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Appel d’urgence : la version apocalyptique de Quand Harry rencontre Sally (oui, c’est possible)

Par Geoffrey Fouillet
22 février 2024
MAJ : 24 mai 2024
Appel d'urgence : photo, Anthony Edwards

Avant le destruction porn de Roland Emmerich, Appel d'urgence offrait une respiration ultra-romantique au film catastrophe. Et ça faisait un bien fou.

Séismes, tsunamis, tornades... Oui, mère Nature n'est pas toujours tendre lorsqu'il s'agit de rappeler l'Humanité à l'ordre. Mais on sait aussi très bien précipiter notre propre extinction tout seuls (le privilège de la sagesse dit-on) et le cinéma post-Guerre froide – au hasard Point limite et surtout Docteur Folamour – était là pour nous en convaincre en agitant la menace de l'arme nucléaire. Sorti un peu après la bataille, Appel d'urgence vient s'inscrire dans cette tradition et n'a franchement pas à rougir face à ses illustres aînés.

Signé Steve De Jarnatt, plutôt inexpérimenté à l'époque, le projet met une dizaine d'années avant de voir le jour, faute de pouvoir s'assurer un solide succès commercial. Difficile en même temps de rassurer des producteurs, qui plus est la Warner Bros (premier choix du réalisateur), quand on veut combiner film apocalyptique et love-story à la façon d'un épisode de La Quatrième Dimension. Qu'à cela ne tienne, Appel d'urgence trouve finalement preneur, avec un budget alloué de 3,7 millions de dollars (on a vu pire), et vient apporter une sensibilité nouvelle à un genre trop souvent dopé aux gros effets.

 

Appel d'urgence : photo, Anthony Edwards"Quel est ton film catastrophe préféré ?"

 

L.A. FOREVER

Quand Harry (Anthony Edwards, découvert dans Top Gun) rencontre Julie (Mare Winningham), c'est le coup de foudre. Après avoir passé la journée ensemble, ils se donnent rendez-vous à minuit, devant le diner où Julie travaille en tant que serveuse. Hélas, Harry arrive sur place avec plus de trois heures de retard. Alors qu'il tente de joindre sa dulcinée depuis une cabine téléphonique, il répond à l'appel affolé d'un inconnu qui l'alerte d'une frappe nucléaire imminente sur Los Angeles, en représailles à un tir de missiles américains. Harry n'a alors plus qu'une idée en tête : retrouver Julie et survivre avec elle à l'apocalypse.

Voilà qui promet un contre-la-montre plutôt haletant, n'est-ce pas ? Pour faire éprouver au spectateur le manque cruel de temps dont disposent les personnages, le cinéaste va avoir l'idée de circonscrire peu à peu l'action à quelques pâtés de maisons, et notamment au quartier de "Miracle Mile" (dont le nom sert par ailleurs de titre original au film). Ainsi, plus les minutes défilent, plus les distances parcourues réduisent à vue d'oeil, et c'est ce resserrement spatio-temporel qui crée un sentiment d'impasse grandissant (et croyez-nous, on a mal à notre palpitant).

 

Appel d'urgence : photo, Mare WinninghamSe faire poser un lapin avant la fin du monde : c'est fait !

 

Il n'est donc pas question d'explorer Los Angeles de fond en comble, mais via une poignée de décors auxquels le réalisateur va nous familiariser au fur et à mesure du récit. Entre le diner, le musée d'histoire naturelle et la tour avec l'héliport sur le toit, on appréhende très vite les lieux, à tel point que l'on sait évaluer les distances d'un repère à l'autre ou même situer les personnages comme sur une map de jeu vidéo. Cela pourrait sembler superflu, mais la qualité formidablement immersive du film repose en grande partie sur ces menus détails.

Exit donc les montages parallèles où l'on voit se succéder les séquences d'exode comme autant de vignettes interrompant l'intrigue principale. Ici, la caméra reste vissée au point de vue d'Harry, quand bien même le péril encouru est planétaire. Il suffit d'entendre une négociatrice contacter tout le gratin politico-administratif, ou de voir à la télévision des reportages faisant état de mouvements de panique en ville, pour comprendre l'ampleur de l'évènement. Et c'est ce hors-champ, longtemps tenu à distance, qui s'impose de plus en plus dans l'espace vital des personnages.

