Resurrection, Hawa, Murina... : 15 pépites de 2022 à rattraper absolument

La Rédaction | 4 février 2023
La Rédaction | 4 février 2023

Pour clôturer son cycle de dossiers de début d'année, Ecran Large revient sur 15 films de 2022 à rattraper d'urgence.

La saison des bilans de fin et de début d'année est terminée et tous les médias – Ecran large y compris –  ont sorti leurs tops et leurs flops, regorgeant de grosses productions ou de films d'auteur tractant des brouettes de récompenses. Toutefois, comme tous les ans, certains films sont absents, le plus souvent parce qu'ils ont bénéficié d'une couverture moins importante... ou tout simplement d'une distribution limitée.

C'est pourquoi la rédaction a tenu à présenter une liste de 15 pépites passées inaperçues en 2022, lors de leur sortie française. Une manière de leur rendre justice, mais également de conseillers des films qui ont tapé dans l'oeil des rédacteurs sans qu'ils aient le temps de leur consacrer un article. Pour être admissible dans cette liste, il fallait ne pas avoir eu les honneurs d'une critique sur Ecran Large, être sorti sur un circuit très limité de copies, directement en vidéo ou sur un service de SVoD moins populaire que Netflix ou Disney+. Bien entendu, la sélection n'est pas exhaustive.

 

Il buco : photoOn creuse

 

UN MONDE

Sortie : 26 janvier 2022 en salles - Durée : 1h15

 

Un monde : photoLe royaume enchanté des enfants

 

Ça raconte quoi : Quand elle débarque en primaire, Nora pense pouvoir compter sur son grand frère Abel. Mais elle découvre vite qu'il est le souffre-douleur de la cour d'école, et qu'elle va devoir choisir entre lui venir en aide, et fermer les yeux pour trouver sa place.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Parce que c'est tout simplement l'un des meilleurs films de 2022, et la personne dans l'équipe qui le défend corps et âme (Geoffrey oui) n'a toujours pas digéré son absence du top de la rédaction. Sous ses airs de petite chose (un premier film, 1h15 au compteur), Un monde est un petit bulldozer de tension et d'émotion, qui se traverse en apnée tellement il est redoutable et éprouvant.

La réalisatrice et scénariste Laura Wandel filme ce Monde à hauteur d'enfant pour totalement s'immerger dans leur réalité, reléguer les adultes au bord de l'univers, et montrer comment cette cour d'école est en réalité un champ de bataille. Dans l'ombre des parents et des instituteurs se jouent des guerres psychologiques et Nora, qui entre malgré elle dans le "vrai" monde, comprend qu'il y aura forcément des perdants.

Rarement un film aura si bien raconté et écouté les turpitudes des enfants, et le gouffre immense entre eux et les adultes même bien intentionnés. Premier film et première réussite éclatante pour Laura Wandel, qui dirige les jeunes Maya Vanderbeque et Günter Duret avec un talent extraordinaire (et il y a aussi Karim Leklou, excellent comme toujours).

 

MEDIA CRASH - QUI A TUÉ LE DÉBAT PUBLIC ?

Sortie : 16 février en salles - Durée : 1h25

 

Media Crash – Qui a tué le débat public ? : photoUn indice chez vous

 

Ça raconte quoi : Plusieurs affaires concernant la mainmise des investisseurs privés sur les médias Français (ça manque toutefois de révélation sur Ecran Large, autant vous prévenir tout de suite).

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Il faut bien admettre que les lecteurs réguliers de Médiapart (à l'origine du film avec Premières Lignes) ne seront pas dépaysés, puisque le documentaire reprend peu ou prou plusieurs de leurs enquêtes passées, sans omettre trop de détails. Toutefois, la simple action de les relier les unes aux autres lui donne un intérêt, complémentaire à son ludisme évident.

C'est donc un état des lieux des médias grand public en France, détenus dans leur grande majorité par moins d'une dizaine de milliardaires, qui n'hésitent pas à contrôler la diffusion de l'information. Bien entendu, ces chers Bernard Arnault et Vincent Bolloré sont dans le collimateur et certaines de leurs occupations les moins avouables sont discutées et exposées. Un documentaire révolutionnaire ? Certainement pas. Une contribution honnête à un débat public de plus en plus orienté ? Sans doute.

