Quand Luc Besson produit une adaptation faramineuse sur le plus grand pilote de course de l'histoire de la bande dessinée, ça donne Michel Vaillant, un film catastrophique, mais un crash mémorable.
En 2003, plus de quarante ans après avoir pris le volant pour la première fois dans les cases de la bande dessinée, Michel Vaillant débarquait au cinéma. Écrit par Luc Besson et produit par sa société EuropaCorp avec des moyens effarants à une époque où le cinéaste était en train de renouveler le cinéma français et la production hexagonale, le film réalisé par Louis-Pascal Couvelaire fut un désastre que tout le monde a préféré oublier et reste un échec retentissant, qui en annonçait d'autres.
Foncer à 300 à l'heure droit dans le mur
Le 13 est au départ
Pour le dire simplement, Michel Vaillant est une piètre adaptation des aventures du personnage créé par Jean Graton en 1957 dans les pages du Journal de Tintin, pilote virtuose et intrépide devenu depuis une légende de la course automobile et de la bande dessinée franco-belge. Pourtant, le film avait tout pour être une réussite et ce sont les créateurs de l'oeuvre originale qui ont voulu porter leur héros à l'écran.
En 1999, alors qu'il est en train de fonder sa société de production baptisée EuropaCorp avec Pierre-Ange Le Pogam, Luc Besson est approché par Philippe et Jean Graton. Après différentes collaborations avec des constructeurs automobiles, des rééditions et une tentative de publication aux États-Unis (sous le nom de "Michael Vailliant"), les deux auteurs souhaitent que Michel Vaillant ait son propre film (une idée sans doute motivée par Astérix & Obélix contre César, qui arrive en salles au même moment).
Le valeureux pilote avait déjà été adapté à la télévision dans une série en 1967 et dans un dessin animé à la fin des années 80, mais jamais au cinéma. Après le succès de Taxi et ses scènes de course-poursuite sur les routes de Marseille, Philippe et Jean Graton se dirigent alors naturellement vers son producteur, qu'ils savent être un amoureux de bande dessinée et de vitesse (et aussi le réalisateur de Nikita, Léon ou Le Cinquième Élement, accessoirement).
Luc Besson et Pierre-Ange Le Pogam étant tous les deux fans des histoires de Michel Vaillant, qui réunissent triomphes, drames, rebondissements et tout ce qu'il faut pour un long-métrage, les deux hommes sont emballés. Au lieu des courses de Formule 1 que dispute généralement Michel Vaillant dans les bandes dessinées, qui sont chères, dangereuses et difficiles à adapter, ils se mettent d'accord avec les auteurs pour mettre les 24 Heures du Mans au centre du récit, sans oublier l'aspect dramatique et humain.
Persuadés que le film sera forcément une réussite, les producteurs voient les choses en grand et prévoient de participer aux vraies 24 Heures du Mans afin d'avoir les images les plus réalistes possible, mais aussi d'annoncer au monde entier qu'un film consacré à Michel Vaillant est en production. Une suite est déjà envisagée en cas de succès, avec même des plans de saga autour du pilote. L'excitation est à son comble.
EuropaCorp achète les droits au début des années 2000 et le projet est confié à Louis-Pascal Couvelaire, réalisateur de plusieurs publicités pour des marques de voitures qui vient de tourner son premier long-métrage, Sueurs. Un choix parfait pour mettre les véhicules en valeur et suivre les directives de Besson et Le Pogam.
Engagé pour écrire le scénario (son deuxième après un court-métrage sorti en 1997), Gilles Malençon se lance fin 2001 après avoir lu les 64 albums de Michel Vaillant afin de récolter des informations sur les personnages, les lieux et les voitures.
À la base, le scénariste et Louis-Pascal Couvelaire pensent s'inspirer du 55e tome, Une histoire de fous, dans lequel Steve Warson, l'ami de Michel et le pilote de l'écurie Vaillante, décide de rejoindre leurs concurrents, les Leader, lors des prochaines 24 Heures du Mans. Cependant, comme sur les autres films d'EuropaCorp, Luc Besson s'immisce dans l'écriture et suggère plutôt de récupérer des éléments d'un des premiers tomes, Le 13 au départ, dans lequel la mère de Michel rêve qu'il meurt au volant pendant la célèbre course dans la Sarthe. Un classique, mais qui ne sert que d'intrigue de base.
