Jurassic World : Fallen Kingdom - et si c'était la seule suite valable de Jurassic Park ?

La Rédaction | 4 décembre 2022 - MAJ : 05/12/2022 10:20
La Rédaction | 4 décembre 2022 - MAJ : 05/12/2022 10:20

Accueilli soit avec véhémence soit avec indulgence par les cinéphiles et les amateurs de dinosaures, Jurassic World 2 reste un film passionnant.

Alors que Jurassic World : Le Monde d'après a raflé gros au box-office, le deuxième opus de la trilogie débutée par Colin Trevorrow continue de faire parler de lui. Déjà à l’époque, il avait largement divisé la rédaction, les cinéphiles et ses spectateurs en règle générale. Quatre ans après, les contradictions en son sein animent toujours les débats.

Et comme on aime la baston, on a décidé de remettre une pièce dans la machine. Drôle d’objet hollywoodien pour le moins inégal, Jurassic World : Fallen Kingdomréalisé par Juan Antonio Bayona, méritait qu’on se batte pour lui, point par point.

 

Jurassic World 2 : Fallen Kingdom : Photo Chris PrattVoyez la rédaction d'Ecran Large comme une portée de raptors

 

fan service en péril

C'EST AMUSANT. Tout raser pour tout reconstruire : tel est le crédo de ce Jurassic World. Le premier film s'emparait de l'obligatoire fan-service pour lui conférer une fonction symbolique. Le deuxième, bien conscient qu'il ne pourra plus jouer la même carte, prend son contrepied. La fameuse Isla Nublar, l'un des décors les plus iconiques de la saga, est intégralement ravagée par un volcan. Là où le film de Trevorrow prenait son temps pour explorer les vestiges du parc originel, celui de Bayona ne s'attarde pas sur ces ruines nostalgiques et noie d'emblée tout sous des litres de lave.

Une politique de la terre brûlée (littéralement) qui traduirait presque une volonté de pourfendre le modèle du fan service alors en train de pourrir Hollywood. D'autant plus qu'il assume de remplacer les interminables déambulations dans des décors pleins à craquer de clins d'oeil forcés par une bonne grosse dose d'aventure à l'ancienne, complètement improbable, frénétique et spontanée. On se serait presque débarrassé de tout ce cynisme si le troisième opus n'en rajoutait pas une couche nauséeuse en ressortant les dinosaures (Dern et Neill) du placard.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photoTout doit disparaître

 

C'EST BARBANT. En dehors du prologue qui vient rendre hommage à la trilogie (avec l’entrée sur l’île, l’inquiétant T-rex) tout en trouvant sa propre identité avec son arrivée sous l’eau, la recherche d’un squelette comme James Cameron recherchait son Titanic, et surtout la vraie menace du mosasaure (complètement absent de la saga originale), difficile de prendre un quelconque plaisir devant tous les clins d’œil à la saga de papa Spielberg.

Tout le fan service est sans intérêt : la présence de Ian Malcolm est purement fonctionnelle (et n’est qu’un appel du pied pour ramener le reste du trio dans la suite) et le énième retour de Dr Wu est toujours aussi dérisoire. Ce ne serait pas si gênant si l’intrigue déviait un peu de la trajectoire habituelle sauf que Jurassic World : Fallen Kingdom reprend tout ce qu’on a déjà vu.

Derrière ses airs de « je détruis les symboles » avec l’éruption de Isla Nublar, le scénario repose en fait sur la même structure que ses aînés : rencontre émerveillée avec un dinosaure, cache-cache entre les héros et un dinosaure, duel entre dinos, spécimen créé en laboratoire… Bref, on s'ennuie ferme et ce n’est pas un manoir gothique qui va nous empêcher de voir l’arnaque.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photo, Bryce Dallas Howard, Chris PrattUne scène complètement inédite (lol)

 

La patte Bayona

ÇA SAUVE LA FRANCHISE. Parmi les nombreux "héritiers de Spielberg", Juan Antonio Bayona a su se faire remarquer par son sens aigu de la mise en scène, toujours au service d’un fantastique qui interroge par ses symboles les affres de l’âme humaine. On comprend alors ce qui a amené le bonhomme à accepter l’offre de son idole, lorsque ce dernier lui a proposé de prendre les rênes de Jurassic World 2.

