L'indéfendable : Jonah Hex, avec Josh Brolin en cow-boy vengeur et Megan Fox en pute ingénue

Parce que le bon sens a ses limites, certains films restent difficiles, voire impossibles à défendre. Ecran Large leur consacre donc une rubrique spéciale : les indéfendables. L'occasion de revenir sur des ratages plus ou moins célèbres et controversés, salués par la presse, le public ou les deux.

"DE TEMPS À AUTRE, UN FILM ARRIVE EN SALLES TELLEMENT RECOUSU DANS TOUS LES SENS QUE C'EST UN MIRACLE QU'IL NE SE DÉCOMPOSE PAS À TRAVERS LE PROJECTEUR. JONAH HEX EST CE GENRE DE FILM." (AV CLUB)

"UNE LEÇON SUR COMMENT NE PAS ADAPTER UN COMIC BOOK." (EMPIRE)

"ÇA DEVIENT DE PLUS EN PLUS BRUYANT ET ABSURDE À MESURE QUE ÇA AVANCE." (THE GUARDIAN)

"JONAH HEX AURAIT PU DÉPASSER LES 80 MINUTES POUR FAIRE DE LA PLACE À UNE VÉRITABLE INTENTION VISUELLE. ET DES PERSONNAGES CRÉDIBLES. ET UNE HISTOIRE. UNE HISTOIRE, ÇA AURAIT ÉTÉ BIEN." (SAN FRANCISCO CHRONICLE)

"AU MOINS, C'EST RELATIVEMENT COURT" (LITTLE WHITE LIES)

LE RÉSUMÉ EXPRESS

Jonah Hex (Josh Brolin) n'est pas content. Sa femme et son fils ont été brûlés sous ses yeux par son ancien général Quentin Turnbull (John Malkovitch) et son bras droit (Michael Fassbender), qui l'ont marqué au fer rouge et laissé pour mort. Sauf que des Amérindiens ont trouvé Jonah et l'ont ramené à la vie, ce qui lui a donné le pouvoir bien pratique de parler aux morts. Condamné à errer seul et défiguré, il veut se venger, mais Turnbull a simulé sa mort, alors Jonah devient un chasseur de primes pour passer ses nerfs.

Par chance, des années plus tard, le président propose à Jonah de supprimer le mandat d'arrêt contre lui s'il arrive à arrêter Turnbull, devenu un terroriste qui a volé une super-arme de destruction massive. Accompagné de Lilah (Megan Fox), une prostituée qu'il aime bien, Jonah part donc sauver le pays et accomplir sa vengeance. Grâce à ses pouvoirs, Jonah retrouve Turnbull, qui le tue encore une fois avant de kidnapper Lilah et de détruire une petite ville avec sa super-arme.

Sauf que des Amérindiens trouvent Jonah et le soignent encore grâce à des soufflettes magiques (mais il ne gagne pas de pouvoir cette fois). Jonah retrouve Turnbull, tue son bras droit et sauve Lilah, mais Turnbull s'échappe et prévoit d'attaquer Washington, alors Jonah le poursuit sur son bateau et tue enfin Turnbull. Pour le récompenser, le président propose à Jonah de devenir le shérif de tous les États-Unis. Le chasseur de primes refuse, mais lui promet qu'il pourra toujours le trouver s'il a besoin de lui, puis il s'en va avec Lilah avant de retourner sur son cheval galopant vers l'horizon, comme le chasseur de primes solitaire et pas content qu'il est.

FIN

Il ne sait pas où il va, mais il y va

JONAH HEX, REVENU D'ENTRE LES MORTS

Personne n'a voulu le voir, mais le désastre de Jonah Hex était couru d'avance et quasiment chaque étape de sa production était là pour le confirmer. En 2000, déjà, la 20th Century Fox a l'idée de développer un épisode d'une heure autour de Jonah Hex produit par Akiva Goldsman (Batman Forever, Batman & Robin) et Robert Zappia (Halloween, 20 ans après), mais le projet ne voit jamais le jour. Des années plus tard, en 2007, Warner Bros. achète les droits du personnage et lance une nouvelle adaptation, mais au cinéma, toujours avec Akiva Goldsman à la production et Andrew Lazar (producteur de Bound, Space Cowboys ou Max la menace, entre autres).

À cette époque, le DCEU est encore loin. L'échec de Superman Returns donne encore des cauchemars aux exécutifs du studio, The Dark Knight est en plein tournage, Watchmen s'apprête à entamer le sien et Green Lantern vient seulement d'être validé. Contrairement à Marvel, qui s'apprête à lancer son MCU, Warner continue de produire ses films de super-héros les uns après les autres sans stratégie particulière, et parmi tous les personnages de l'univers de DC pouvant être adaptés au cinéma, le studio s'arrête donc sur Jonah Hex.

