Wayne Kramer (Lady Chance)

Stéphane Argentin | 31 août 2004
Stéphane Argentin | 31 août 2004

À l'heure où certains s'extasient devant leur scénario « celle-là vous l'avez pas vu venir », et autres effets spéciaux plus forts que le voisin, Wayne Kramer s'inscrit pour son premier long métrage dans un registre non tape-à-l'œil et beaucoup plus auteuriste. Rencontre avec un réalisateur avant tout amoureux de cinéma, qui n'hésite pas à dire ses quatre vérités au système hollywoodien.

Lady chance est votre premier long métrage, mais vous avez aussi un immense background en tant que scénariste.
Oui, je suis scénariste à Los Angeles depuis de nombreuses années, tout en me battant pour réaliser mon premier long. Avant Lady Chance, j'ai vendu le script de Mindhunters, réalisé par Renny Harlin et qui sortira l'année prochaine. J'ai également vendu des scripts à Rob Minkoff, le réalisateur du Roi lion et de Stuart Little 1 et 2. Mais j'ai toujours voulu réaliser. Je suis arrivé aux États-Unis à 21 ans, je ne connaissais personne, et j'ai fait, comme beaucoup d'autres, les pires boulots sur cette terre : serveur, plongeur... tout en continuant à rédiger des scénarios dans l'espoir de percer un jour ou l'autre et d'obtenir ainsi ma première réalisation. Je n'ai jamais séparé ces deux activités. Pour moi, les vrais réalisateurs sont ceux qui écrivent une histoire et la mettent eux-mêmes en images, lui donnent vie. Donc c'était important pour moi d'écrire tout en conservant la réalisation en ligne de mire.

L'écriture vous a donc ouvert les portes d'Hollywood ?
Oui. Il y a de nombreuses façons de percer à Hollywood. Vous pouvez tourner des vidéoclips mais il faut trouver l'argent, des chanteurs, et faire quelque chose de suffisamment réussi pour se faire remarquer. Ou bien vous pouvez rédiger un très bon scénario. Mais on vous répond alors : « Nous allons confier la réalisation à Renny Harlin ». Et vous rétorquez donc : « Non, si le scénario vous intéresse, je veux le réaliser ». La plupart vous répondent alors : « Non, on ne peut pas faire ça ». Mais il y a toujours, un moment ou un autre, quelqu'un qui va se dire : « Peut-être que ce type peut le faire ». Étant diplômé d'une école d'art, j'ai entièrement storyboardé le film que j'ai ensuite montré à Ed Pressman [le producteur, NDLR], qui a produit Wall Street d'Oliver Stone, ou bien encore Le Fantôme du paradis et Sœurs de sang de Brian De Palma. Eddy a soutenu de nombreux réalisateurs dans leurs toutes premières œuvres. Il sait « voir » le film, les plans, et en conclure : « Ce type sait ce qu'il fait. » C'est à lui que je dois ma percée. Et ça a marché comme je le voulais. Parce qu'à présent, il y a ce show HBO aux États-Unis intitulé Project Green Light, pour les premiers scénarios et premières réalisations. Et cette émission est un véritable cauchemar, ils font tout de travers et vous mettent tellement de bâtons dans les roues, que tout ceux qui passent par ce show en reviennent en disant : « On ne veut plus jamais entendre parler de cette émission ! » Mais tous les grands metteurs en scène, tels que Michael Mann ou Roman Polanski, sont passés par la case « premier film » à un moment ou un autre, et ils ne coûtaient pas cher [rires].

Vous semblez très reconnaissant à votre producteur de vous avoir obtenu les acteurs, la réalisation... Il était vraiment au cœur du projet ?
Il y a eu plusieurs personnes impliquées, mais Michael Pierce, avec qui je vais mettre sur pied un autre film, et moi n'étions pas encore véritablement implantés à l'époque. Mon ami [le co-scénariste Frank Hannah, NDLR] est venu me voir en me disant : « Écrivons cette histoire dont je viens d'avoir l'idée, à propos de Vegas et des porte-malheur. » Nous nous sommes donc mis au travail, nous avons contacté William H. Macy, et au fil des rencontres par agents successifs interposés, nous nous sommes retrouvés devant le producteur Ed Pressman. C'est une évolution graduelle très lente, où chaque interlocuteur donne un coup de pouce au projet. Et à l'arrivée, ça nous a pris quatre ans pour que le film voie le jour. Mais le point de départ, c'est toujours cette première personne qui croit en vous, et dans le cas présent, cette personne c'était Michael Pierce.