Bien sûr, reste que Colin Trevorrow est toujours là pour pourrir la franchise, puisqu’il demeure co-scénariste et producteur exécutif. Mais face aux désidératas du nouveau patron de la franchise, il y a dans Fallen Kingdom une belle prouesse : un acte de résistance de la part de son réalisateur.

Alors que la plupart des réalisateurs de blockbusters tendent à baisser les bras lorsqu’ils sont confrontés à une machine écrasante, Bayona passe son temps à transcender la débilité du scénario par la puissance picturale et métaphorique de ses images. La séquence qui suit la mort du diplodocus est à ce titre l’un des sommets émotionnels du film (même si c'est un brachiosaure, on sait), mais sa manière de détourer la silhouette du dinosaure par la fumée martèle toute sa démarche. Fallen Kingdom est un film sur la projection, sur la diffusion des ombres et des lumières, qui agit comme une allégorie de la caverne sur nos peurs les plus primaires.

Ce parti-pris suffit à lui seul à justifier le dernier acte du long-métrage, et sa dimension gothique qui assume de puiser dans l’imagerie des films de la Hammer. Au travers de la fascination pour les dinosaures, Bayona réveille avant tout notre soif de monstres, comme le soulignent ses plus belles séquences (la patte qui approche du lit de l’enfant, l’ombre d'un museau qui se mêle à des chevaux en jouet). Le réalisateur aurait pu abandonner et laisser la médiocrité de Trevorrow l’emporter, mais il parvient à s’imposer à chaque séquence, et à apporter une beauté insoupçonnée à ce joyeux bordel.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photo Fallen KingdomBonne nuit les petits

 

MAIS CE N'EST PAS PARFAIT QUAND MÊME. À n'en point douter, Bayona est en effet bien meilleur metteur en scène que son prédécesseur. Là n'est pas la question. Tout au long de sa filmographie, le cinéaste révélé (entre autres) par Guillermo del Toro a largement prouvé son agilité derrière la caméra... et son absence de subtilité. Son point de vue frôlait l'indécence dans le mélo inspiré de faits réels The Impossible. Dans une suite de Jurassic Park, il se contente de caricaturer encore un peu plus les enjeux.

Sa marque de fabrique la plus aisément décelable est évidemment la scène du départ de l'île. Alors que le volcan entre en éruption, un pauvre brachiosaure se fait engloutir par la fumée. Dans la mythologie de Jurassic Park, dépeindre cette fuite comme une tragédie va de soi et fait office de terrible levier émotionnel. Mais le cinéaste en profite pour demander à Michael Giacchino de mobiliser tous les violons de son orchestre et se feindre d'une composition de plan un peu trop bourrin pour ne pas franchir les limites du pathos.

Une bonne grosse séquence tire-larme comme il en a le secret. D'autres passages feront à peu près autant dans la dentelle. Le style Bayona troque la finesse contre l'efficacité. Dommage qu'il fasse choisir.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photo, Rafe SpallUn méchant subtil

 

Les personnages insupportables

C'EST MOINS PIRE QUE JURASSIC WORLD. L'envie de foutre trois gifles à Chris Pratt et/ou Bryce Dallas Howard reste immense, en grande partie à cause de la transparence de ces personnages-verres d'eau, magnifiques prototypes de l'héroïsme insipide. L'arrivée de nouveaux personnages en carton (Franklin, le geek qui crie, et Zia, la paléo-vétérinaire warrior) aurait pu être une diversion, mais elle rajoute en réalité trois couches de crème épaisse sur ce gâteau de neuneu.