 

LA LÉGENDE DU ROI CRABE

Sortie : 23 février 2022 en salles - Durée : 1h39

 

La Légende du roi crabe : photoUne aventure aux confins du monde

 

Ça raconte quoi : De vieux chasseurs se racontent des histoires vieilles comme le monde jusqu’au moment où l’un d’entre eux s’attarde sur la légende de Luciano, dont l’opposition face au prince tyran lui a valu de vivre un exil forcé entre quête de richesse et confrontation avec la folie.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Entre Trois mille ans à t’attendre de George Miller, la revisite de Pinocchio par Guillermo del Toro ou plus discrètement The Wonder de Sebastian Lelio, le conte a eu une place de choix au cinéma en 2022, replaçant la narration au centre des dispositifs filmiques, et in fine, des réflexions des personnages et des spectateurs. La Légende du roi crabe, premier film de fiction du duo italien Alessio Rigo de Righi-Matteo Zoppis, fait partie intégrante de ce mouvement.

Ainsi, les échanges entre les vieux briscards se succèdent avec vigueur dans la première partie du récit, nous plongeant dans une Italie contemporaine classique, où l’on se raconte des anecdotes pour passer le temps. Puis soudain, le film nous transporte au XIXe siècle, dans les pas de ce Luciano rebelle. Une manière sublime de célébrer le pouvoir de la narration, de la fiction et de l'imagination, les histoires étant peut-être les seuls éléments intemporels de notre existence.

Avec audace, jonglant entre l’aventure, la romance et le western, La légende du roi crabe n’oublie d’ailleurs jamais de transcender son récit à travers sa mise en scène. Outre sa direction artistique ambitieuse, il jouit ainsi de quelques séquences d’une beauté mystérieuse, à l’instar d’une fusillade finale fantasmagorique aussi envoûtante qu’insondable.

 

MEDUSA

Sortie : 16 mars 2022 en salles - Durée : 2h08

 

Medusa : photoLe masque de la mort rouge

 

Ça raconte quoi : Au Brésil, des jeunes filles catho tradi sortent en bande le soir pour casser la figure de celles qui se sont écartées du droit chemin. Mais un jour, la leader du groupe est blessée au visage et perd son statut. L’occasion de découvrir qu’il y a mieux que la pureté, dans la vie ?

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Après Mate Me Por FavorAnita Rocha da Silveira revient avec un nouveau film de genre haut en couleur, centré lui aussi autour d’une bande de jeunes filles pleines de violence. En s’inspirant du mythe grec selon lequel Athéna change Méduse en Gorgone pour avoir perdu sa virginité, la réalisatrice tenait à étudier les mécaniques selon lesquelles des femmes punissent d’autres femmes en fonction des règles instaurées par des hommes. 

Flirtant de très près avec les codes du fantastique, Medusa sublime la laideur pour y trouver une beauté plus libre : la cicatrice de Mariana devient symbole de révolution intérieure, la contorsion d’un corps devient danse envoûtante, et une femme défigurée une icône de pouvoir. Avec une mise en scène inventive et affranchie, le film tape sans vergogne sur le conservatisme et fait passer avec lyrisme (et un peu d’humour, parfois) le message d’un urgent besoin de liberté et de rébellion. Le mélange du sang, des néons colorés et de son message résolument féministe fait de Medusa une gifle lumineuse dont tout le monde a besoin.

 

LES RENDEZ-VOUS DU SAMEDI

Sortie : 1er avril 2022 (en salles, en DVD, Blu-Ray et VOD) - Durée : 53 minutes

 

Les Rendez-vous du samedi : photoLa Voie du jaune (en 3D)

 

Ça raconte quoi : Entre documentaire et fiction, deux ans de Gilets jaunes vus à travers le regard d’un homme du même âge qu’Emmanuel Macron (oui, dit comme ça, c'est un peu abstrait).

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Parce que le film d'Antonin Peretjatko (La Pièce rapportée) est une expérimentation aussi foutraque que géniale, où le cinéaste a utilisé sa caméra 16mm pour capter le mouvement des Gilets jaunes, mais aussi le premier confinement. Avec leur grain si particulier, les images en pellicule donnent à ce Paris rempli puis déserté un cachet particulier, sublimé par une post-conversion en 3D (oui oui).

Usant de split-screens et autres effets de superposition déjà expérimentés par Godard dans Adieu au langageLes Rendez-vous du samedi s'amuse à mêler les sources d'images et les points de vue pour interroger cette France en proie au doute. Le cinéaste n'en oublie pas un certain romantisme touchant dans cette douce flânerie, qui offre mine de rien quelques très beaux moments, dont cette étonnante visite de la Tour Eiffel en relief.