Ce sont donc tous ces niveaux, tous ces interlocuteurs successifs qui prennent autant de temps ?
Oui. Vous savez, à Hollywood, c'est très facile de dire « non » mais beaucoup plus difficile de dire « oui », car ils doivent prendre des risques. On avait beau avoir William H. Macy qui, à mes yeux, est l'un des meilleurs acteurs au monde, on me répondait : « Ce n'est pas une raison suffisante pour vous donner l'argent. » Ce qui s'est passé, c'est que la présence de William H. Macy a amené d'autres grands acteurs désireux de tourner avec lui à s'intéresser au film, tels qu'Alec Baldwin, Maria Bello, Ron Livingston, Paul Sorvino. Car, soyons honnêtes, ils ne viennent pas faire le film parce que je suis le meilleur réalisateur au monde, pour la simple et bonne raison que je n'ai rien fait auparavant, et que par conséquent ils n'ont rien pu voir de mes précédentes réalisations. Mais à présent que j'ai réalisé mon premier film, ce sera peut-être différent la prochaine fois.

L'idée du scénario vient de votre ami Frank Hannah, co-scénariste du film. Est-ce le concept de chance-malchance, ou l'histoire d'amour qui a attiré votre attention ?
C'était un tout. Cette idée d'un personnage qui porte malheur et change parce qu'il tombe amoureux, c'était parfait pour un film. Vous pouvez en faire une grande et belle histoire. Puis nous avions besoin d'autres personnages, tels que le directeur du casino, pour contraster et se placer dans un contexte de films noirs comme savaient les faire Jean-Pierre Melville, ou bien comme dans Chinatown et L.A. Confidential. Prendre cette qualité, ce label « classique », et y ajouter l'histoire d'amour. J'adore également les films tels que Sexy Beast, qui montrent le côté humain et ambigu des gens.

Vous venez de citer Melville, mais vous citiez également Capra pour Lady Chance. On trouve aussi un côté très Casino de Scorsese, pour ce qui se passe dans les coulisses d'un casino. Avez-vous d'autres références, pour ce film en particulier, ou d'une façon plus générale ?
Je suis très influencé par Brian De Palma et Michael Mann pour la violence, et par Sam Peckinpah pour cette sorte de machisme. Tous les personnages de Lady Chance sont à un niveau ou un autre influencés par Peckinpah. Si vous regardez La Horde sauvage avec ces hors-la-loi très agressifs, eh bien c'est la même chose avec le personnage qu'interprète Alec Baldwin, qui se bat farouchement pour conserver son casino en l'état et continuer à le faire fonctionner selon ses règles face au modernisme. Et tout le monde sait qu'il ne peut pas gagner. Il y a donc une grande noblesse dans la détresse de cet homme. Je trouve donc ça très Peckinpah dans les thèmes abordés, mais avec la vitalité d'un Scorsese. Scorsese bouge la caméra de façon intéressante, tout en créant des univers authentiques. Ça m'intéressait de créer un monde où le gérant d'un casino, qui croit en la superstition, « rencontre » le monde moderne. Pour De Palma, j'aime aussi la façon dont il bouge la caméra sans pour autant « sortir » de l'histoire. Il crée des mondes très cinématographiques. Je suis très « vieille école », même si j'apprécie aussi énormément le travail de réalisateurs plus récents tel que David Fincher. Dans tous les cas, vous êtes toujours forcément influencé. Pour Capra, la référence majeure de Lady Chance vient évidemment de Horizons perdus. Il y a définitivement une métaphore avec le nom du casino, le Shangri-La. Personne n'y vieillit jamais, c'est la sérénité. C'est ainsi qu'Alec Balwin voit son casino. Vous voyez aussi Paul Sorvino dans sa loge en train de se changer, William H. Macy est appelé aux tables de jeux par les hauts-parleurs... ce sont tous des personnages de Horizons perdus.

Dans un domaine plus technique, il y a un gros travail sur la photographie : chaleureuse dans le casino et glaciale à d'autres endroits, comme lors du passage à tabac du fils de Macy. Est-ce quelque chose auquel vous prêtez attention ?
Mon directeur photo, James Whitaker, et moi en avions discuté car nous souhaitions un contraste entre la malchance de Macy, et les moments où il est amoureux. Nous avons en effet utilisé des éclairages très chaleureux venant du sol quand il est amoureux ou qu'il gagne. Son costume lui va mieux, tout le personnage « s'illumine ». Au début, lorsqu'il porte la poisse, son costume est trop grand, il a des cernes sous les yeux, mais tout ça change dès lors qu'il tombe amoureux. Nous avons beaucoup joué avec les costumes, et pas seulement pour le personnage de Macy, aussi pour Ron Livington, qui est le vrai méchant du film, plus qu'Alec Baldwin. Au début, son costume est beige, et plus le film avance et plus son costume s'assombrit, et à la fin c'est le « man in black ». Nous avons aussi beaucoup utilisé le vert, car c'est la couleur des tables de jeu.