Rien ne change dans JW2... sauf le principal : le premier degré. Exit les sous-intrigues profondément inutiles du premier Jurassic World, avec les deux mômes insupportables (et oubliés depuis) aux parents divorcés, ou le passé amoureux de Claire et Owen. Place au spectacle, pur et dur. Tout le monde reste aussi tendre et con qu'un balai sans manche, mais plus personne ne compte dans l'apocalypse selon Bayona. Même Maisie, la petite-fille cliché du film de monstre, n'est qu'un véhicule-fantôme (et la révélation sur sa nature le confirme).

La seule (petite) émotion mécanique provient finalement du brachiosaure abandonné sur Isla Nublar, et laissé à son funeste destin dans un nuage toxique. C'est le meilleur double aveu du film : l'émotion vient plus des dinosaures que des humains en pâte à modeler, et elle appartient tellement au passé que tout le monde l'a oubliée en partant vers l'avenir.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photoDiplo-dans-le-cul

 

C’EST PIRE QUE JURASSIC WORLD. Parce que dans Jurassic World, tous les personnages étaient nouveaux et avaient donc besoin d’être caractérisés, afin que le public puisse comprendre leur relation, leur différence et donc les enjeux, conflits, qui les animeront. Mais dans Jurassic World : Fallen Kingdom, les scénaristes Derek Connolly et Colin Trevorrow n’ont tout simplement aucune envie de s’attarder sur les humains. Chris Pratt s’en sort pas si mal en restant toujours le même ahuri, courant bizarrement et prenant des décisions complètement teubés.

En revanche, Bryce Dallas Howard ramasse le gros lot. En passant de directrice du parc n’ayant aucune affection pour les dinos à présidente d’une association de défenses des dinosaures, elle devient l’exact opposé de ce qu’elle était dans le film précédent. Un virage à 180 degrés qui n’a absolument aucun sens, le film refusant d’expliquer l’évolution de ses convictions…

Alors quand, à côté d’eux, on trouve deux ignares, ça n’aide pas. Franklin (Justice Smith) est engagé dans une mission dont il ne voulait pas faire partie et où il est quasiment inutile (sauf pour une porte) et Zia Rodriguez (Daniella Pineda) s’efface au fil des minutes jusqu’à devenir figurante de luxe alors qu’elle avait un beau potentiel narratif en vétérinaire coriace. La petite Maisie est aussi une sacrée anomalie, le gadget de l’enfant clone sortant de nulle part et n’étant expliqué qu’à travers une petite photo furtive. Enfin, on ne parlera pas en détail du méchant ici (on le fait plus bas), qui, sans surprise, répond aux mêmes archétypes vu cinq fois en cinq films Jurassic. C’est dire à quel point, tout est pire.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photo, James CromwellAh et il y a James Cromwell aussi, mais tout le monde s'en tape

 

Les méchants

OU COMMENT ÉVITER DE SE FOULER UN NEURONE. Étant donné que le premier Jurassic World a pompé toute son intrigue sur Jurassic Park, il y a une certaine logique à ce que Fallen Kingdom soit calqué sur Le Monde perdu, en particulier concernant ses antagonistes. En plus de la mission de sauvetage foireuse sur Isla Nublar et des mercenaires qui - surprise - ne sont pas là pour leurs convictions anti-spécistes, le film de 2018 convoque le même duo de méchants insipides et anecdotiques.