Gilles Malençon et Luc Besson reprennent finalement plusieurs éléments de différents albums pour l'histoire et les personnages (comme Julie Wood, qui est un mélange entre la motarde de la bande dessinée et Françoise, la femme de Michel Vaillant). Ils modernisent Michel Vaillant et lui donnent une aura quasi mystique en imaginant que son talent réside aussi dans son rapport à la nature et dans des détails qu'il est le seul à observer.
Tu sens l'air plus frais ? Ça veut dire qu'on va faire un malheur
Pendant l'écriture, les producteurs organisent leur participation aux 24 Heures du Mans de 2002 et s'associent à l'écurie française DAMS, qui ne prend pas le départ cette année-là et peut donc mettre ses moyens techniques, humains et financiers au service du film.
Deux prototypes sont achetés et peints aux couleurs des Vaillante et des Leader, mais le règlement interdisant de toucher à l'aérodynamisme des voitures, les caméras doivent être fixées au plancher avec des amortisseurs spéciaux ou montées à bord d'une autre voiture de course modifiée qui les suit. Tout ça coûte cher, mais EuropaCorp est convaincu que le résultat sera payant.
"Emmener les spectateurs dans les coulisses du monde automobile, une caméra 35 mm embarquée dans une voiture de course qui roule à plus de 300 km/h, le départ du Mans filmé en CinémaScope, des stands avec l’agitation des voitures devant, ça n’existait pas", s'enthousiasme alors le producteur Pierre-Ange Le Pogam, oubliant visiblement que John Frankenheimer avait déjà embarqué les spectateurs à bord d'une F1 dès 1966 dans Grand Prix (qui reste à ce jour un des plus grands films de course de tous les temps, voire le meilleur).
Les qualifications passées en mars 2002, la production s'installe dans les paddocks de la 70e édition des 24 Heures du Mans. En plus de toute la logistique, les équipes doivent arrêter les voitures régulièrement en raison des conditions météorologiques et des insectes qui viennent mourir sur l'objectif avec la vitesse. Luc Besson et Pierre-Ange Le Pogam sont évidemment présents et certains médias racontent carrément que le cinéaste tient la caméra et dirige les opérations à la place de Louis-Pascal Couvelaire (même s'il n'est crédité qu'en tant que scénariste au générique).
Sous leur casque, les six pilotes supervisés par Michel Neugarten (vainqueur du Mans en 1997) doivent conduire, gérer les caméras, rentrer et sortir des stands au même moment et rester ensemble sur la piste pour coller au récit du film, le tout sans gêner les autres concurrents. Un défi technique aussi fou que risqué, mais qui sera quand même relevé. Et si la Leader a été obligée d'abandonner la course à la suite d'un problème de transmission, la Vaillante a bien franchi la ligne d'arrivée en 27e position.
OK, faites semblant d'y croire maintenant
Entre les effets pyrotechniques, les cascades, les grues, les véhicules et les hélicoptères qui sont utilisés pour n'importe quelle séquence, les dépenses s'accumulent, mais personne ne s'inquiète alors que certains articles annoncent déjà un désastre. Le tournage s'achève au bout de onze mois (de mai 2002 à avril 2003) et son coût s'élève à près de 23 millions d'euros.
"C'est beaucoup pour une production française, mais moitié moins que la moyenne américaine, explique alors Louis-Pascal Couvelaire à La Dernière Heure. La pression est néanmoins énorme. En France, cette année, seuls deux films ont fait plus de deux millions d'entrées : Taxi 3 et Chouchou. Michel Vaillant devra être le troisième... C'est un film populaire, un pur divertissement. Pas un film d'auteur. Si on ne parvient pas à attirer un large public, je ne pourrais pas dire que les gens n'ont rien compris. Ce serait clairement un échec." Et il va être violent.
Arrête, il n'y a plus rien à faire, c'est fini
MASSACRE POUR UN MOTEUR
Avant la sortie, le film dispose d'une large campagne promotionnelle : reportages à la télévision et dans les émissions spécialisées, entretiens à la radio et plusieurs articles dans les journaux et les magazines d'automobile et de cinéma (Ciné Live y consacre tout son numéro de juillet-août et Philippe et Jean Graton écrivent une bande dessinée distribuée lors des projections presse). L’Épreuve, le 65e tome des aventures de Michel Vaillant, arrive en librairie le 25 octobre 2003, peu de temps avant le film, qui doit relancer l'intérêt pour la BD et prouver que la France peut réaliser un film de courses qui n'a rien à envier aux superproductions américaines.
Malheureusement, quand Michel Vaillant sort le 19 novembre en France, soit deux semaines après Matrix : Revolutions et une semaine avant le premier Kill Bill et Le Monde de Nemo, c'est un crash monumental. Si certaines critiques saluent les scènes de course, les effets visuels et trouvent certaines qualités au film, la plupart torpillent le casting, le scénario truffé d'invraisemblances ou la réalisation publicitaire de Louis-Pascal Couvelaire.
