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Peggy Sue s’est mariée : le Retour vers le Futur pour adultes de Francis Ford Coppola

Par Judith Beauvallet
29 août 2023
MAJ : 22 septembre 2023

En 1986, Francis Ford Coppola réalise Peggy Sue s’est marié, un film sur le voyage dans le temps sorti l’année d’après l’énorme succès de Retour Vers le Futur.

Peggy Sue s'est mariée : dossier abonnés - retour vers le futur pour adultes

Déjà réalisateur mythique d’Apocalypse Now et du ParrainFrancis Ford Coppola réalise en 1986 l’un de ses meilleurs films, pourtant rarement cité dans sa carrière. Et pour cause : Peggy Sue s'est mariée est un film sur le voyage dans le temps, sorti l’année d’après l’énorme succès de Retour vers le futur.

Sorti en 1985, Retour vers le Futur n’est pas le seul film sur un voyage dans le temps du milieu des années 80. L’année d’après le carton de Robert Zemeckis, c’est Francis Ford Coppola qui proposait son interprétation du sujet à travers l'histoire d’une femme qui retrouve ses parents et sa vie de lycéenne 25 ans en arrière. Avec Kathleen Turner dans le rôle principal et Nicolas Cage dans celui de son mari insupportable, Peggy Sue s’est mariée est rarement cité parmi les films emblématiques de Coppola.

D’ailleurs, le réalisateur n’a rejoint la production que tardivement, alors que le scénario de Jerry Leichtling et Arlene Sarner devait d’abord être mis en scène par Jonathan Demme, lequel quitta le projet pour des différends artistiques. Pourtant, on retrouve dans le film nombre des obsessions de Coppola, et sous la bluette pastel et nostalgique, le réalisateur explore les thèmes sombres et mélancoliques qui hantent son cinéma. Retour (vers le futur) sur un film qui vend du Doc et Marty en surface, mais qui, en sous-texte, donne du Dracula et du Donnie Darko.

 

Peggy Sue s'est mariée : photo, Kathleen TurnerKathleen au bal du diable

 

De Buddy Holly à la Coppola family

Toute ressemblance avec Retour vers le Futur serait purement fortuite, et pourtant, le profil des deux films est étonnamment similaire. Jouant sur la même fibre nostalgique de la fin des années 50, option rockabilly et marchand de glaces, les deux mettent en scène le fantasme de retourner dans le passé (y découvrir la jeunesse de ses parents pour l’un, et sa propre jeunesse pour l’autre) pour changer sa vie actuelle.

Avec un budget quasiment égal (19 millions pour le Zemeckis et 18 millions pour le Coppola), il est évident que le premier a totalement éclipsé son concurrent dans l’histoire de la pop culture, les aventures de Doc et Marty rapportant 390 millions de dollars, contre un score juste acceptable de 41,5 millions pour Peggy Sue.

Des chiffres relativement modestes dont Coppola est un habitué, car s’il a su se faire reconnaître en tant que génie, le réalisateur n’a jamais été un porte-bonheur du box-office, à part dans le cas du premier Parrain en 1972. Avant Peggy Sue (et après aussi, d’ailleurs), sa filmographie est majoritairement composée de performances timides, voire décevantes, avec par exemple Conversation Secrète (1974) qui ne rapporte que 4.4 millions au box-office pour un budget de 1.6, ou The Outsiders (1983) qui coûte 10 millions pour en rapporter un peu moins de 34.

 

Peggy Sue s'est mariée : photo, Kathleen Turner Quand il y a interro et que t'as pas révisé depuis 25 ans

 

Et encore, c’est sans compter les vrais gros plantages comme Rusty James (1983), qui rapporte seulement 2 millions sur 10, et Coup de Cœur (1982) qui est un échec légendaire, avec son budget de 26 millions ne rapportant qu’un peu plus de 600 000 dollars au box-office. Que d’excellents films, oui ! Mais aussi que de chiffres peu encourageants ou carrément effrayants pour les studios.

Et Peggy Sue s’inscrira dans cette continuité de budgets tièdes et de résultats tièdes, ne marquant ni le public (qui retiendra Retour vers le Futur), ni la carrière de son réalisateur (dont seront retenues les fresques épiques et violentes). Pourtant, malgré son parcours anecdotique, Peggy Sue s’est mariée est un film thématiquement très important dans la filmographie de Coppola, pour la simple et bonne raison qu’il marque un tournant dans son exploration éternelle du temps.