Avec son profil d'énième homme d'affaires cruel et cupide, Eli Mills (Rafe Spall) n'est qu'une déclinaison du fils à papa - ou plutôt du neveu à tonton - cinglé joué par Arliss Howard en 1997, tandis que Ken Wheatley, le dur à cuir incarné par Ted Levine, emprunte énormément au chasseur de Pete Postlethwaite en poussant un peu plus loin la caricature (le collier en dents de dinos comme trophée de chasse, entre autres). Même leurs motivations n’ont rien d’original et sont celles de tous les méchants de fonction : faire des sous, faire des armes et prouver qui c’est le plus fort et viril.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photo, Ted LevineDinosaure dundee


SUPER DINO À LA RESCOUSSE. Même si le scénario essaie d’installer une continuité thématique entre le premier film et le deuxième pour justifier l’existence de l’Indoraptor, ce nouveau méchant dino - parce qu’il y en a des gentils apparemment - n’en reste pas moins un nouvel hybride régurgité après l’Indonominus Rex. Malgré cette paresse à peine cachée, le film ne succombe heureusement pas à la tentation du « plus grand, plus gros, plus viandard » pour appâter un public qui se serait lassé des dinos à l’ancienne.

Contrairement au premier volet qui misait davantage sur la bestialité physique de la créature pour en faire un monstre implacable - au détriment d’une intelligence soi-disant hors-norme, mais trop peu exploitée -, Fallen Kingdom reflète davantage l’intellect supérieur de l’Indoraptor. La scène la plus démonstrative est celle qui oppose la bête et Ken Wheatley durant laquelle le dinosaure prouve sa rapidité de compréhension et d’adaptation. En plus de préméditer son évasion en simulant son évanouissement, ce dernier semble prendre plaisir à jouer de la crédibilité de sa proie, qu’il exécute de façon presque punitive, ce qui rend d’ailleurs la mort du monsieur plutôt jouissive à défaut d’être graphique.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photoPreuve de plus que ce n'est pas la taille qui compte

 

L'humour

ÇA PASSE. Le scénario de Colin Trevorrow et Derek Connolly (sans Rick Jaffa et Amanda Silver, qui étaient à leurs côtés sur le précédent film) semble conscient que les héros sont une belle brochette d'endives, et que cette aventure n'est qu'une vaste blague. Par conséquent, c'est plus amusant et léger. Moins de pseudo drama (famille, amour, enfants), et plus de bêtise revendiquée.

C'est parfois avec une réplique qui se joue des attentes, comme lorsque Owen s'approche de Claire, avant la catastrophe sur l'île, pour lui dire : "Si je ne reviens pas, n'oublie pas... c'est à cause de toi que je suis venu", soit une bien belle manière de simplement stopper le banal élan de la romance hollywoodienne bas de gamme. C'est aussi avec des gags plus brefs, comme Blue qui grogne quand Owen lui jette une sucrerie sur le pif.

Mais Jurassic World 2 va surtout dans l'extrême avec cette scène de la lave, où un Owen paralysé se transforme en chewing-gum. Il fallait oser, mais aller sur le terrain du burlesque au milieu d'un tel chaos montre bien que tout le monde est là pour jouer. Et en matière de gymnastique, Chris Pratt élastique vaut 10 000 Kelly Malcolm en plein numéro de barres fixes dans Le Monde perdu.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photoFloor is lava

 

ÇA LASSE. Certes, rire est souvent plus plaisant qu'une rupture du corps caverneux. Mais dans le cas présent, les saillies "drolatiques" revêtent une dimension contre-productive. On aura beau jeu de rappeler que le film original de 1993 ne rechignait pas non plus à nous offrir quelques blagues. De la mort sur cuvette d'un avocat véreux, en passant par les sorties de Jeff Golblum, jusqu'à quelques authentiques gags, notre première visite au parc contenait quelques précieux paliers de décompression. Et s'ils étaient aussi mémorables qu'efficaces, c'est d'abord parce que l'intensité du film était parfois telle qu'une pincée d'humour en facilitait le visionnage.

Fallen Kingdom ne peut pas en dire autant. Bien sûr, la seconde moitié de l'histoire cite tout un pan du cinéma horrifique et/ou gothique, mais quand ce changement esthétique survient, cela fait déjà longtemps que le film nous a signifié que nous n'avions rien à redouter de lui. Aucun de ses innombrables personnages ne court le risque de se faire dévorer, piétiner ou démembrer, sort réservé à d'obscurs antagonistes qui occupent péniblement plus de deux minutes à l'écran.