Vous disiez avoir eu beaucoup de chance avec la commission de censure américaine. Avez-vous néanmoins été obligé de faire des coupes ?
Oui. Vous avez vu la version non censurée. C'est la version qui sera visible dans le monde entier à l'exception des États-Unis, ce qui est très regrettable. Dans la seconde scène d'amour où Macy descend le long du corps de Maria Bello, vous voyez son pubis pendant une fraction de seconde, et on m'a alors dit : « Vous ne pouvez pas montrer ça. » Cette image de pubis les a mis mal à l'aise, parce que le début de la séquence, qui consiste en un plan de vingt-cinq secondes sur le visage de Maria Bello qui prend du plaisir, leur semblaient suffisamment explicite. C'est très hypocrite de leur part parce que, quelques semaines plus tard, j'ai vu Swimming pool de François Ozon, dans lequel il y a plus de sexe, plus de pubis, plus de tout, et il est classé R alors qu'il voulait donner un NC17 à Lady Chance, soit l'équivalent d'un classement X mais pour les films non pornographiques. La moitié du temps, ils ne savent pas ce qu'ils font, ils sont hypocrites et massacrent les films aux États-Unis. C'est pourquoi des réalisateurs tels que moi doivent leur faire face et dire : « Stop ! » On veut pouvoir regarder et faire des films sans que l'on vienne nous dire ce que l'on peut ou non montrer. En plus, cette classification NC17 ne fonctionne pas ; les studios ne veulent pas s'en servir, les distributeurs non plus, donc ils devraient nous donner une classification pour nous permettre de faire ce genre de films. Ils disent qu'il n'y a pas de censure aux États-Unis mais c'est faux, il ne faut pas les croire, il y a beaucoup plus de censure qu'ils ne veulent bien l'admettre.

Pouvez-vous à présent nous parler du DVD de Lady Chance ? Avez-vous déjà commencé à aborder la question ?
On en a discuté très tôt. Il contiendra la version non censurée. Pendant le tournage, mon assistant a filmé plusieurs heures de coulisses. Il y aura aussi des scènes coupées, je ferai un commentaire audio avec le co-scénariste Frank Hannah, le directeur de la photo James Whitaker, le compositeur Mark Isham, les acteurs, les producteurs. J'adore les DVD, je suis accro, j'en ai des milliers. Ma femme n'arrête pas de me dire : « Tu achètes tout le temps des DVD » ! Le distributeur aux États-Unis, Lions Gate, fait de très bons DVD. Je pense donc que celui de Lady Chance sera très réussi, et que les fans de DVD qui ont aimé le film l'apprécieront.

Quels sont vos futurs projets ?
J'espère que ce sera le script que je viens de rédiger, qui s'intitule Dubbing De Niro, et qui raconte l'histoire du doubleur de De Niro en Italie. Il double tous ses films depuis trente ans et on veut le remplacer par un acteur plus jeune, tandis qu'il découvre dans le même temps qu'il a un cancer de la gorge et qu'on va lui retirer les cordes vocales. Il veut alors finir le film qu'il est en train de doubler, ce sera son héritage. Il va donc à New York pour rencontrer Robert De Niro et le supplier d'être son doubleur une dernière fois. Mais à son arrivée, on le prend pour une sorte de parrain de la mafia venu aux États-Unis régler un conflit entre deux familles. Ça part donc d'un quiproquo tout en restant aussi très humain. J'ai écrit un rôle pour Maria Bello dans ce film, celui d'une femme qui le rencontre et le prend sous son aile afin de le protéger. L'idée de ce film, c'est un peu le cinéma de Giuseppe Tornatore (Cinema Paradiso) rencontrant celui de Scorsese. Alors, si vous avez aimé Lady Chance, vous aimerez celui-là aussi. J'écris aussi en ce moment un script pour William H. Macy qui s'intitule The Sleeping Detective, à propos d'un détective privé avec de grandes aspirations, mais qui n'est bon à rien et qui s'endort tout le temps.

Vous allez donc continuer à la fois à écrire et à réaliser ?
Oui, je pense que je ne réaliserai que des films que j'ai écrit, ou bien je ferai des adaptations de nouvelles que j'aime. Je suis en train d'essayer de monter The Black Dahlia de James Ellroy [auteur entre autres de L.A. Confidential et Dark Blue], qui, je pense, est un projet magnifique. C'est en pourparlers parce que David Fincher a voulu le faire pendant des années, mais il n'est plus sur le projet à présent.

Vous allez donc continuer dans les projets indépendants ?
Pour l'instant oui. Je ne veux pas faire de grosses productions, parce que je pense qu'on ne peut pas apporter de touches personnelles quand il y a cinquante exécutifs qui s'assurent que vous employez correctement leurs millions, et qu'à l'arrivée personne n'aime le film. Mais on verra bien, il ne faut jamais dire jamais. Peut-être qu'un jour je ferai un film de ce genre. J'aimerais faire un James Bond, mais je ne pense pas qu'ils me courent après pour le moment. Je pense que le côté humain du personnage aurait besoin d'être davantage développé. Mais pour le moment, je veux continuer à la fois d'écrire et de réaliser. Je ne veux pas tricher avec le public. Je veux que quand il aille voir un de mes films, il voit quelque chose d'unique et de différent, quelque chose qu'il n'a pas vu auparavant. Je ne veux pas être un simple « faiseur » de plus à Hollywood, un du genre qui prend le script et l'argent, parce que je ne pourrais plus me regarder dans une glace après ça. J'adore trop les films et le cinéma pour faire quelque chose de facile et stupide.

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