Même si les adaptations de comics sont de plus en plus populaires, Jonah Hex est un personnage obscur de l'univers de DC, à peine identifié par le public. L'anti-héros créé par John Albano et Tony DeZuniga est directement inspiré du western (notamment de Clint Eastwood et des films de Sergio Leone et de Sam Peckinpah) et possède un certain potentiel cinématographique, mais qui ne peut pas être exploité en tant que tel dans un film de super-héros. Le projet s'annonce mal, mais le studio y croit quand même.

Le héros que personne n'a demandé et que personne ne voulait

L'écriture et la réalisation du film sont confiées à Mark Neveldine et Brian Taylor, le duo derrière Hyper Tension et Hyper Tension 2 qui vient de se rétamer avec Ultimate Game (40 millions au box-office mondial pour 50 millions de budget). Dès le départ, les deux cinéastes imaginent un western résolument violent et subversif, fidèle à eux-mêmes, en essayant de coller à l'esprit des comics malgré les éléments surnaturels et les pouvoirs nécromantiques donnés à Jonah (sans doute à la demande du studio qui espérait en faire un super-héros).

Dans leur scénario, Neveldine et Taylor présentent Jonah Hex comme un chasseur de primes grossier et déséquilibré, rendu fou par sa soif de vengeance et son retour du monde des morts. Lilah Black est décrite comme une femme battue qui a perdu tous ses charmes. L'histoire se présente comme un défouloir absurde et implique des fusillades sanglantes, des membres arrachés, des zombies ou encore un passage où Jonah accroche des fusées de dynamite aux testicules de son cheval pour s'en servir comme missiles.

Ça va faire mal

En octobre 2008, Josh Brolin commence à négocier avec le studio pour incarner Jonah Hex. L'acteur passe plusieurs entretiens, mais en novembre, Mark Neveldine et Brian Taylor décident finalement de quitter le projet en raison de "différends créatifs" avec le studio, comme le rapporte Variety.

Moins d'une semaine plus tard, Josh Brolin donne une interview à MTV News et ses propos laissent entendre qu'il a joué un rôle dans le départ de Neveldine et Taylor ou le casting de John Malkovich :

« Quand j'ai lu le scénario pour la première fois, j'ai pensé : "Oh mon Dieu, c'est atroce !" Et puis j'y ai repensé une semaine après et je me suis dit : "Pourquoi c'est atroce ? Peut-être que la chose à faire est de jouer dans le film le plus atroce que je puisse trouver." J'aime l'absurdité de la chose, qui permet presque de créer un nouveau genre.

J'adore reprendre l'idée du western spaghetti et la retourner complètement. C'est tellement ironique, tellement ridicule. Mais une fois que j'ai commencé à réfléchir à qui pourrait être dedans et à imaginer Malkovich dans tel rôle, je me suis demandé : "Que deviendrait ce film ? Ensuite, mettons ce producteur et ce réalisateur sur le coup et réfléchissons à la façon dont ça se passe." Là, ça devient amusant. Maintenant, j'adore ce film. Si vous avez un grand réalisateur qui arrive, alors soudainement ces gags et ces personnages peuvent être intéressants. »

"Pourquoi il a parlé de moi, lui ?"

Tandis que Warner Bros. cherche désespérément quelqu'un pour remplacer Neveldine et Taylor, Josh Brolin approche Park Chan-wook (Sympathy for Mister Vengeance, Old Boy) et Oliver Stone (Platoon, JFK). Andy Fickman (Viens voir papa !, Reefer Madness) et McG (Charlie et ses drôles de dames) s'ajoutent aussi à la liste des candidats avant que le studio décide finalement en janvier 2009 d'engager Jimmy Hayward, réalisateur du film d'animation Horton, son seul long-métrage jusqu'alors.

Un mois après, Josh Brolin signe définitivement pour jouer Jonah Hex et John Malkovich est annoncé pour incarner Quentin Turnbull. Sans perdre de temps (et sans être crédité), Jimmy Hayward réécrit le scénario pour supprimer plusieurs scènes, donner plus d'importance à Lilah Black et faire en sorte que le film ne dépasse pas la classification PG-13. Megan Fox, qui avait refusé de jouer Lilah parce qu'elle trouvait l'histoire trop violente et trop misogyne, change d'avis et accepte le rôle. Puis le reste du casting se compose avec des noms et des visages plutôt connus : Michael Fassbender, Will Arnett, Michael Shannon, Wes Bentley ou encore Jeffrey Dean Morgan (qui n'est pas crédité au générique alors qu'il incarne le fils du méchant).