Or, si personne n'est véritablement menacé, il n'y a donc jamais de véritable tension. Et encore moins de nécessité de la gérer pour le confort du spectateur. Dans ces conditions, les diverses trouées de légèreté semblent non seulement inutiles, mais parasites.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photo, Justice Smith"Ah, mais moi aussi je survis ?"

 

La musique

PROFESSION : SAUVEUR DE SAGA. On ne le dit jamais assez, mais Michael Giacchino est depuis ses débuts l’héritier le plus évident de John Williams, dont il sait se réapproprier la complexité de son écriture, y compris dans ses inspirations jazzy. Après tout, le compositeur s’est fait connaître dans la musique de jeux vidéo, et en particulier pour sa partition de l’adaptation du Monde perdu, qui a été l’une des premières BO de jeux vidéo à profiter d’un orchestre symphonique, sur demande de Steven Spielberg.

Pour autant, le travail de Giacchino sur Jurassic World et sa suite ne se contente pas de recycler ad nauseam les thèmes de Williams. Au contraire, l’artiste les exploite avec parcimonie, pour mieux toucher en plein cœur lorsqu’ils résonnent sur les images du long-métrage.

Et si on sentait le compositeur quelque peu timoré sur le premier volet, il se lâche bien plus sur Fallen Kingdom. Oserait-on dire que c’est en grande partie dû à l’écart de talent gargantuesque entre Trevorrow et Bayona, mais pas seulement. Depuis son morceau Roar ! composé pour le film Cloverfield, Giacchino puise volontiers dans les classiques du kaiju eiga, connus pour leurs à-coups de cordes à la rythmique implacable, leurs aplats de cuivres et leurs percussions martiales.

En tant que film de monstres qui file la métaphore au travers de ses dinosaures, Jurassic World 2 profite d’une partition qui va dans ce sens, et retrouve une forme de gigantisme grisant, en particulier lors de l’éruption du volcan. Giacchino y déploie l’énergie d’un orchestre épique et espiègle, comme il a su si bien le faire sur les Star Trek d’Abrams. Cependant, il sait aussi embrasser la gravité de la mise en scène de Bayona, et donner à l’ensemble une dimension joliment mélancolique (Volcano To Death), qui offre une teinte particulière à son sens du merveilleux.

 

 

 

MAIS... Il n'y a pas de mais. Si vous pensez qu'on va taper sur le meilleur compositeur de musique de film en activité, vous vous mettez le doigt dans l'oeil jusqu'à l'épaule. Allez, pour la peine, voilà un autre morceau qui défonce.

 

 

 

Le scénario dino-débile

ÉVIDEMMENT. On peut le résumer assez simplement : Jurassic World proposait des enjeux intéressants, mais une rigueur esthétique inexistante, Fallen Kingdom un spectacle très efficace, mais une narration catastrophique. Tout n'est que prétexte au tour de montagne russe, de l'élément perturbateur du volcan à la seconde partie dans le manoir, tant et si bien que le récit est vidé de toute sa substance.

Avec en point d'orgue ce nouveau dinosaure génétiquement modifié, l'Indoraptor ("le parfait mélange des deux plus dangereux animaux qui est jamais existé sur terre" dixit le méchant commissaire). Qu'on défende ou pas le premier film, force est de constater que l'Indominus était l'outil d'un discours sur la technologie et le divertissement. Rien de tout ça ici : cette créature destructrice (et qui plait bien sûr aux Russes, comme dans les années 1980) est une pure régurgitation du concept génétique, designée pour satisfaire les fantasmes gothiques de Bayona dans le dernier acte.

 

Jurassic World 2 : Fallen Kingdom : PhotoUn classique des Jurassic : quand le méchant boulotte le méchant

 

Sauf que les impératifs d'une production de ce calibre empêchent de pousser à fond les potards du trip horrifique. La structure en deux parties est alourdie par des explications absurdes et surtout l'arc narratif autour de la gamine ajoute de la niaiserie dans la bêtise, la faute à une caractérisation largement insuffisante. Beaucoup de sacrifices pour garantir un cliffhanger efficace.