 

MURINA

Sortie : 22 avril 2022 en salles - Durée : 1h36

 

Murina : photoL'île de la tentation

 

Ça raconte quoi : Julija vit isolée sur une petite île croate, aux côtés de sa mère aimante et de son père abusif. L'arrivée d'un riche ami de ce dernier va dérouter la jeune femme, en quête de liberté.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Parce que Murina n'a pas volé sa Caméra d'or au Festival de Cannes de 2021 (un prix donné à un premier film). Derrière ses fausses allures de teen movie sur la fin de l'adolescence et le rapport difficile aux parents, le long-métrage d'Antoneta Alamat Kušijanović est surtout un magnifique portrait de femme, qui réussit l'exploit d'être à la fois un coup de poing magistral, et une caresse d'une sensualité envoûtante.

Dans ce décor idyllique qui devient rapidement une prison, Julija (la révélation Gracija Filipovic) fait face au regard des hommes, et pas seulement de son père. La réalisatrice travaille avec minutie la topographie de ses séquences, pour mieux se concentrer sur les corps et leur perception, dans cet espace qui demande à être défriché. Pas étonnant que Martin Scorsese ait produit ce coup d'essai passionnant et mûri par un sacré oeil de cinéma, qui s'interroge sur le poids du patriarcat dans un superbe récit d'émancipation.

 

IL BUCO

Sortie : 4 mai 2022 en salles - Durée : 1h33

 

Il buco : photoOn aime Buco

 

Ça raconte quoi : Une troupe de spéléologues entreprend d'explorer la grotte la plus profonde d'Italie, devant les yeux des locaux.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Navrés de vous décevoir. Il buco ne met en scène aucun monstre lovecraftien souterrain ou monstre à la The Descent. Au contraire, il tire son originalité du recul porté sur son sujet. D'emblée, le parti pris de mise en scène interloque : Michelangelo Frammartino décide de surplomber l'évènement, de le chroniquer de loin, sans jamais – et c'est le choix le plus perturbant – s'attacher à aucun de ses personnages, du côté des villageois et des jeunes explorateurs.

Présentée comme ça, l'approche semble documentaire... mais pas du tout. L'enchainement de plans fixes, parfois alambiqués, souvent splendides, trahit un point de vue plutôt naturel. Une fois que c'est compris, le film se mue en méditation philosophique vertigineuse... grâce à la simplicité et au détachement dont le cinéaste fait preuve. Il nous offre l'occasion d'échapper pendant une heure et demie à notre subjectivité, pour observer les agitations humaines sous un autre angle. On a bien fait de la saisir.

 

WRINKLES THE CLOWN

Sortie : 24 juin 2022 sur Shadowz - Durée : 1h44

 

Wrinkles the Clown : photoUn mec bien, ce Wrinkles

 

Ça raconte quoi : L'histoire vraie de Wrinkles, clown engagé par les parents pour piéger les enfants pas sages...

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Techniquement, Wrinkles the Clown a été produit en 2019. Il lui a fallu trois ans avant d'arriver en France, grâce à la plateforme Shadowz. Et c'est l'un des documentaires les plus fascinants vus de récente mémoire, particulièrement pour les passionnés de légendes urbaines et autres phénomènes culturels horrifiques de masse. Problème : impossible de révéler ce qui fait sa singularité sans gâcher le plaisir de sa découverte. Action qui irait contre le principe même de ce dossier...

Tout juste peut-on vous dire que le film outrepasse largement son postulat original et finit, dans une pirouette audacieuse, par participer lui-même au mythe local qu'il était censé décrire. Ou comment la forme documentaire devient par extension un vecteur, presque malgré lui, et comment l'image horrifique transcende les médiums et les limites sociales (rappelez-vous la vague de clowns flippants aperçue dans les médias et la psychose collective qui a suivi).

 

ESCAPE FROM MOGADISHU

Sortie : 28 juillet 2022 en VOD - Durée : 2h01

 

Escape From Mogadishu : photoGo fast

 

Ça raconte quoi : Au début des années 1990, la guerre civile éclate en Somalie.  Les ambassadeurs de la Corée du Nord et de la Corée du Sud vont devoir trouver un moyen de s'échapper de la ville de Mogadiscio... ensemble.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Escape From Mogadishu est la nouvelle réalisation de Seung-wan Ryoo, spécialiste de l'action pyrotechnique ayant cloué sur son siège une partie du public occidental avec Battleship Island. Les prémisses ici semblent similaires : il s'agit de fuir une unité de lieu bien délimitée, si possible en faisant sauter le périmètre derrière les personnages. À ceci près qu'il insère aux côtés de son coscénariste Lee Ki-cheol une dimension diplomatique, comme celles dont le cinéma coréen aime généralement tirer des intrigues tortueuses (cf. le très bon The Hunt, également sorti en 2022).

