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Breakdown : oubliez Taken, voilà le film de kidnapping ultime avec Kurt Russell

Par Antoine Desrues
22 mars 2022
MAJ : 21 mai 2024
Breakdown : photo, Kurt Russell, Kathleen Quinlan

Quand on enlève la femme de Kurt Russell, ça donne Breakdown : Point de rupture. Et si c’était l’exemple parfait de la série B exemplaire ?

Avant de se perdre sur des films comme Terminator 3 ou ClonesJonathan Mostow s’est affirmé durant les années 90 comme un nouvel espoir excitant de la série B américaine. On en veut pour preuve le succès mérité de son premier long-métrage : Breakdown, sous-titré Point de rupture dans nos contrées.

Au contact des producteurs nabab Dino et Martha de Laurentiis, Mostow se retrouve à développer plusieurs projets, dont une adaptation d’une nouvelle de Stephen King intitulée Camions. Pas de bol, alors que plusieurs repérages sont faits dans le désert américain, et que les poids lourds nécessaires sont trouvés par la production, l’association au nom de King tombe à l’eau. Néanmoins, le réalisateur se montre très inspiré par ce contexte, et décide de l’explorer à travers un scénario original, pur thriller perdu dans les tréfonds d’un Ouest américain dépeint comme une zone de tous les dangers.

 

Breakdown : photo, Kurt RussellIl n'a pas de "compétences particulières"...

 

Poor Lonesome Cow-Boy

Jeff et sa femme Amy déménagent vers San Diego. Durant leur périple, leur voiture tombe en panne au milieu de nulle part. Un camionneur gentil comme tout propose de déposer Amy au diner le plus proche pour appeler une dépanneuse. Finalement, Jeff réussit à réparer sa voiture, mais au moment d’arriver au diner, personne n’a vu passer sa femme…

Avec ce concept simple, on sent que Breakdown est toujours irrigué par l’inspiration de Stephen King. Sa proposition a tout de la nouvelle maline, au point où la première partie du long-métrage en vient à mettre sur la table une hypothèse fantastique. Lorsque Jeff interroge les gens qu’il voit, aucun ne semble avoir croisé Amy, pas même le camionneur, qui prétend ne les avoir jamais rencontrés. Le protagoniste est-il victime d'un complot ? Est-il fou ? Le champ des possibles est ouvert.

 

Breakdown : photo, Kurt Russell, Kathleen QuinlanIls n'ont pas vu assez de films d'horreur

 

Le film s’attelle alors à façonner une dimension paranoïaque extrêmement efficace, d’autant que Jonathan Mostow se montre élégant dans sa mise en scène, inspirée par les cadors du film à suspense, à commencer par Hitchcock. Breakdown emplit ses décors de regards lourds, d’une sensation voyeuriste qui plonge au passage le spectateur dans le malheur de son protagoniste. Ses scènes de dialogue sont souvent filmées dans de longs plans fixes, où la position de chaque personnage offre la possibilité de distinguer des rapports de force.

Dès les premières séquences, Mostow nous invite ainsi à être attentifs, comme dans ce plan où le départ d’un camion d’une station essence laisse apparaître en arrière-plan une voiture déjà croisée par le héros. Le réalisateur construit avec intelligence la profondeur de ses cadres par de multiples couches qui attendent de révéler celles qui se cachent derrière.

 

Breakdown : photo, Kurt RussellUn découpage toujours inspiré

 

En fait, Breakdown n'oublie jamais qu'il est par définition un film sur la disparition d'un corps dont on scrute la réapparition potentielle, et un film sur un hors-champ insupportable. La vision des personnages est au cœur de la démarche. D'ailleurs, même si l'idée n'est pas présente dans le montage final, l'introduction originelle du long-métrage devait préciser que Jeff est un reporter de guerre traumatisé.

L'idée est intéressante parce qu'elle sous-tend que son héros en a "trop vu", au point qu'il préfère aujourd'hui détourner le regard. Cet effacement a son importance parce que la plus grande réussite du film réside dans le casting de Kurt Russell, parfait en mari aimant et en bourgeois propre sur lui, loin des antihéros badass qui ont fait son succès. Sa première confrontation avec celui qui deviendra l'un des antagonistes du récit révèle qu'il préfère fuir la violence plutôt que de s’y confronter.

 

Breakdown : photo, Kurt RussellUn film qui rend tout moite

 

Kurt vs Rednecks

Mais alors que la narration s’emballe, le brio de Breakdown est qu'il joue avec ses multiples péripéties (notamment une course-poursuite se terminant dans des rapides) pour montrer de quoi son protagoniste est capable dans une situation de panique.

Petit à petit, la violence que cet homme a réussi à enfouir émerge de nouveau, convoquant au passage quelques brillantes idées de scénario (dont une séquence de torture à base de freinages secs de voiture). On est collés à ses basques, à son point de vue désespéré et à son visage recouvert de terre et de sueur, qui l’amènent à se dépasser pour sauver celle qu’il aime.

 

Breakdown : photo, Kurt RussellJournée de merde

 

En réalité, Jonathan Mostow profite de son film pour interroger les bas-instincts humains dans un contexte de western moderne. Breakdown remplace juste les chevaux par des voitures, mais le résultat est finalement assez similaire. À la simple vision de cette petite ville déserte, avec sa rue principale où seule la banque trône, le cinéaste semble nous renvoyer plus d’un siècle en arrière. L'Amérique est loin d’avoir tant changé, mis à part pour ces routes qui strient la terre et agissent comme les veines du paysage.