Plus généralement, le film est plombé par l'écriture de ses personnages, coquilles vides baladées au gré de péripéties sans grande crédibilité. Si on ne doute pas de l'envie de certains millionnaires de transformer un tricératops en shish-kebab, difficile de prendre au sérieux des méchants qui enferment un Stégocéras dans une cellule en briques. Des facilités et un certain je-m'en-foutisme qui annihilent de fait toute tension. Sans enjeu ou protagoniste un tant soit peu travaillé, difficile de s'émouvoir de ces aventures.

Et c'est dommage, car le film laisse transparaître en filigrane quelques bonnes idées. S'ils n'étaient pas de simples comic-reliefs ou boite à outils scénaristiques bêtement éjectés du récit, les personnages de Zia et Franklin auraient pu donner un peu de relief au sous-texte anti-spéciste du long-métrage, lequel incarne bien la vacuité du scénario. Martelé avec toute la finesse dont est capable le cinéaste, il sert finalement à justifier l'un des twists les plus mal amenés de la saga. Heureusement qu'il reste le spectacle, donc.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photoOn la voit, on ne la voit plus

 

Le méga-plaisir du méga-spectacle

OH QUE OUI. Que reste-t-il à faire au bout du cinquième film, et au milieu d'une deuxième trilogie, alors que la marque Jurassic Park a été essorée par des jeux vidéo, des parodies et des copies presque conformes ? Rien. Donc autant l'assumer, et s'amuser comme s'il n'y avait pas de lendemain. Jurassic World : Fallen Kingdom applique cette idée, mais élève le cynisme au rang de grande attraction, avec une folie unique dans la franchise.

Vous aviez aimé les dinos aquatiques de Jurassic World ? Ils auront une belle intro nocturne pour exister (et rhabiller l'intégralité de The Meg alias En eaux troubles, sorti la même année). Vous considérez Ilsa Nublar comme un sanctuaire intouchable ? Regardez l'île cramer en direct sous une éruption, qui la ravage durant la première heure du film. Parce qu'au bout de 30 minutes, c'est déjà Pompéi chez les dinos, comme un climax avant l'heure, et avec une photo de famille puisque toute la ménagerie préhistorique est réunie dans une course contre la mort.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photoLe pitch du film

Vous pensez que les diplodocus sont des peluches géantes, éternellement liées à l'émerveillement de leur apparition dans Jurassic Park, sous les yeux d'Alan et Ellie ? Observez-en un mourir parce qu'il a loupé le dernier départ au port de l'enfer (oui on sait que c'est un brachiosaure, arrêtez de râler).

Vous vous êtes toujours demandé ce qui se passerait si on enfermait des abrutis avec un gros méchant dino dans une maison ? Vous aurez votre réponse. Une part de vous a toujours eu envie de lâcher les dinos dans la vraie vie, comme le T-Rex du Monde perdu ? La fin annonce la couleur et ouvre en grand cette porte. Jurassic World 2 pousse les curseurs au maximum pour atteindre la seule destination encore réelle : le plaisir bête, presque méchant et souvent gratuit.

Spielberg avait succombé à cet appel dès Jurassic Park 2, avec le chaos sur l'île et surtout le T-Rex dans la ville, et depuis, la saga a couru après ce bigger and louder : Jurassic Park 3 avec le groupe perdu sur l'île dominée par les dinosaures, Jurassic World avec un Disneyland en garde-manger de dinos. Fallen Kingdom avance donc sur cette pente glissante avec un esprit de sale gosse particulièrement irrésistible, puisque débridé. En d'autres termes : excepté la maestria technique de Spielberg (la scène de la caravane dans Le Monde perdu), Fallen Kingdom enterre les précédentes suites côté spectacle.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photo, Bryce Dallas Howard, Chris PrattLa Nuit au musée
 