 

Appel d'urgence : photo, Anthony EdwardsComment montrer patte blanche, même dans le pétrin

 

ALLO CHAOS

S'il y a bien un film auquel on pense en regardant Appel d'urgence, c'est à After Hours de Martin Scorsese. Pas de ressemblance évidente sur le papier, et pourtant les deux projets s'articulent autour du parcours nocturne d'un héros peu à peu confronté à une faune interlope. Dans le cas d'Harry, il croise un jeune trafiquant de marchandises, un pilote d'hélicoptère bodybuildé, un chauffard furibard à la gâchette facile... bref de sérieux énergumènes pour la plupart, qui participent chacun à leur façon à l'onirisme vaguement inquiétant du film.

C'est à cette logique du cauchemar que ne cesse d'obéir De Jarnatt. Non content d'avoir casté des trognes pas possibles dans les seconds rôles, il exploite au mieux le spleen de cette ville endormie, et au jeu des comparaisons, on songe aussi au travail de Michael Mann, toutes proportions gardées bien sûr. Il y a dans ces rues désertes et cette brume qui semble s'épaissir à chaque intersection le présage d'un triste épilogue pour l'Humanité. La bande originale de Tangerine Dream, toute en nappes synthétiques, soutient parfaitement la mélancolie propre à ce paysage (on vous somme d'écouter le morceau On the spur of the moment, oui c'est un ordre).

 

Appel d'urgence : photo, Robert DoQui"Qui veut tâter de mon calibre ?"

 

La durée relativement courte du film (tout juste une heure et demie), calquée sur le compte à rebours avant l'explosion finale, condense les évènements de telle façon que chaque rencontre, chaque péripétie s'enchaîne dans une complète anarchie. En l'espace d'un quart d'heure, on voit Harry monter à bord d'une camionnette, en sauter, monter dans une voiture, puis fuir une station-service en flammes. Et ce qui suit est du même tonneau, voire pire, les choses s'aggravant à un rythme exponentiel.

Le spectaculaire ici ne tient donc pas aux effets pyrotechniques (qui veut bien en toucher deux mots à Roland Emmerich ?), mais au crescendo dramatique, qui fait escalader la tension jusqu'à une scène de pure panique collective, au cours de laquelle la population s'entredéchire en plein embouteillage. C'est glaçant et cela dépasse de loin les habituels money shots à base de buildings et de routes qui s'effondrent, quand bien même on n'est jamais les derniers à baver devant. Ceci étant, rien ne vaut une foule qui perd la boule, et dans ce cas précis, on croirait presque voir le monde sombrer façon Le Radeau de la Méduse.

 

Appel d'urgence : photo, Anthony EdwardsLa fin est proche (oui, c'est dur à entendre, mais c'est ainsi)

 

L'IMPORTANT, C'EST D'AIMER

"Avant chaque projection, j'ai l'habitude de dire que le film est une sorte de douce rom-com eighties à la John Hugues qui devient de moins en moins douce", racontait De Jarnatt pour le podcast 60 Minutes With. Aucun doute là-dessus, si Appel d'urgence échappe aux standards du genre, c'est aussi et surtout grâce à sa veine romantico-tragique. Que les allergiques à la guimauve se rassurent, seul le prologue ose les pires clichés en la matière : voix off candide, ralentis démonstratifs, jeux de regards à gogo... bref, la liste est longue.

Heureusement, le choix des deux comédiens principaux, loin des canons de beauté du moment, contribue à crédibiliser ce que l'on voit à l'écran. Harry et Julie nous ressemblent, avec leurs maladresses, leurs imperfections, et tout le brio du cinéaste est d'avoir propulsé des personnages faillibles – et en ce sens, exemplairement à leur place dans une comédie romantique – au cœur d'un récit catastrophe d'ordinaire taillé pour des héros sans peur et sans reproche. Sans doute est-ce la suprême intelligence d'un film qui privilégie l'authenticité à la facilité (on dit ça, on dit rien).

 

Appel d'urgence : photo, Anthony Edwards, Mare WinninghamLa mignonitude incarnée

 

Toujours est-il que la première version du scénario envisageait Harry comme un homme plus âgé, de retour à Los Angeles pour voir ses enfants après 15 ans d'absence. Paul Newman et Gene Hackman étaient alors pressentis dans le rôle, mais De Jarnatt a préféré modifier la prémisse au profit d'une histoire d'amour. Et si son idée initiale avait un potentiel évident, on souscrit totalement à la réécriture plus mélodramatique du projet, d'autant que la fraîcheur du couple vedette, encore dans la fleur de l'âge, contraste à merveille avec la gravité de cette fin du monde annoncée.