Une fois que le long-métrage s’assume d’ailleurs comme un récit de kidnapping, les motivations des antagonistes (menés par le génial J.T. Walsh) reflètent une fracture sociale qu’il est impossible de résorber. De là viennent les meilleurs passages du film, à commencer par ses moments de flottement où Jeff est confronté au regard des clients du diner. On sent le personnage et son brushing impeccable encore moins à leur place dans cet environnement hostile.

 

Breakdown : photoDoux réveil

 

L’orfèvrerie des cadres joue grandement sur ce sentiment d’oppression ; un paradoxe génial au vu des grands espaces qu’il investit. Ainsi, au-delà des motifs les plus évidents de l’ensemble (à l'instar de l’imagerie de la route et des véhicules), Breakdown s’inspire clairement de Duel dans sa création de la tension. Dans le premier chef-d'œuvre de Steven Spielberg, le danger qui s’apprête à peser sur le personnage principal est symbolisé par ce plan sublime où sa voiture pénètre dans le cadre, pour mieux être encadrée par des barbelés.

De la même manière, Mostow engendre une sacrée appréhension grâce aux grillages ou autres éléments qui viennent polluer le premier plan. Le réalisateur passe son temps à encapsuler un espace pourtant large, pour mieux emprisonner son héros dans une toile d’araignée démente. Breakdown se transforme même en poupée gigogne, surtout lorsque son climax repose sur la libération d’Amy, qui s’est vue être enfermée dans un congélateur, à l’intérieur d’une cave elle-même à l’intérieur d’une grange.

 

Breakdown : photo, J.T. WalshJ.T. Walsh, méchant au top

 

Fury Road

Forcément, la proposition n’en est que plus excitante quand on sait où nous emmène cette série B : vers un éveil jouissif de la vengeance. Pour autant, Breakdown parvient à éviter au maximum les poncifs les plus éculés du genre, ou du moins réussit-il à détourner certaines de nos attentes. Kurt Russell reste vulnérable sur l’entièreté du long-métrage, jusqu’à un climax où, en position de supériorité (il prend par surprise ses adversaires), il finit par être pointé par le fusil d’un enfant.

Dans cet “univers impitoyable” où la loi du talion règne, le danger peut sortir de nulle part, et toucher n’importe qui. Cela étant dit, Jonathan Mostow ne cherche jamais à charger son film d’une dimension politique rance, qui réduirait les rednecks à des tueurs sanguinaires prêts à tout pour leur survie.

 

Breakdown : photo, Kurt RussellSnake Plissken is back !

 

Un peu comme dans Duel, le réalisateur préfère convoquer une forme d’abstraction, jouant avec l’héritage d’un Ouest américain qui n’a jamais vraiment réussi à être dompté. On pourrait même voir y voir là toute la note d’intention de Breakdown : la simplicité de cette approche est pensée pour aller droit au but, y compris dans son découpage clair et lisible, qui sait mettre en valeur la tension de ses scènes d’action.

Là encore, sa gestion habile de la profondeur de champ aide à façonner sur plusieurs niveaux des séquences de poursuite prenantes (surtout dans un final qui rappelle ouvertement Mad Max 2), mais le film a la générosité de ne pas s’arrêter là. Avec son final sur un pont, les véhicules quittent temporairement le plancher des vaches, pour une péripétie ultime qui donne joyeusement le vertige.

Y a-t-il une meilleure manière pour conclure une heure et trente minutes aussi bien ramassées ? Sans doute pas, et cette réussite n’en est que plus éclatante lorsqu’on pense au scénario ultra-efficace qui s’est déroulé sous nos yeux, et à la mise en scène brillante qui a su le mettre en valeur. La question serait donc plutôt la suivante : est-ce que Breakdown ne serait pas un exemple de série B parfaite, à la fois humble, exigeante et portée par de jolis éléments d’expérimentation ?

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15 Commentaires
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Mx

d’ailleurs, en parlant de kurt, un petit articule « pas si nul que sa », sur destination: graceland serait carrément le bienvenue, perso j’adore ce film, qui a bien des qualités, et je ne suis pas le seul!!!

Hocine

Film sympathique reposant essentiellement sur le charisme de Kurt Russell, à une époque où Hollywood pouvait encore se permettre de faire des films avec pour principal argument, une tête d’affiche. À ce propos, Kurt Russell était plutôt actif durant cette période, avec Los Angeles 2013, Ultime Décision, Destination Graceland, Dark Blue ou Vanilla Sky. Par la suite, on le remarquera surtout chez Quentin Tarantino. Quant à Breakdown, l’imagerie du western tourne à plein régime, comme dans U-Turn ou Red Rock West.

Eddie Felson

Très bon film avec le toujours excellent Kurt Russel et la belle Kathleen Quinlan.
De la bonne série B tripante et viscérale.

Zedisdead

Le plus effrayant, c’est que c’est tiré d’une histoire vraie !!

alulu

Je kiffe ce film.

Thierry

Très bon film avec la belle Kathleen Quinlan que l’on voit malheureusement trop peu depuis trop longtemps.

YnkRibo

J’adore ce film, il n’y a que vous pour nous offrir ces petites piqures de rappel, ça fait toujours du bien,

JR

Oui. Que j’avais préféré à U turn.

Mx

RAY, toi t’es mon pote, et oui, je kiffe aussi event horizon, haha!!

Snake Russell Plisken.

Très bon film. Kurt Russell est très crédible en mari, qui remue ciel et terre pour retrouver sa femme disparu. Ne faite confiance à personne…