir dans ce sens.

Kyle Reese
06/02/2021 à 13:48

En fait pas du tout sympa le message, c'était trop beau ... lol

Birdy %
05/02/2021 à 22:12

Dommage, j'aurais eu le plaisir de râler sur ton ignoble dévotion à Marvel/Disney/Trump/KKK/illuminatis...

Kyle Reese
05/02/2021 à 21:42

@Birdy %

Hello Birdy, non je ne fais pas parti de la Team, c'est juste l'image de mon avatar qui avez sauté d’où la confusion. Je viens de la re-loader. En tout cas merci pour ton sympathique commentaire ;)

Birdy %
05/02/2021 à 20:32

@ Kyle Reese : eh l'ami ! Tu fais partie de la team EL ? Dans ce cas félicitations, te lire a toujours été un plaisir.
Et merci pour le lien. Ce sujet me tient particulièrement à cœur, et je rêve de voir enfin les "conteurs" récompensés à leur juste labeur.

Kyle Reese
05/02/2021 à 19:30

Je viens de lire un témoignage assez poignant sur le sujet sur la page facebook de Paroles de scénaristes. Les 2 scénaristes du film Encore Heureux qui ont été mené en bateau bien comme il faut par la maison de production, la productrice, le réal, leur agent aussi mais qui au final on fait un procès qu'ils ont gagné malgré menaces et pressions.

c'est le post du 2 février, 10:17

https://www.facebook.com/parolesdescenaristes/

C'est vraiment gerbant.

Opale
05/02/2021 à 07:49

Je les comprends tellement mais le terme "esclaves modernes" est un peu exagéré et hors contexte. Ok, on parle de scénaristes, mais la dramatisation à outrance ce n'est jamais très bon dans un scénario.

Trucbidule
05/02/2021 à 07:30

@fedor85....
Selon votre logique une entreprise qui gagne beaucoup d'argent renumere bien ses employés qui l'aide à devenir à devenir riche.
Je comprends mieux les délocalisations, c'est pour aider les pays en voie de développement.

Permettez moi de vous le dire vous n'êtes qu..... Et puis non.... Pas envie de flattée votre ego

Birdy %
05/02/2021 à 01:25

Je confirme. C'est vraiment très dur d'imaginer une solution devant la toute puissance de producteurs sans scrupules, si la loi n'encadre pas mieux.

Et les génies qui pensent tout savoir comme Fedor ci dessous, n'arrangent rien.

Hugo Flamingo
04/02/2021 à 23:02

à fedor85 qui dit ''Tient c'est bizarre, les scénaristes poussent un coup de gueule, mais ne demande pas à discuter avec les producteurs pour remédier au problèmes.''
réponse ; les scénaristes n'essayent que de parler aux producteurs qui ne répondent pas à leurs appels ni leurs emails et au bout de plusieurs années, comment feriez pour vous vivre sans être payer pour un travail de plusieurs mois ou plusieurs années ?

et '' Donc logiquement des société de prod bien gérés et ayant les moyens de ne pas sous-payer des scénaristes.''
Réponse : effectivement, vous ne connaissez pas du tout le système de production, financement etc ; ''bien géré'' ne veut strictement rien dire... allez lire la page ''paroles de scénaristes''

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