Michael Fassbender qui essaie de comprendre ce qu'il fout là

LE MASSACRE DE JONAH HEX

Le tournage de Jonah Hex débute en avril 2009, et d'après les dires du casting, la production a été de pire en pire. Pourtant, les journalistes invités sur place décrivent un tournage qui se déroule sereinement dans leurs articles, avec un réalisateur à l'aise, qui a une vision claire de ce qu'il veut faire. Jimmy Hayward réécrit quelques scènes pour s'adapter à certaines contraintes techniques ou budgétaires, s'appuie sur les connaissances des techniciens sur place et parle régulièrement à Jimmy Palmiotti et Justin Gray, les deux scénaristes en charge de la nouvelle série de comics Jonah Hex lancée en novembre 2005. 

Sous ses prothèses et son costume, Josh Brolin transpire à grosses gouttes, Megan Fox est contrainte de porter un corset qui réduit sa taille à seulement 30 centimètres, mais tout le monde s'implique.

Ça ne se voit pas, mais elle retient sa respiration depuis six minutes

Seulement, lorsque Warner Bros. découvre les images, le studio déchante et décide de faire appel à Francis Lawrence (réalisateur de Je suis une légende et Constantine, produit aussi par Akiva Goldsman et Andrew Lazar) pour retourner une grande partie du film. Le budget grimpe alors jusqu'à 50 millions de dollars et l'histoire qu'avaient successivement imaginée les producteurs, Neveldine et Taylor, Josh Brolin et Jimmy Hayward devient encore autre chose.

En 2016, dans un podcast de Nerdist, Josh Brolin était revenu sur la production infernale du film : « Oh, Jonah Hex, je l'ai détesté. Détesté ! Ç'aurait été un bien meilleur film si on avait montré l'expérience du tournage plutôt que ce que nous avons fait au final, c'est à dire retourner 66 pages de scénario en 12 jours. Alors, je comprends qu'à un moment, les investisseurs essaient de sauver leur argent et que l'affaire devienne financière, mais dans ce cas, c'était une vengeance financière ("revenge trading" en version originale, c'est-à-dire essayer de réaliser un profit rapide sous le coup de l'émotion pour tenter de récupérer ses pertes, en l'occurrence essayer d'amortir le budget en dépensant encore plus d'argent dans les reshoots) et je suis suffisamment discipliné pour savoir que ça ne se fait pas. »

Josh fait des pieds et des mains pour que le scénario soit réécrit, mais Josh sait ce qui se fait et ne se fait pas

À cause des reshoots et des changements en salle de montage, la production prend du retard et le compositeur John Powell (La mémoire dans la peau, Dragons), qui a collaboré avec le groupe de métal Mastodon pour la musique du film, doit laisser sa place. Marco Beltrami (Hellboy, 3h10 pour Yuma) est appelé pour le remplacer, mais son style étant différent de celui de John Powell, le groupe Mastodon se retrouve obligé de travailler sur une nouvelle bande originale, composée au dernier moment.

Sur le plateau, les reshoots prennent tellement de temps qu'une des dernières scènes de Megan Fox est filmée deux jours avant que l'équipe parte pour la Comic-Con de San Diego, et en voyant le résultat, il est évident que le film a été coupé, découpé et recoupé au montage jusqu'à obtenir un produit final de 1h20 (générique de 7 minutes inclus).

Aux abois, Warner Bros. décide d'avancer la date de sortie prévue pour le début du mois d'août au 18 juin 2010 pour se positionner face à Toy Story 3, espérant ainsi attirer un public "jeune et masculin". Après une première bande-annonce au Comic-Con, la promotion continue timidement, en présentant le film comme "l'adaptation du légendaire personnage de DC Comics" et en mettant en avant son prestigieux casting.

John Malkovich, toujours là dès qu'il y a une mauvaise adaptation

LE GIGA FLOP AU BOX-OFFICE

Évidemment, Jonah Hex a été un immense échec (10 millions pour 47 millions de budget), avec un démarrage catastrophique (un peu plus de 5 millions de dollars sur 2 825 écrans). En raison des chiffres désastreux aux États-Unis, le film n'a quasiment pas été diffusé dans d'autres pays et n'a récolté que 350 000 dollars à l'international. En France, l'indifférence a atteint un tel niveau que le film est directement sorti en DVD et Blu-ray avec le doublage québécois et sous la classification tous publics, malgré la violence, les fusillades et les scènes de guerre.

Trop tard, vous avez déjà signé

LE PIRE de JONAH HEX

Même en étant clément, Jonah Hex reste une atrocité, à tous les niveaux. Déjà, le film commence sur la voix-off du chasseur de primes qui résume son histoire dans une séquence en image de comics, puis les scènes et les dialogues s'empilent sans ambition et sans envie dans un montage insensé. D'une séquence à l'autre, le ton passe du western spaghetti au film de justicier, puis du film d'action bourrin au film de super-héros pour finalement prendre la forme d'une redite de Wild Wild West qui réussit l'exploit d'être encore plus nulle et mal filmée.