Du côté des spectateurs, après un bon démarrage, le film totalise moins d'un million d'entrées et ne récolte que 6 millions d'euros, largement en dessous de ce qui était prévu et nécessaire pour amortir les coûts de production.
Même avec un casque, ça picote
À l'écran, le film reste effectivement fidèle à l'esprit de l'oeuvre originale avec ses personnages manichéens et ses histoires rocambolesques. Pour le reste, Michel Vaillant a totalement perdu le réalisme et la passion du sport automobile que Jean Graton transmettait dans les pages de sa bande dessinée. Les rares scènes qui montraient l'écurie Vaillante et la préparation pour la course ont été coupées et mises dans les bonus du DVD.
Outre les incohérences narratives et les passages complètement hallucinants comme lorsque Michel Vaillant demande à Julie Wood de lui couvrir les yeux en conduisant pour lui prouver qu'il connaît le circuit par coeur, le scénario est aussi risible que médiocre. Les personnages sont des caricatures de leur version de papier, sauf Michel Vaillant, qui a perdu tout son charisme en même temps que sa mèche rebelle sous les traits de Ségamore Stévenin (que Louis-Pascal Couvelaire a rappelé après avoir déjà tourné avec lui dans Sueurs).
Alors que les retournements de situation s'enchaînent les uns après les autres, les enjeux dramatiques ne sont jamais crédibles ou perceptibles, comme le jeu du casting. Hormis peut-être François Levantal, qui n'a rien d'autre à faire que de montrer sa gueule mémorable dans le rôle de Bob Cramer, l'éternel rival du héros.
Aussi efficace que d'écrire "méchant" sur sa voiture
Lorsqu'il n'est pas en train de recopier Driven, Louis-Pascal Couvelaire filme ses voitures et ses personnages comme dans les publicités qu'il réalisait, avec une photographie bleu métallique et des filtres numériques partout. Quitte à ce que certains plans soient plongés dans la pénombre ou que le ciel ressemble à celui d'un film de science-fiction dystopique.
Néanmoins, alors que le film avec Sylvester Stallone finit par être drôle tellement il est ahurissant de bêtise, Michel Vaillant appartient à une des pires catégories de films de course : les ennuyeux. Ceux qui sont longs, pénibles et qui n'arrivent même pas à proposer des séquences drôles ou un peu intenses en dépit de leurs effets spectaculaires et de tous les moyens déployés. Sans être catastrophique pour autant, le film n'a rien à proposer de nouveau ou d'exaltant derrière son rythme soporifique, son doublage raté ou son récit convenu.
Seuls quelques passages pendant les rallyes et les 24 Heures du Mans sont réussis, ce qui est le minimum attendu pour un film tourné sur place pour presque 23 millions d'euros, même si Le Mans, réalisé par Lee H. Katzin en 1971 avec 7 millions de dollars est plus passionnant et plus impressionnant. Reste la bande-son électro du groupe Archive, mal utilisée elle aussi, mais pas désagréable.
Comme le résume assez bien le journaliste Martin Businaro dans son article Les sports moteurs à l'écran : Michel Vaillant, le vilain petit canard de Luc Besson pour le quotidien belge La Dernière Heure : "Au final, le film n’a qu’un mérite : celui d’exister."
Michel n'entend pas les critiques ou les rageux
Malgré les chiffres catastrophiques au box-office, un article des Échos publié en février 2004 explique qu'EuropaCorp n'aurait pas perdu d'argent avec Michel Vaillant en le vendant à "des dizaines de pays", comme Fanfan la Tulipe, autre grosse production de plus de 21 millions d'euros qui s'est ramassée à sa sortie en salles après sa présentation au Festival de Cannes.
Luc Besson continue d'écrire et produire des films à la chaîne, avec plus ou moins de succès, et les Taxi, Banlieue 13, Danny The Dog et autres Transporteur incarnent un cinéma d'action, de divertissement et de grand spectacle dont le cinéaste et sa société de production sont devenus les porte-étendards en France.
Michel Vaillant, comme Fanfan la Tulipe, finira par se perdre au milieu des autres productions d'EuropaCorp et tout le monde s'empressera d'oublier cette sortie de route, que ce soit le réalisateur, les producteurs, les auteurs de la bande dessinée ou le public. Louis-Pascal Couvelaire n'est réapparu qu'en 2010 avec le film documentaire Le mystère de l'oiseau blanc, mais n'a plus tourné de long-métrage depuis tandis que Luc Besson a également fait son retour derrière la caméra en 2005 avec Angel-A, tout en écrivant et en produisant tout un tas d'autres films en parallèle, dont Revolver ou Taken.