Harry et Julie s'apparentent à bien des égards aux amants maudits de la tragédie antique. Comme pour eux, leur destin semble tout tracé et le réalisateur l'illustre à travers un parti pris de mise en scène à la fois simple et brillant, qu'il utilise en début et en fin de film. Lors de leur rencontre au musée d'histoire naturelle, les deux protagonistes sont cadrés de telle sorte qu'ils semblent inscrits dans les différents tableaux et décors préhistoriques qui défilent derrière eux, et quand vient le dénouement, ils intègrent enfin définitivement ce monde d'avant. Alors tant pis si la métaphore est un peu épaisse (la petite histoire fusionne avec la grande), on finit sur les genoux et pour nous, ça veut dire beaucoup.

 

Appel d'urgence : photo, Mare Winningham, Anthony EdwardsL'amour est un marathon

 

Vrai film de fin du monde, Appel d'urgence atomise donc bel et bien la concurrence en privilégiant l'approche intimiste à une démarche bêtement spectaculaire. Le revoir aujourd'hui, après des décennies de blockbusters apocalyptiques souvent ratés (coucou 2012), fait un bien fou, et on regrette d'autant plus l'absence de De Jarnatt dans le paysage depuis. Mais tout n'est pas perdu, un cinéma plus indépendant réussit toujours à accoucher de quelques pépites : on vous recommande par exemple le méconnu These Final Hours. Alors même si l'apocalypse s'en vient, gardons espoir !

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zetagundam

Visionner hier et j’ai trouvé ça extrêmement mauvais tant par l’interprétation et la réalisation théâtrale, les incohérences en pagaille ainsi que par le manque de contexte (même si je sais que c’est encore la période de la guerre froide) car aucun personnage n’est surpris par les évènements qui arrivent contrairement au spectateur qui lui est obligé d’accepter tel quel le comportement incompréhensible de ces personnages

Nico1

Le mélange des genres est intéressant,mais Harry est une tête de c*n qui passe le film a prétendre aimer une femme qu’il passe son temps à abandonner!

Prisonnier

Ah je me disais bien que j’avais déjà lu l’article ^^

Pseudonaze

Découvert en location VHS dans mon vidéo club (quelle glorieuse époque) , film d’une grande beauté, chaque photogramme est beau, histoire d’amour mélancolique à souhait avec cette ambiance de monde au bord du précipice, la musique de Tangerine dream…un film inoubliable mais qui reste pourtant inconnu du grand public et ça c’est triste et vraiment pas mérité.

Djonnouenn

film sans prétention et classique instantané de par son propos et ses dialogues.
B.O. de Tangerine Dream en connexion direct (comme le groupe avait su le faire sur le « Sorcerer » de W. Friedkin en 77)
@Prisonnier : bien vu ! Le Geoff Murphy m’avait également marqué à l’époque (avec son dernier plan saisissant)

beyond

Je l’avais loué à l’époque bénie des vidéos club et je me souviens que ce film (que je n’ai pas revu depuis) m’avait soufflé d’un bout à l’autre. Une belle maitrise du sujet et une tension qui grimpe crescendo jusqu’au final qui nous abandonne dans le même état que le protagoniste principal.

le Waw

Ce film est un chef d’œuvre. Je l ai vu à l époque au cinema en séchant les cours, j en suis sorti en larmes et traumatisé. Un de mes films cultes.

Mx

film cité dans la mythique liste « nos 100 meilleurs films fantastiques », dans le non moins mythique n°100, par MAD MOVIES, et oui!!!

Ceci étant dit, je ne l’ai toujours pas vu, lol

galetas

Le film n’est pas mauvais mais il n’arrive pas à trouver le ton idéal tout du long…

Prisonnier

Terriblement kitsch, affreusement effrayant, tellement attachant. Le road movie apocalyptique ultime.

Et puis bon, 1h25 de film, tu peux le repasser en boucle.

Après, en terme de film apocalyptique et assez sombre des années 80, quiet earth tient aussi du miracle.