Certains passages sont clairement destinés à faire rire, lorsque Jonah tue un type en buvant son whisky ou quand il utilise deux Gatlings montées sur son cheval pour décimer une bande de hors-la-loi, mais le résultat est tellement triste et aseptisé qu'il donne envie de pleurer. Encore plus en imaginant la série B ultra-violente que Nevedine et Taylor avaient écrite au départ.

Entre Hyper Tension et Red Dead Redemption

Les rares éléments gardés après les réécritures et le découpage ont été vidés de toute substance et n'ont plus aucun intérêt. Les éléments fantastiques sont balancés sans explications et se résument seulement aux pouvoirs de Jonah sortis de nulle part et à une scène de lutte avec une sorte d'homme-serpent.

Les moments de bravoures, les intrigues et les flashbacks s'enchaînent avec des effets de styles grossiers et superflus, comme si la réalisation réinventait le western et le film de super-héros, alors que le film ne fait que reprendre le schéma classique du récit de vengeance avec tous les poncifs des deux genres : d'un côté, un braquage de train, une fusillade dans un saloon, des Amérindiens et des chevaux, et de l'autre, un héros torturé face à un méchant qui parle trop et qui veut détruire le pays avec son arme délirante.

Un homme dur au coeur tendre

Ayant été charcuté et réduit à 1h13, le film va donc beaucoup trop vite et chaque personnage est une caricature. Josh Brolin est un cow-boy énervé qui passe son temps à grogner et tuer des gens en hors-champ ; Megan Fox est une femme forte avec un mauvais accent, mais tient aussi le rôle de la femme-objet en détresse amoureuse du héros ; John Malkovich en fait des tonnes en jouant un conféré mégalomaniaque qui veut tout faire sauter juste parce qu'il est méchant et Michael Fassbender a des tatouages celtiques partout pour bien faire comprendre qu'il est d'origine irlandaise.

La direction d'acteurs ne transparaît jamais tellement le casting est perdu, mais de toute façon, la caméra est plus intéressée par le décolleté et les jambes de Megan Fox que par son jeu ou celui des autres. À aucun moment, le film n'a l'intention d'exploiter le potentiel de son univers. Les scènes d'action n'ont aucune imagination et la photographie incapable de filmer la nuit n'aide pas à les rendre plus lisibles. La plupart ne servent qu'à proposer des explosions sans intérêt ou des combats avec des effets spéciaux hideux qui recopient Constantine, comme lors du combat final entre Jonah Hex et Turnbull (merci Francis Lawrence).

Faire croire que Megan Fox joue une prostituée du Far West est certainement la plus grande blague du film

Mais par-dessus tout, le pire est sans doute qu'ils aient donné le nom de Jonah Hex à cette chose. Le personnage n'est plus un chasseur de primes impitoyable qui a été défiguré par son père et qui fume tout le temps, mais un héros traditionnel non-fumeur qui doit sa blessure à son ennemi et qui parle aux morts après avoir été ressuscité. Lilah Black, qui s'appelle Tallulah Black dans les comics, n'est plus une prostituée défigurée et borgne qui devient la partenaire de crime de Jonah, mais devient une courtisane victorienne incapable de se défendre toute seule. Quentin Turnbull n'est plus un propriétaire de plantation sadique qui veut tuer Jonah, mais un général de la Guerre de Sécession qui se reconvertit dans le terrorisme, et Doc Cross Williams n'est plus un marchand mystique, mais un clochard inutile.

Si le chasseur de primes incarné par Josh Brolin ne s'appelait pas Jonah Hex et n'avait pas de cicatrice sur la tronche, le film aurait pu être exactement le même, ça n'aurait rien changé.

La seule réaction possible devant un tel spectacle

LE MOINS PIRE de JONAH HEX

Au milieu de cette infamie, quelques éléments peuvent quand même être sauvés. Ou, du moins, font que le film est moins pénible à regarder. La fusillade en pleine rue avec les Gatling sur le cheval est amusante et permet d'avoir une petite idée du trip jubilatoire que le film aurait pu être.

Josh Brolin grogne tout le temps, mais l'acteur dégage toujours un charisme certain, contrairement à John Malkovich qui n'essaie même pas de cabotiner. En revanche, du côté des rôles secondaires, certains, comme Will Arnett ou Michael Fassbender, se montrent plus convaincants et essaient de tirer leur épingle du jeu avec ce qu'ont leur a donné.

Même si elle ne correspond pas du tout au style du film ou à l'atmosphère de la plupart des scènes, la composition musicale de Marco Beltrami et du groupe Mastodon sonne comme grondement puissant et efficace qui donne de l'énergie et une identité musicale au film. Enfin, le résultat a beau être inégal et affreux, il n'est jamais ennuyeux pour autant (et en même temps, ce serait très fort en seulement 1h13).