Repartir en piste coûte que coûte
Alors qu'il aurait pu être un grand film de course made in France, tiré d'un des plus grands héros de la BD franco-belge, Michel Vaillant représente ce qu'EuropaCorp a produit de pire, une insulte pour le sport automobile et un triste échec qui en préfigurait d'autres : Blueberry, l'expérience secrète et Les Dalton en 2004, Les Chevaliers du Ciel et Izonogoud en 2005, même les irréductibles Gaulois furent touchés à leur tour par la malédiction en 2008 avec Astérix aux Jeux olympiques pendant que Largo Winch et Persepolis furent les rares rescapés de cette hécatombe.
Après Angel-A, Luc Besson a persisté dans son ambition de porter des bandes dessinées à l'écran et a retenté sa chance avec Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec, une autre grosse production qui s'est écrasée à la sortie, et Valérian et la Cité des mille planètes, superproduction colossale qui a plus ou moins signé la mort d'EuropaCorp et du cinéaste, avant que les accusations de viol ne s'en chargent.
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J’étais dans les tribunes pendant le tournage aux 24heures. En dehors de la course (et encore, les protos Vaillantes qui participent aux essais sans être allé au pesage…), l’histoire est du niveau d’un enfant de 6 ans.
Jamais vu le film, mais la BO d’Archive ça reste du lourd.
J’avais vu ce film lors d’une diffusion TV, peu de souvenir, je me souviens d’un moment quand ils roulent sur une auto route et s’arrête à une station de service…
Vu au ciné et aucuns souvenirs si ce n’est que le son était beaucoup trop fort
Tout a fait d’accord avec Too bad; le patrimoine franco belge de bd est exceptionnel dans tous les styles et à Astérix et Cleopatre près on ne peut sue constater que les adaptations ne sont pas au niveau souhaite pourtant tout est la : les scénarios le visuel etc…Michel Vaillant comme Valerian ne sont pas déshonorants mais on est attristé par le manque de travail sur les scénarios. En revanche la saga X Men dans bon nombre de ses volets montre la maîtrise des studios US : un regret mais de taille le massacre de la saga du Phénix noir qui pour le coup est raté à deux reprises : impardonnable
@toobad euh… xmen ? Xmen 2 revu récemment est quand même une adaptation ultra réussie. First class aussi et Logan. Days of future past a ses aficionados…. Bref on est a des années lumières d’une bouse comme Michel vaillant. (Valérian je dis pas il y a des bons passages même si au final c’est pas fou)
Entre Valérian et Michel Vaillant, deux joyaux de la BD, Luc Besson n’a pas fait preuve d’une rigueur suffisante pour rendre justice à ces oeuvres alors qu’un boulevard s’ouvrait devant lui…sans doute emporté par son égo et c’est très dommage. Ces films sont regardables et sympathiques mais clairement pas au niveau attendu en particulier pour les scénarios qui accumulent clichés et facilités,
Côté US on mettra les tentatives d’adaptation des X MEN dans la même catégorie
Rarement une coquille vide aura été aussi belle visuellement, entourée de la musique envoutante d’Archive (que j’écoute toujours régulièrement d’ailleurs)… Difficile de ne pas avoir un certain plaisir quand je repense à ce film…
Bonjour, @ixelle
EuropaCorp n’est pas « mort » à proprement parler, mais connaît de sérieuses difficultés financières depuis Valérian et a été placé en procédure de sauvegarde en 2019 (plan de sauvegarde qui a été prolongé de deux ans en mars 2021). Le groupe Vine Alternative Investments l’a racheté début 2020 et la société tente de sortir la tête de l’eau par n’importe quel moyen depuis.
Geoffrey est revenu en détail sur l’échec de Valérian et ses conséquences sur EuropaCorp dans un article : https://www.ecranlarge.com/films/dossier/1004781-valerian-et-la-cite-des-mille-planetes-le-desastre-qui-a-mis-a-terre-luc-besson-et-europacorp
Après chacun ses goûts, moi j’adore Luc Besson et j’attends avec impatience son film d’horreur sur les Minimoys ainsi que le film de Cyril Hanouna prévu pour 2023.
J’espère qu’Ecran Large couvrira comme il se doit ces deux Événements cinématographique d’ampleur pour le 7eme art francophone ^^