Claude Berri

Didier Verdurand | 15 janvier 2007
Didier Verdurand | 15 janvier 2007

Un tête-à-tête d'une vingtaine de minutes avec le roi du cinéma français est trop court pour parler des nombreux pics d'une carrière aussi riche en classiques. Après nous avoir confié quelques infos sur sa dernière réalisation, l'émouvant L'un reste, l'autre part, Claude Berri se penche sur ses plus gros échecs… qui ne sont pas mauvais pour autant. La marque d'un grand monsieur du cinéma !

 

Y a-t-il eu des scènes particulièrement difficiles à tourner du fait que votre film est en partie biographique ?
J'avais pris suffisamment de recul : j'ai réalisé L'un reste, l'autre part comme une fiction et aucune scène en particulier ne m'a posé problème. C'est un film qui va au-delà de l'autobiographie, d'autant plus qu'il y a deux histoires. Celle de Pierre Arditi et Nathalie Baye, même si je peux me reconnaître par moments dans le personnage d'Arditi. Celui qui me l'a racontée la vivait de manière tragique, mais moi, au contraire, j'en étais très amusé.

 

Combien de prises pour la scène avec Daniel Auteuil qui en vient aux mains avec son fils ?
Une seule prise, un seul plan. Daniel a dû se concentrer, je lui ai dit d'aller à fond et il savait très bien ce qu'il avait à faire. Peut-être ai-je juste poussé un cri pour donner la tonalité. Il a joué cette scène avec tellement de conviction qu'à la fin il était ému, son coeur battait la chamade. Heureusement que nous n'avons pas eu à refaire une prise, car il aurait fallu attendre un long moment avant de pouvoir tourner à nouveau.

 

D'une manière générale, vous tournez plus qu'il ne le faut ?
Je ne suis pas du genre complaisant, donc je tourne pas mal et après je coupe en fonction du rythme. La maîtresse du personnage d'Arditi avait un copain qu'elle faisait passer pour son fiancé. L'acteur était très bon, les scènes étaient vraiment comiques, mais je ne les voyais pas incluses dans le montage final. On les verra dans les bonus du DVD...

 

Vous pensez au DVD quand vous tournez un film ?
Non, et je ne suis pas grand consommateur de DVD. Je considère que les films sont faits pour être vus en salles. En revanche, c'est utile pour les films anciens. Dans le temps, il y avait des cinémas spécialisés dans les reprises, mais aujourd'hui cela n'existe plus à cause de la télévision.

 

Revenons à Aïssa Maïga, qui interprète Farida. Il est rare que le cinéma français offre un si grand rôle à une comédienne noire.
Pierre Arditi est un marchand d'art africain et il me semblait naturel que sa vendeuse soit noire. Blanche ou noire, elle est l'archétype de la célibataire de trente ans qui tombe amoureuse d'un homme marié, et elle espère qu'un jour il abandonnera sa femme pour reconstruire sa vie avec elle. Les minorités ethniques sont surtout représentées dans les films sur les banlieues, comme L'Esquive, d'Abdel Kechiche. En Amérique, c'est monnaie courante, car il y a là-bas une forte population noire, et ils ont des acteurs extraordinaires qui attirent le public. En France, ce n'est pas le cas, effectivement.

 

Et Dieudonné n'a plus trop la côte !
Il s'est fait du tort avec ses déclarations, et c'est bien dommage car c'est un acteur formidable.

 

Quel est le seuil minimum d'entrées qu'il faudrait réunir par rapport au budget de L'un reste, l'autre part ?
Je vise le maximum, mais seul le public décide. Il faudrait dépasser le million d'entrées, déjà, pour commencer...

 

Depuis quelques années, vous avez délaissé les grosses productions pour des films plus intimistes. Cela ne vous manque pas ?
Pas du tout. J'étais en manque d'inspiration personnelle après Je vous aime. J'ai eu la chance de lire Tchao Pantin, puis il y a eu Jean de Florette, et je suis donc rentré dans une période d'adaptations. Mais dès que j'ai pu revenir, avec La Débandade, à un cinéma plus proche de ma vie, je l'ai fait. Une femme de ménage à part, puisque cela part d'un livre.

 

Si vous deviez choisir entre la production et la réalisation ?
On est beaucoup plus concerné quand on réalise, c'est plus exaltant. Il est évident que si j'avais ce choix à faire, je choisirais de ne plus produire.

 

Astérix 3, qui devait être mis en scène par Gérard Jugnot, verra-t-il le jour ?
Pourquoi pas ? Le scénario n'avait pas plu à Uderzo, c'est la raison pour laquelle le film ne s'est pas fait ; mais il se pourrait très bien qu'il y ait un troisième Astérix, avec ou sans Jugnot.