Avec une joyeuse envie de tout brûler autour du cahier des charges (ne pas décoiffer les protagonistes), le blockbuster coche toutes les cases du spectacle régressif. En deux bonnes heures, c'est un programme surchargé et presque un best of, avec d'abord le Jurassic Park en plein air (version film-catastrophe, pour aller jusqu'au point de non-retour), puis le Jurassic Park en huis clos (version maison hantée, pour jouer avec les codes horrifiques, comme si la scène de la cuisine du premier film était étirée).

Entre les hommages (les héros protégés par un tronc, au milieu d'une cohue de dinos) et les money shots majestueux (le T-Rex qui chope un gros dino, et pousse son fameux cri sur fond d'éruption), il y a une orgie magnifique. Rien que dans sa première partie apocalyptique, Fallen Kingdom enterre à moitié des blockbusters récents en termes de spectacle pur.

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photoPrends ça, Roland Emmerich

 

La fin

À LA BONNE HEURE ! Depuis maintenant presque 15 ans, Hollywood a industrialisé la logique de ses franchises, ne pensant plus les suites de ses succès comme des œuvres autonomes, mais une suite d’épisodes, qui exigent pour que le public les suive en salles de toujours repousser la satisfaction des spectateurs. Face à une équation de ce type, prendre le risque de modifier en profondeur la recette d’une marque appréciée de millions de fans est un geste formidablement audacieux. 

Et c’est bien ce qu’accomplit Fallen Kingdom, en recouvrant son héritage de plusieurs mètres de lave en fusion. Littéralement. Passé la moitié de l’histoire, tous les décors, tous les principes que nous avons connus depuis 1993 sont détruits, sans espoir de retour. Ce choix contraint la seconde moitié de l’intrigue à inventer un décor nouveau, à savoir un manoir ombrageux tout droit sorti de l’horreur gothique de la Hammer. Et de ce terreau, la saga trouve l’inspiration pour offrir une promesse totalement fantasmatique. 

Une apocalypse dinosaure, permettant à ces colosses disparus de régner sur la Terre, menaçant le règne de l’humanité. La promesse d’une confrontation à grande échelle, allant bien au-delà d’une simple visite de parc d’attractions. En effet, les humains se sont souvent rêvés affrontant les dinosaures, mais jamais un long-métrage n’avait précédemment bénéficié de moyens l’autorisant à représenter un tel délire avec ampleur. Enfin, ce rêve un tantinet régressif apparaissait à portée de pupilles. 

 

Jurassic World : Fallen Kingdom : photoLes dinosaures, c'est le feu

 

C’EST UN PEU COURT. Malgré ces atouts, ce concept excitant sur le papier se heurte à deux écueils notables. Le premier, c’est qu’on était très loin d’avoir déjà fait le tour de ce que pouvaient offrir les fondations jetées à l’écran par Spielberg. Souvenons-nous qu’en dépit des micro-efforts de Jurassic World, nous sommes toujours en attente de voir un parc à dinosaures confronté à un authentique chaos. Programme familial et incompétence narrative obligent, le soft reboot de 2015 avait préféré évacuer ses touristes après quelques secondes de panique, histoire de ne jamais se confronter à la déferlante promise par son synopsis. 

De même, les ruines des complexes InGen auraient pu encore accueillir bien des récits de déclin terrible ou de catastrophe naturelle libérant les sauriens. Tout comme les origines du parc auraient pu receler leurs lots de mauvaises surprises et de mâchoires affamées... 

Enfin, reste à nous convaincre que les dinosaures règnent effectivement sur terre. Parce qu’avec quelques dizaines de spécimens en liberté, l’anarchie carnivore annoncée par Le monde d’après n’a rien d’une évidence (et le film ne remplira pas sa promesse). Et par conséquent, ce second opus prend un risque énorme en nous promettant un univers chamboulé. Car si la suspension d'incrédulité du public est mise à mal, le blockbuster risque de s'écrouler sous son propre poids.

