Maternité éternelle : le miracle féministe de l'âge d’or du cinéma japonais

Léo Martin | 11 avril 2023
Léo Martin | 11 avril 2023

Après avoir été une des plus grandes actrices du cinéma japonais, Kinuyo Tanaka est devenue une réalisatrice majeure grâce au sublime Maternité éternelle.

Riche d’une filmographie de plus de 250 films (sur plus de 50 ans de carrière), le nom de Kinuyo Tanaka devrait sauter aux yeux de quiconque s’intéresse à l’histoire du cinéma japonais. À travers sa période muette et ses différents âges d’or, elle a été l’une de ses plus précieuses et importantes comédiennes. Connue pour avoir été, entre autres, la star des films de Yasujirô Ozu, Mikio Naruse et bien sûr Kenji Mizoguchi (leur collaboration sur 15 films étant l’une des plus remarquables du cinéma nippon), Tanaka fut aussi la tête d’affiche du premier film sonore japonais : Mon amie et mon épouse de Heinosuke Gosho.

Difficile de faire plus iconique. Et pourtant, aussi grande comédienne qu’elle fût, ce n’est pas cet aspect de la carrière de Kinuyo Tanaka qui nous amène à l’évoquer aujourd’hui. Si elle a été pendant des décennies la muse de certains des plus grands cinéastes du septième art, son plus grand tour de force est de s’être affranchie de ce rôle. Dans les années 50, de Galatée elle devient Pygmalion : Kinuyo Tanaka devient cinéaste et la transition n’est pas évidente. La comédienne peut heureusement compter sur son nom et le soutien de quelques autres réalisateurs pour arriver à ses fins. En 1953, elle devient la deuxième femme réalisatrice de l’histoire du Japon – après la documentariste Tazuko Sakane.

 

Kinuyo Tanaka : Photo Kinuyo TanakaKinuyo Tanaka dans Mon amie et mon épouse

 

La muse qui voulait être artiste 

Kinuyo Tanaka a ainsi réalisé six films (projetés pour la première fois dans les cinémas français en 2022) entre 1953 et 1962. Parmi eux, des films majeurs ; le plus important étant peut-être Maternité éternelle. Il s’agit de son troisième long-métrage et le premier qui soit véritablement personnel. Les très bons La lune s’est levée et Lettre d’amour, avec lesquels elle a commencé, étaient des idées originales d’Ozu et de Kinoshita. La cinéaste, émue par la vie de la poétesse Fumiko Nakajō (décédée à 31 ans d’un cancer du sein), décide de faire d’elle son premier sujet de film original.

L’entreprise est de taille : réaliser un film biographique sur une artiste japonaise avec un regard totalement féminin. Une démarche pratiquement inédite dans l’industrie du cinéma nippon, à l’époque. Pour ce faire, Kinuyo Tanaka entame sa première collaboration avec l’autrice Sumie Tanaka – à qui l’on doit nombre d’excellents scénarios des films de Mikio Naruse (dont Le Repas ou l’Éclair). Ce nouveau duo fait immédiatement des étincelles et accouche d’un portrait de femme révoltée, mélancolique, et totalement affranchie. Il sera précurseur et inspirera les deux artistes à retravailler ensemble sur des projets similaires, notamment avec La Nuit des femmes en 1961. 

 

Maternité éternelle : Photo Yumeji TsukiokaQuand le printemps revient

 

Maternité éternelle est donc un film de femmes sur les femmes ; mais à l’adresse de tout le monde. C’est un long-métrage semi-biographique qui sert de peinture de la condition féminine dans la société japonaise de l’époque. Une œuvre dans l’air du temps puisqu’elle arrive moins de dix ans après que le droit de vote ait été accordé aux femmes. Le traditionalisme nippon est alors en lutte avec un progressisme difficile à avaler pour les anciennes générations. 

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commentaires
Ded
12/04/2023 à 20:40

Merveilleuse actrice d'une puissance dramatique rarement égalée. Je pense notamment à "L'intendant Sansho" et surtout le biographique "L'amour de l'actrice Sumako" (la scène finale me bouleverse et me sidère à chaque visionnage). Tous deux sous la direction de Kenji Mizoguchi qui lui a donné ses plus beaux rôles... et qui paradoxalement refusa de lui reconnaître la légitimité en tant que femme d'être réalisatrice. Contrairement à Ozu, Naruse et Kinoshita qui eux l'ont beaucoup aidée à se révéler réalisatrice talentueuse.

Léo Martin - Rédaction
12/04/2023 à 11:14

@dahomey Avec plaisir !

dahomey
12/04/2023 à 10:07

Merci pour ce très bon article !très intéressant !