 

   

Imaginez-vous faire un film sur Serge Gainsbourg ?

Il y a tellement de documents sur lui qu'on pourrait faire un documentaire. Je ne crois pas du tout en une fiction sur lui, en tout cas je ne m'y lancerai pas.

 

Vous lisez beaucoup de scénarios ?
Heureusement, j'ai quelqu'un de très bon au bureau qui les lit avant moi. En admettant qu'on m'envoie deux ou trois scénarios par semaine, je passerai mon temps à les lire. À ma connaissance, je n'ai pas le souvenir d'un scénario anonyme arrivé et qui a donné suite. Je m'intéresse d'abord aux metteurs en scène. Je peux produire un premier film, mais avec des types comme Alain Chabat, Yvan Attal...

 

Qu'est-ce qu'un très bon lecteur ? Quelqu'un qui partage la même vision que vous du cinéma ?
Pas forcément. Un bon lecteur lit un scénario et pense qu'il pourrait faire un bon film ; encore faut-il savoir qui va le réaliser... Un film, c'est d'abord un metteur en scène.

 

Vous avez un point de vue commercial quand vous lisez un scénario ?
On ne sait jamais à l'avance. Quand j'ai produit La Reine Margot, je savais que j'allais perdre de l'argent, mais pas à ce point, car le budget a été largement dépassé et nous n'avions qu'une seule séance le soir. Les États-Unis refusaient de sortir un film aussi long, et Patrice Chéreau avait fini par faire des coupes pour qu'il y ait quatre séances quotidiennes. Il revendique désormais cette version.

 

Valmont, quant à lui, est sorti à un mauvais moment...
Stephen Frears et Milos Forman se sont embarqués au même moment dans une adaptation des Liaisons dangereuses, et il se trouve que le Frears est sorti en premier et a beaucoup plu. Le public n'allait pas retourner voir la même histoire, même si Valmont est un film magnifique et différent. Je porte la responsabilité de cet échec.


 
   

Vous saviez que Frears était sur ce projet ?
Non. Nous aurions pu le vendre à une quantité énorme de territoires et cela ne s'est pas fait. Nous étions très optimistes. Trop. Nous pourrions aussi parler d'un autre échec que j'aime beaucoup, le dernier film de Jacques Demy, Trois places pour le 26.

 

Comment expliquez-vous cet échec ?
Yves Montand avait déclaré à la télévision que les Français devaient se serrer la ceinture et que lui-même avait reçu de l'argent pour faire l'émission. Le Canard enchaîné s'était déchaîné et d'autres journaux avaient suivi. Montand en avait vraiment souffert. Et puis, l'histoire du film tournait autour de l'inceste. Pourtant, le film avait bien été accueilli lors des projections avant la sortie... Le Cinéma de papa, en 1970, avait connu une autre situation. Il s'était fait assassiner par la critique, et trente ans plus tard certains parlent de film culte ! Des échecs, il en faut. Il y a des creux et des bosses dans le cinéma, on doit les accepter.

 

Vous pourriez reproduire un film de Milos Forman ?
Il est aux États-Unis maintenant, et c'est compliqué d'y produire un film.

 

Que pensez-vous de l'exercice de la promotion ? Vous étiez partout à la télévision ces derniers temps...
Cela ne m'amuse pas particulièrement, mais il faut le faire. Avec L'un reste, l'autre part, les médias s'adressaient plutôt à moi en raison du côté autobiographique du film. Il y a des émissions que certaines comédiennes n'aiment pas faire, je ne donnerai pas de nom... En Amérique, les acteurs, dans le domaine de la promotion, sont plus consciencieux.

 

Vous le regrettez ?
Bien sûr ! Dans mon prochain film, tiré du livre d'Anna Gavalda Ensemble, c'est tout, Charlotte Gainsbourg interprètera le rôle principal, et sur ce film je ne participerai pas à toute la promotion car je serai juste le metteur en scène d'une histoire que je n'ai pas écrite. Il faudra que Charlotte assure la promo !

 

Trouvez-vous qu'elle est de plus en plus à l'aise devant une caméra, vous qui la connaissez depuis son plus jeune âge ?
On s'entend bien et elle a un talent magnifique. Je n'ai pas eu vraiment besoin de la diriger. Elle s'implique aussitôt dans le personnage, et elle éprouve les sentiments de chaque situation.

 

Quel est votre rêve de producteur le plus fou ?
Vous savez... Les rêves, je les réalise. Les rencontres m'importent plus.

 

Propos recueillis par Didier Verdurand en janvier 2005.

Tout savoir sur L'un reste, l'autre part

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