Les vieux pots, les meilleures soupes, tout ça
À l’heure où le post-apo a le vent en poupe, le problème, c’est qu’on connaît la formule un peu par cœur. Une séquence d’intro qui explique comment la majorité de la population a disparu, le focus sur un petit groupe d’humains, leur appréhension progressive des nouvelles règles du monde dévasté, et la double lutte contre la menace extérieure et les autres survivants. On a déjà vu ça dans The Walking Dead, The Last of Us, La Guerre des Mondes, 28 jours plus tard et bien d’autres.
Pas facile, donc, de tirer son épingle du jeu quand on raconte encore cette même trame, mais L’Eternaute ne s’en sort pas mal. La narration reste très classique, même attendue, mais la manière de suggérer la catastrophe mondiale par la petite lorgnette (notamment la scène sur le bateau qui ressemble presque à du slasher) est réussie sans donner l’impression de trahir une économie de moyens. Le grand spectacle est plus induit que vraiment montré, mais l’angoisse n’en est que plus réelle.

La série étoffe petit à petit ses personnages, tous variés et bien écrits, et qui composent un groupe auprès duquel le spectateur se sent rapidement impliqué. Chacun a ses motivations, ses drames et ses attaches aux bribes restantes d’un monde disparus. Autant de choses qui les séparent mais qui les unissent aussi tant bien que mal.
Et tout cela fonctionne d’autant que la plus grande force de la série, c’est son interprétation. Les acteurs y sont tous excellents (on connaissait le grand talent de Ricardo Darín, mais Carla Peterson, César Troncoso, Andrea Pietra et compagnie sont tous au niveau) et donnent épaisseur et crédibilité a des séquences qui, sans ça, pourraient souffrir d’un déroulé trop calme et convenu.

Une entrée sans plat de résistance
Pour étoffer son programme trop déjà-vu, L’Eternaute émaille petit à petit son récit de touches fantastiques. Juan va, ça et là, être pétrifié par des visions saisissantes (d’abord très cryptiques, puis qui vont se préciser) qui vont remettre en cause la compréhension de l’histoire et le passé des personnages. En parallèle, la véritable nature de la menace extérieure va être révélée : elle prend la forme de scarabées géants mangeurs d’hommes apparemment venus d’une autre planète…
Pure science-fiction ou horreur fantastique ? La série ménage la chèvre et le chou en laissant, à ce stade, la porte ouverte à beaucoup d’interprétations. Si ce mélange des tons est plaisant, le design des créatures, lui, est un peu regrettable car trop sage. Comme l’ensemble de la série, en fait. Mais on sent que le potentiel est là, et que ces scarabées ne sont sans doute qu’une entrée en matière pour quelque chose de plus impressionnant, de plus terrifiant. Le problème, c’est que toute cette première saison ne fait office, justement, que d’entrée en matière.

L’explication des règles, et la présentation des personnages sont diluées grâce à des interludes plus ou moins efficaces (la scène du train, la découverte de la famille du lycéen…) pour finalement prendre tout l’espace d’une saison qui ne décolle qu’à la toute fin, avec la révélation d’éléments qui promettent (enfin) des choses vraiment originales et effrayantes. Lorsque le dernier épisode se termine, le spectateur se sent floué de comprendre qu’il a été privé de la véritable et future histoire de la série, pour être maintenu dans une salle d’attente pendant toute une saison.
On comprend alors pourquoi tout était certes bien fichu, mais un peu mou du genou : L’Eternaute garde ses meilleures cartes pour plus tard, et c’est un peu dommage. En attendant, il faut se contenter de créatures à peine assez terribles, d’un univers à peine assez cohérent (la pluie de cendres mortelles et les gros scarabées, pour l’instant, ça matche moyen) et de rebondissements à peine assez bondissants.

Le nerf (à vif) de la guerre
Cela dit, on tient aisément le coup, non seulement parce que c’est très bien filmé et joué, comme dit plus tôt, mais aussi parce que le sous-texte politique et psychologique qui pointe le bout de son nez intrigue beaucoup. Si Juan évite soigneusement de parler de la guerre des Malouines, certaines personnes autour de lui semblent bien s’en souvenir, et rattacher Juan à des faits a priori sombres.
L’invasion extra-terrestre qui détruit tout sur son passage, et surtout l’esprit des survivants, est-elle métaphore des traumatismes de la guerre sur ceux qui y ont pris part ? Sans doute, et là encore, la fin de la saison laisse à penser que L’Eternaute a encore beaucoup de choses à dire à ce sujet.

Il faut dire que l’auteur de la bande-dessinée originale des années 1950, Héctor Germán Oesterheld, a vu ses filles militantes de gauche et petits-enfants être enlevés, séquestrés et assassinés par la dictature militaire argentine, avant d’en être lui-même victime. Son œuvre, chargée de politique, ne pouvait qu’être un terrain fertile à une réécriture moderne, adaptée à l’histoire récente.
C’est l’ambition de cette série Netflix à la qualité indéniable mais qui doit encore passer la quatrième et donner (vraiment) à manger à son public. Alors vivement la deuxième saison.
