La Traque : meurtre, culture du viol, masculinité toxique... le survival français ultime

Simon Riaux | 20 mars 2022
Simon Riaux | 20 mars 2022

On se représente rarement le cinéma français comme la patrie du genre, le royaume des monstres et des récits radicaux. C’est ignorer que le patrimoine filmique hexagonal recèle bien des joyaux noirs, dont un survival aussi implacable que radical, intitulé La Traque

Une jeune femme, professeure d’anglais de son état, se promène en forêt. Elle fait la rencontre d’un groupe d’hommes ayant l’habitude de se réunir pour des journées de chasse au sanglier. Deux d’entre eux la violent, mais la malheureuse ne se laisse pas faire et juste après son agression, tire sur l’un d’eux. Les hommes entament alors une traque dont l’unique objet est des plus simples : retrouver la victime avant qu’elle ne puisse obtenir de l’aide et témoigner de ce qu’elle a subi. 

Ce point de départ pourrait être celui d’un petit film d’horreur imaginé par Wes Craven durant les années 70, lorsque le réalisateur légendaire de Freddy était encore un jeune chien fou de l’horreur, provocant, expérimentant à tout va. À bien des égards, La Traque évoque le mariage entre La Dernière Maison sur la gauche et La Colline a des yeux, pour la place centrale qu’il donne à la violence sexuelle perpétrée par les hommes, ou encore le martyr de celles sur lesquelles elle s’abat, tout autant que l’irrésistible vertige provoqué par la poursuite carnivore d’individus lancés aux trousses d’un personnage qui n’en demandait pas tant. 

Pour autant, le film de Serge Leroy n’est pas un “simple” écho d’un mouvement du cinéma horrifique venu d’outre-Atlantique. S’il appartient résolument à une certaine cartographie de l’horreur, c’est bel et bien un territoire mental français qu’il explore, et en le sublimant à travers un impeccable cauchemar, demeuré trop longtemps invisible. 

 

 

La Traque : Affiche officielleIl y a les mauvais chasseurs et les très mauvais chasseurs

 

ÉCART DESTIN 

C’est en 1975 que sort La Traque. En France, la censure est encore active, étatique et très puissante, un certain Massacre à la tronçonneuse en a fait les frais un an plus tôt. Nous sommes dans la France de Giscard, président ripoliné d’une image d’homme moderne, capable de dépoussiérer un pays qui commençait à ronronner sous un pompidolisme hérité du Général de Gaulle. Mais il ne suffit pas à des institutions de s’enorgueillir d’être dirigées par le plus jeune président de leur temps, pour qu’un pays se métamorphose. Valery Giscard d’Estaing se met en scène à la manière d’un conquérant qu’on ne qualifiera pas encore de disruptif, mais derrière ce vernis d’homme pressé, cette dernière phase des Trente Glorieuses fleure bon la tradition et le capitalisme à la papa. 

C’est peut-être cette tension, qui habite l’Hexagone à divers niveaux, qui explique en partie que La Traque soit demeuré plusieurs décennies pratiquement invisible. Car le grand écart entre la représentation autosatisfaite de soi, l’image renvoyée de respectabilité et un fond de valeurs bien plus anciennes, discutables, voire franchement monstrueuses, voilà précisément l’équation qui sous-tend le long-métrage. Parce que La Traque va présenter ce paradoxe sous un jour évident, éclatant, pour ne pas dire aveuglant, il ne pouvait qu'inviter à détourner les yeux un grand public pas désireux d'être ainsi décortiqué. Il opère dès ses premiers instants un choix narratif aussi malaisant que radical. 

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commentaires
Kyle Reese
22/03/2022 à 00:07

"Nous ne sommes pas des gens facilement soupçonnables ..."

"Cette mise en scène [ ...] qui rend en quelque sorte indiscutable l'abomination qui se déroule, et indiscutable sa banalité" Voilà. Vous avez trouvé les mots juste.

Excellente analyse Mr Riaux.
Film violent, film glaçant, film puissant. Que dire de plus ...

Ah si tient, d'après les statistiques 2020 du ministère de l'intérieur, les gendarmes et les policiers ont constaté en 2020 24 800 viols sur notre territoire, il y aurait donc près de trois viols commis toutes les heures en France. Voilà.

Pat Rick
21/03/2022 à 20:44

Je confirme que c'est un très bon film qui vaut le détour.

indy75
21/03/2022 à 02:50

Les deux films, La traque et Le vieux fusil ont d'ailleurs plusieurs points communs : même radicalité, 2 scènes de mise à mort d'une violence insoutenable et qui marquent encore les esprits aujourd'hui, casting au top, mise en scène sèche.

Dans un genre assez proche de La traque, du moins dans le portrait au vitriol qu'il dresse d'une certaine France de l'époque, on pourrait citer également Dupont Lajoie.

Ozymandias
20/03/2022 à 22:12

Ça donne envie de tenter, je ne connais pas du tout. Vais essayer de me trouver ça.

Nico
20/03/2022 à 20:30

@indy75

Tout à fait d accord, un excellent film de genre français, vraiment glaçant. Pareil pour le vieux fusil, également une vrai pépite.

Flash
20/03/2022 à 20:13

@Indy75 Le grand fusil , en effet très grand film.

Kyle Reese
20/03/2022 à 19:23

Pas sur de l'avoir vu, ça ne me dit absolument rien.
Mais il semble avoir été d'une modernité incroyable et grande lucidité pour l'époque, fallait oser surtout avec ce cast. Même si pas plaisant, va y avoir surement du rattrapage dans l'air.

Thekiller
20/03/2022 à 19:02

C'est à cause de ce film que j'ai violé la petite sœur d'une ex.

Eddie Felson
20/03/2022 à 18:20

@lecocombremoisi
Assieds toi dessus et ferme ta bouche stp.

indy75
20/03/2022 à 18:19

Pour moi le meilleur film de "genre" français (avec Le vieux fusil) même si on n'est plus dans le drame que le survival. Le revoir encore aujourd'hui est difficile, surtout la fin.

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