Tout savoir sur Jurassic World: Fallen Kingdom

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commentaires
Anonyme
05/12/2023 à 12:49

C'est facilement explicable
JA Bayona est un génie.
Le mec à carte blanche pour tout ses films. Alors quand on lui donne la franchise JP il réalise l'impossible. ^^



Contrairement à ce nul de Trevorrow qui pige jamais rien...

Ehoui
05/12/2023 à 12:39

Tout simplement la seule suite hétique de la saga.
Il y a 5 Jurassic Park grâce à lui uniquement.
Je le considère encore comme la vraie fin de la saga.
Fallen Kingdom est un casi-chef d'œuvre et un miracle cinématographique.

Lougnar
06/12/2022 à 21:20

Non ce JW2 c'est la cata ! Personnages nuls, pas intéressants et pas attachants. Choses débiles comme créer un parc d'attraction sur une île avec un volcan prêt à rentrer en éruption. Le dino qui ce la joue Dracula avec la fille qui ce cache sos ces draps ect...
JW est mieux je trouve avec toute la première partie présentation du parc ouvert au public.
Perso des 6 films, je n'aime que le premier JP !

Lougnar
06/12/2022 à 21:17

@plus ca avance plus ça baisse
Perso je préfère largement la prélogie à la TO ! Bien d'accord avec @Nyl !

Miss M
05/12/2022 à 12:42

Il n'y a qu'un film qui vaille la peine : Jurassic Park.
Aucune suite n'était utile sauf pour des raisons de sous-sous

Je re-re-re-regarde encore le 1 des années après avec cette même tendresse coupable et un plaisir fou. Tous les autres opus me filent la migraine au bout de 10mn. JP, JW, Jean-Paul Sartre... le débat n'existe même pas.

il ne peu en rester qu'un.

MarxaliaDev
05/12/2022 à 10:38

La trilogie JW est un peu le miroir de SW 7-9 (tout en admettent que JJ >>>> Colin et que ce dernier devrait songer à une reconversion). Un remake, une tentative imparfaite de balayer le passé pour pousser le successeur/prédécesseur à passer à autre chose et un rafraîchissement esthétique et puis... On refait comme avant, on garde pas grand chose des tentatives d'innover (ou alors on les utilise mal). Peut-être que dans un autre contexte, JW2 serait considéré comme un gentil navet à gros budget, mais dans le paysage hollywoodien actuel, c'était largement au-dessus de la moyenne.

Ethan
04/12/2022 à 20:09

Non ça n'est pas l'esprit
Mais il y a de l'audace

Pat Rick
07/06/2022 à 19:35

Sans être génial Fallen Kingdom est tout de même plus divertissant et prenant que le premier Jurassic World.

Ethan
07/06/2022 à 18:35

Il y en a des choses sur cet article, pas eu le temps de tout lire mais oui il y a de l'audace sur le style de filmer dans le manoir "hanté" car c'est un peu le style qui ont donné. Choquant la fin avec la petite fille dans son lit, interdit au moins de 10 ans pas assez.

Le résumé du film c'est : il y a un volcan en éruption, il faut sauver les dinos mais il y a des méchants qui veulent se faire de l'argent, ils volent les dinos et ils habitent un manoir

scénario farfelu, style épouvante qui s'éloigne de l'esprit. Je pense qu'il aurait fallu raconter une histoire plus simple en partant de dinos volants qui s'étaient échappaient de l'île dans le 3 et le 4.

JP vs JW
07/06/2022 à 08:36

Déjà que JP2 et 3 ont été mal imaginés... Niveau scénario il y avait la place pour faire bcp mieux. JP1 c'était la grande classe. JW trilogie cest assez mauvais. Chris Pratt dompteur est assez pathétique... Mais c'est le moins ridicule

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