Pour lui, c'est surtout une manière de gonfler avec une légère overdose d'emphase (déjà un défaut de son film précédent) les enjeux... jusqu'à la déferlante d'action finale, qui se fait attendre, mais ne déçoit pas. Une fois que les choses se corsent, le metteur en scène enfonce sa caméra dans les trous de balle lors de plans-séquences dont rêvait clairement Michael Bay sur le tournage de son Ambulance.  Pour qui a eu la chance de le découvrir en salles en festival, il comporte malgré ses défauts quelques-unes des séquences d'action les plus frénétiques de l'année. Mais on vous assure qu'en vidéo, ça fonctionne aussi.

 

BEYOND THE INFINITE TWO MINUTES

Sortie : 3 août 2022 en VOD - Durée : 1h10

 

Beyond the infinite two minutes : photo, Kazunari TosaTête-à-tête

 

Ça raconte quoi : Premier film de la troupe de théâtre japonaise Europe KikakuBeyond the infinite two minutes  raconte l’histoire de Kato edes employés de son café qui découvrent que leur télé diffuse leur futur à deux minutes près.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Dans le style de Ne Coupez Pas !, ce plan-séquence fauché tourné au téléphone fait montre d’une incroyable maîtrise technique. Les couches temporelles se multiplient et donnent naissance à tout un tas de nœuds au cerveau sans jamais tomber dans l’incohérence. Les personnages courent partout, tentent moult expériences pour jouer avec l’écart de deux minutes qui sépare deux écrans interposés, et ne laissent jamais retomber le rythme de cet exercice improbable

Tout comme Ne Coupez Pas !Beyond the Infinite Two Minutes met son format (de seulement 1h10) au service de la comédie et instaure dès le départ un ton réjouissant et enlevé qui contraste avec la rigueur de sa narration. Ce qui n’empêche pas une grande variété dans les séquences dont certaines flirtent même avec le thriller, puisque le film fait de son mieux pour étudier toutes les situations pouvant découler de son postulat de départ. Et au milieu de toute cette frénésie, l’histoire ne perd pas de vue les parcours personnels de sa galerie de personnages et réserve de très jolis moments à l’histoire d’amour naissante du protagoniste. Un pari aussi étonnant que réussi et qui vaut très largement le détour.

 

FIRE OF LOVE

Sortie : 14 septembre 2022 en salles - Durée : 1h38

 

Fire of Love : photoÉcrasé par le poids du monde

 

Ça raconte quoi : L’histoire de Katia et Maurice Krafft, deux volcanologues français intrépides, ayant risqué leur vie pendant plus de vingt ans pour étudier les volcans.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Composé d’images d’archives absolument miraculeuses, le documentaire de Sara Dosa est de ces films semblant sortir d’un autre monde, tant il recèle de séquences lunaires, magiques, voire surréalistes. Il y a, au milieu de cette ribambelle de scènes fantastiques, une image qui frappe particulièrement les esprits : celle ou un des deux volcanologues observe une éruption dans sa tenue argentée, comme un minuscule être se confrontant à la puissance de la nature, voire aux entrailles enflammées de notre monde.

Et c’est ce qui frappe continuellement devant Fire of Love. Derrière la passion brûlante du couple français pour les volcans, le travail pédagogique faramineux sur ces montagnes de feux (ou de poussières) et la belle histoire d’amour du duo, c’est finalement la petitesse de l’humain qui trouble le plus. Au-delà d’une enquête et aventure volcanique (lol), il en résulte surtout une réflexion poétique fascinante sur notre existence et un hommage déchirant au courage de ses pionniers tentant de percer ces dangereux mystères.

 

NE DIS RIEN

Sortie : 15 septembre 2022 en DVD, Blu-Ray et VOD - Durée : 1h37

 

Ne dis rien : photoSanté !