 

Peggy Sue s'est mariée : photo, Kathleen Turner"Here's Peggy !"

 

À la recherche du temps perdu

Bien que Coppola ne soit pas à l’origine du scénario, celui-ci semble étrangement avoir été écrit pour lui. En effet, l’ensemble de son œuvre est traversé par la question de la subjectivité et de la malléabilité du temps, ainsi que par celle de la puissance des souvenirs et de la nostalgie. Ce sera d’ailleurs d’autant plus le cas après Peggy Sue, avec des longs-métrages comme Dracula (1992), dans lequel le vampire traverse les siècles pour séduire la réincarnation de sa fiancée, et sa trilogie sur le temps, composée de ses derniers films en date : L’Homme sans Age (2007), Tetro (2009) et Twixt (2011).

Dans le premier, le personnage de Tim Roth se met à rajeunir, un an avant Benjamin Button. Dans le second, deux frères cherchent à mieux comprendre leurs origines à travers leurs souvenirs. Dans le dernier, Val Kilmer élucide un meurtre vieux de presque deux siècles en mélangeant passé et présent dans ses rêves. Autant de sujets qui sont en réalité déjà présents dans Peggy Sue, et malgré le vernis rose bonbon de cette semi-comédie, le regard que Coppola porte dessus est tout aussi sérieux et mélancolique que dans sa trilogie de drames.

 

Peggy Sue s'est mariée : photo, Kathleen Turner, Nicolas CageLe saviez-vous ? Kathleen Turner a accusé Nicolas Cage d'avoir volé un chihuahua sur le tournage

 

L’obsession du réalisateur pour le passé et la matérialisation du souvenir est d’ailleurs palpable dans la formidable scène lors de laquelle Peggy Sue revient chez ses parents pour la première fois dans le passé. Là où, dans Retour vers le Futur, le plongeon dans les années 50 est essentiellement traité avec humour (aussi grâce à la distance permise par le fait que Marty n’ait jamais connu l’époque qu’il visite), ici la caméra de Coppola suit délicatement le regard d’une Peggy Sue à fleur de peau, émue par tout ce qu’elle voit. Sans que l’action l’explicite, le spectateur a l’impression de retrouver des sensations et des odeurs d’une autre époque tandis qu’il est perché sur l’épaule de l’héroïne.

Encore plus touchante, la scène où Peggy décroche le téléphone et se retrouve à parler à sa grand-mère (depuis longtemps décédée dans le présent) représente avec justesse un rêve auquel chacun peut s’identifier. Après que Peggy est submergée par l’émotion en entendant la voix de sa grand-mère, sa propre mère lui explique que la vieille dame se porte très bien et que sa mort n’est pas à redouter pour le moment. Un dialogue à la fois plein de douceur, mais aussi cruel, car une adulte de l’âge réel de Peggy sait à quel point le temps peut passer vite et que la mort ne peut pas être indéfiniment repoussée, contrairement à l’illusion dont les parents bercent leurs enfants pour les aider à s'endormir.

 

Peggy Sue s'est mariée : photo, Joan Allen, Kathleen TurnerLa féérie dansante des sirènes

 

Le choix de Peggy

Mais la cruauté réaliste du film ne s’arrête pas là. Qui dit “histoire de voyage dans le temps” pose forcément la question de changer le présent en modifiant la trajectoire des événements. Ainsi, le Marty de Retour vers le Futur finit par sauver le Doc et influer bénéfiquement sur sa vie et sur celle de ses parents à force de micro-changements dans le passé. Pourtant, ce n’est pas faute au professeur de lui avoir rappelé les problèmes moraux liés à la modification des événements. Mais Marty est un adolescent qui a toute la vie devant lui et aucune responsabilité dans le présent, aussi il n’était pas compliqué de lui imaginer un happy ending en accord avec le ton du film. Et les risques, “on s’en balance”, comme dit Doc.