 

Ça raconte quoi : En vacances en Toscane, une famille danoise se lie d’amitié avec une famille néerlandaise, qui quelques mois plus tard l'invite à passer un week-end chez elle. Mais ce séjour idyllique où se rencontrent la discrétion et l’extraversion va virer au cauchemar.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Le long-métrage s’articule autour de bases éculées, mais solides. Là où il gagne des points, c’est dans sa minutie, quand il s'agit de tirer les cartes de sa manche, chacune se présentant plus assassine que la précédente. C’est ce qui achève de faire digérer la pilule d’un plot twist spectaculaire et tout à fait dispensable, comme dans un certain Le Menu. Mais contrairement à la tentative maladroite de Mark Mylod, la révélation s'avère efficace, à l’instar de tout le chemin parcouru pour en arriver là.

Le récit décide volontairement de mettre le spectateur du côté des danois embourgeoisés qui essayent tant bien que mal de supporter – dans un mutisme faussement tolérant et hypocrite – des valeurs, cultures et coutumes hollandaises (semblent-elles) qui divergent des leurs. Et face aux actes désinhibés de leurs hôtes, difficile pour le spectateur de ne pas se mettre à la place du couple et d’éprouver malaise et inconfort. Jusqu’à un dénouement d’une fatalité à la logique implacable et désarmante, Ne dis rien est un objet qui conditionne la pensée du spectateur, et ce, avec une facilité déconcertante.

 

Resurrection

Sortie : 21 novembre 2022 en VOD - Durée : 1h43

 

Photo Rebecca HallHall of (no) fame

 

Ça raconte quoi : Margaret vit avec sa fille adolescente une petite vie bien rangée, jusqu'à ce qu'un rappel de sa vie passé ne vienne tout faire voler en éclat.

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Si Resurrection est passé inaperçu, c'est certes parce qu'il a dû se contenter d'une sortie en VOD, mais aussi parce que son minimalisme a surtout provoqué la perplexité lors de son tour des festivals. Pourtant, cette histoire de manipulation est absolument fascinante, grâce justement à l'ascèse dont elle fait preuve, et dont la mise en scène restitue toute l'étrangeté. Car ce qui ressemble à un thriller domestique relativement classique se transforme en délire paranoïaque absurde passé un monologue en plan-séquence ahurissant.

La deuxième partie du film convoque une sorte de body horror intérieure, prenant constamment à partie le jugement du spectateur, qu'il met dans une position plus qu'inconfortable. Il ne faut pas s'attendre à des réponses, seulement à un sentiment de confusion... Et pourtant, le tout croque avec une adresse insoupçonnée les rouages les plus sombres de l'emprise psychologique masculine. Et ça ne fonctionnerait pas autant sans les performances incroyables de Rebecca Hall et Tim Roth, tous deux dans des rôles archi-complexes.

 

You won't be alone

Sortie : 1er décembre 2022 en VOD - Durée : 1h48

 

You Won't Be Alone : photo, Noomi RapaceSabrina l'apprentie sorcière, mais version hardcore

 

Ça raconte quoi : Comment Nevena, une adolescente de 16 ans qui a été coupée du monde toute son enfance et transformée en sorcière malgré elle, découvre l'humanité en changeant d'apparence. 

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Tout comme Robert Eggers avec The Witch (également présenté au festival de Sundance), le cinéaste australien Goran Stolevski s'est penché sur le mythe et la figure de la sorcière pour son premier long-métrage, non sans une certaine crudité. Son film démarre sur un pacte faustien, celui d'une mère désespérée, qui emprunte quelques tournures de contes, entre La Petite Sirène et La Belle au Bois Dormant (mais pas version Disney). 

S'il se veut très atmosphérique et naturaliste, forçant le parallèle avec le cinéma de Terrence Malick, cet objet atypique s'avère plus accessible et humble qu'a priori. Chapitré en fonction des différentes vies et apparences qu'emprunte Neveda, le récit est traversé par sa voix off monocorde, ses pensées fragmentées, infantiles et parfois inintelligibles, reflétant son innocence et sa méconnaissance du monde avec sensibilité.

D'abord froid et distant, le scénario se réchauffe et devient de plus en plus intimiste à mesure qu'elle se rapproche des hommes et des femmes qui l'entourent (les douces notes de piano contrastant avec l'horreur graphique). Mais le coeur du film reste la condition des femmes, maltraitées et rejetées, quel que soit leur profil, jusqu'à ce que Neveda brise le cercle de haine et de solitude auquel elle était destinée en embrassant une liberté, certes relative, mais pleine d'espoir, d'où semble tiré le titre. Un dénouement auquel on ne s'attend pas forcément après un point de départ aussi rugueux et affligeant.