Mais ce n’est pas si simple pour Peggy qui, à force de vouloir réécrire son histoire, comprend petit à petit qu’elle a trop de choses à y perdre, à commencer par ses enfants. Force est de constater également que, aussi stupide et coureur de jupons que soit son petit ami et futur mari divorcé, l’histoire qu’ils ont à vivre ensemble est plus forte que leurs choix, et que certaines erreurs sont suffisamment belles pour être commises. C’est donc en sachant pertinemment qu’elle se condamne à la vie déprimante qu’elle voulait fuir qu’elle décide sciemment de ne rien changer aux événements qui la conduiront à tomber enceinte prématurément, et à épouser celui qui la rendra malheureuse.

 

Peggy Sue s'est mariée : photo, Nicolas Cage, Kathleen Turner Le moment où Peggy Sue réalise qu'elle ne pourra pas se passer de son boulet de mari

 

À l’âge et à la maturité de Peggy Sue, retour dans le passé ou pas, la vie ne peut pas être réécrite, et la meilleure chose à faire est de réussir à la voir différemment pour y trouver de la joie et de la beauté. Une conclusion douce-amère pour un film qui commence comme un teenage fantasme acidulé et se termine comme une leçon de morale un peu triste et poétique pour apprendre à aimer sa vie et ce qu’on ne peut pas y changer. Dans la vision de Coppola, un peu comme dans celle de Donnie Darko, le voyage dans le temps est une exploration qui débouche toujours sur une forme de boucle et de résignation.

Dracula trouve une réincarnation d’Elizabetha, mais tout comme par le passé, leurs retrouvailles ne peuvent se solder que par la mort. Dans Twixt, les personnages masculins et féminins vivent chacun une version différente de la même intrigue et des mêmes traumatismes dans différentes époques, l’histoire semblant se répéter inlassablement, et ne changeant que la perception qu’on veut bien en avoir.

 

Peggy Sue s'est mariée : photo, Kathleen Turner, Nicolas CageIl y a des looks dont on est moins nostalgiques que le reste

 

Le personnage de Kevin J. O’Connor, le poète maudit du lycée, n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’envoûtant Flamingo de Twixt et, dans une moindre mesure, Dracula lui-même. À chaque voyage dans le temps son brun ténébreux et intello avec qui une histoire d’amour n’est brièvement possible qu’à la rencontre ponctuelle de deux temporalités. Un passage obligé pour démystifier le rêve et apprendre à aimer la “vraie” vie et ses défauts, ce qui est peut-être, finalement, la véritable obsession de Coppola.

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Hocine

C’est un film sympathique: il me semble l’avoir découvert à la cinémathèque française, il y a quelques années. Francis Ford Coppola en personne, était venu le présenter. On y voyait dans un rôle secondaire, un Jim Carrey débutant, qui démontrait déjà ses talents de comique. Les années 80 étaient pour Coppola assez inégales, moins fameuses que les années 70, mais avec des films intéressants: Outsiders, Rusty James, Peggy Sue s’est mariée, Jardins de Pierre, Tucker. Je dois voir Coup de Cœur et Cotton Club.
J’espère que son prochain film Mégalopolis tiendra toutes ses promesses.

jacamel

Je l’ai vu il y a très longtemps, mais j’en garde un très bon souvenir. Un très bon film, et comme dit plus bas, avec une Kathleen Turner formidable !
Tiens ! … Je vais regarder si on le trouve sur les plateformes pour me refaite une séance.

Faurefrc

Le vrai problème de Coppola, c’est que quand t’as réalisé coup sur coup 3 des plus grands films de tous les temps (Parrain 1&2, Apocalypse Now) c’est dur de ne pas redescendre.
Peggy Sue s’est mariée est certes un bon film, mais c’est seulement un bon film

Morcar

Ouah !! A l’époque quand tu avais Jonathan Demme qui quittait un projet pour différent artistique, tu récupérais Coppola !!

Ray Peterson

Un très beau film de Coppola qui n’a pas franchement à voir avec le chef d’oeuvre de Zemeckis pour ma part.

Kathleen Turner est formidable et c’était vraiment une sacrée comédienne dans les 80’s, on oublie un peu trop souvent de le redire!
J’adore le très beau plan final en miroir du film, de la pure mise en scène au service de l’histoire et des émotions qui en découlent. Un vrai tour de force technique
Un film, qui au final reste plutôt mélancolique mais vraiment à redécouvrir.

J’aime beaucoup cette période de Coppola où la famille et ses drames n’auront jamais autant été si présents que ce soit avec le superbe Jardins de Pierre (Gardens of Stone) ou le flamboyant Tucker.