 

Hawa

Sortie : 9 décembre 2022 sur Amazon Prime - Durée : 1h44

 

Hawa : photo, Sania Halifa, Oumou SangaréHawa a toujours un plan en tête

 

Ça raconte quoi : Hawa, une adolescente de 15 ans, vit seule avec sa grand-mère gravement malade, et craint de se voir placée dans un autre foyer par les services sociaux. Elle élabore alors un plan : celui de se faire adopter par quelqu’un qu’elle admire plus que tout. 

Pourquoi il faut le rattraper d'urgence : Mignonnes avait des arguments pour une exploitation salle. Il est difficile d’en dire autant de cette nouvelle tentative, décidément taillée pour les plateformes. Rien n’est véritablement spectaculaire, la mise en scène est sobre et discrète, si bien que l’on pourrait être déçu du voyage tant le scénario et son concept crient à plus de folies. 

MaisHawa est un film de Maimouna Doucouré. Si son précédent long-métrage avait quelques envolées fantasques, cette deuxième proposition n’est faite que de ça. Pour ce faire, elle emprunte à la fable afin de développer son drame social, porté par un casting malicieux manié avec habileté pour éviter le simple et périlleux caméo de la vedette invitée. Voir se succéder Yseult, Yvick Letexier (Mister V) et même Thomas Pesquet dans leurs propres rôles tenait limite du kamikaze, mais apporte ici une touche de féerie d’une sublime tendresse

Dommage que l’entreprise manque clairement de moyens et que la quête de l'héroïne s'annonce anti-spectaculaire. Quelque part, ce choix s’intègre plutôt bien au mysticisme dont se pare l’oeuvre, qui émerveillera certainement la jeunesse, le public ciblé.

Tout savoir sur Resurrection

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commentaires
Ano
07/02/2023 à 11:23

Beyond the infinite two minutes est une curiosité très sympathique, et la légende du roi crabe était excellent!
Cette année il y a aussi eu Vitalina Varela, un film austère mais sublime, et le documentaire Et J'aime à la Fureur, très touchant.

granmechanlou
06/02/2023 à 17:21

ps: je viens de regarder "Beyond the infinite two minutes" c'est génial! Hilarant et vertigineux (très sympa le petit making-of à la fin... de réaliser que tout ça a été tourné au smartphone. CHAPEAU BAS!)

granmechanlou
06/02/2023 à 14:39

super sélection!

Je confirme "Un monde" et "Speak no evil' (Ne dis rien) sont deux très bons films, tous les deux dérangeants à des degrés différents, ce qui est toujours intéressant comme expérience de cinéma.
"Resurrection" m'a laissé de marbre.
Merci à la rédac' d'aiguiser (et d'affiner) ma cinévoracerie.
A part pour la série She-Hulk (et oui moi j'ai adoré!) ma sensibilité colle à la vôtre.

bof
05/02/2023 à 01:28

Je n'ai vu que trois films de ce beau dossier, merci pour la piqûre de rappel.

Declan
04/02/2023 à 18:49

La sélection est sympa je piocherais dedans…. Mais vous savez écran large c’est pas un crime non plus d’apprécier des films sur des mâles alpha en les regardant au deuxième degrés ! Y’a de la place pour tout le monde tant qu’on ne prend pas tout au sérieux

Oxotl
04/02/2023 à 17:43

Vous oubliez les meilleurs films, et de loin, de 2022 : Clara sola (realisme magique en equateur) et le serment de pafnir (variation ukrainienne du Bersekir)

cinefab
04/02/2023 à 15:46

YOU WON'T BE ALONE, une merveille dans le haut de mon top cette année ...

Kyle Reese
04/02/2023 à 13:47

MEDIA CRASH - QUI A TUÉ LE DÉBAT PUBLIC ?

Pas vu, mais j'ai regardé des interviews à ce sujet sur youtube. C'est l'un des plus gros scandale de ces dernières années et c'est passé crème. Il y avait quelques années il y avait une loi qui empêchait la concentration des médias et l’acquisition par des milliardaires en France. Mais ça c'était avant, ça a sauté. Et les conséquences sont désastreuses. Mais ça arrange tellement le pouvoir, ça permet de calmer toutes les voix un peu trop dissidentes, du moins de ne pas les laisser s'exprimer trop fort. Triste époque.

Sinon il y a surement de très belles choses à voir parmi la liste.

J'essayerai Resurection parce que Rebecca Hall, excellent dans La Proie d'une ombre et You won't be alone, parce que j'aime bien les film de sorcières. Pour les autres on verra.