Batman : derrière le faux nanar, le vrai film culte

Mathieu Jaborska | 5 mars 2022
Mathieu Jaborska | 5 mars 2022

Injustement méprisé, le Batman de 1966 avec Adam West prouvait que Bruce Wayne n'a pas besoin d'être torturé et dépressif pour divertir.

Depuis la trilogie de Christopher Nolan et son colossal succès, Batman est condamné à revivre sur grand et petit écran ses aventures récentes les plus célèbres et, par conséquent, à plonger régulièrement dans la dépression, l'alcoolisme et l'introspection traumatique. Pourtant, il n'a pas toujours broyé du noir : comme beaucoup de ses collègues, il a connu la délicieuse insouciance, le manichéisme pur et la patine colorée de l'Âge d'Argent du comic book américain.

 

 

Une période kitsch qui n'a donc plus trop la côte en ce moment, mais qui s'était déjà invitée à la télévision et au cinéma, dans la série Batman et son film dérivé. Ce dernier, première escapade du Dynamic Duo en long-métrage, en tire sa singularité et sa réputation. Trop souvent moqué pour son ton bon enfant, il cristallise justement un humour et une légèreté précieux, car disparus et dans lesquels il fait bon se replonger, le temps d'un visionnage ou d'un article.

 

Batman : Le film : photo, Adam West, Burt WardLes nouvelles bat-mobiles manquent de girouettes

 

de l'ombre à la lumière

Petit cours d'Histoire batmanesque (ou de Bat-Histoire, au choix), simplifié à l'extrême. Initialement inspiré de Leonard de Vinci et de Douglas Fairbanks, créé par Bill Finger et Bob Kane à la fin des années 30, Batman était le fruit de la culture pulp et des premiers comics américains. Les récits à ses débuts étaient extrêmement simples, conformément au mouvement dans lequel ils s'inscrivaient, quoique plutôt sombres pour l'époque. Bruce Wayne doit sa double identité à un trauma, évolue dans un environnement gangréné par le crime et n'hésite même pas lors de ses premières aventures à tuer, ligne rouge que les autres versions ne franchiront que très rarement.

Le héros, très pulp dans l'idée, avait déjà été quelque peu allégé par l'apparition de ses acolytes, dont le célèbre Robin. Mais c'est bien le puritanisme américain d'après-guerre qui a eu la peau de la noirceur du personnage. À l'instar du code Hays, qui interdisait aux protagonistes de film de dormir dans le même lit, le Comics Code Autority fut créé pour satisfaire la grogne de la "bonne société" américaine et du gouvernement, convaincus par l'essai à charge Seduction of the Innocent (qui prétend révéler la mauvaise influence des comics sur les petites têtes blondes). Par la même, l'âge d'Or se ternit, et laisse progressivement place à l'âge d'Argent (on en parle aussi dans notre portrait de Jack Kirby).

 

Batman : Le film : photoUne époque plus... colorée

 

C'est au coeur de cette période, après quelques années de disette super-héroïque, que le Chevalier Noir a fait son retour. Ses aventures étaient alors au pinacle de leur insouciance. Il distribuait les bourre-pifs à qui mieux mieux, mais sans trop de violence, multipliait les gadgets, rencontrait Superman et bien d'autres amis-pour-la-vie, dont - faut-il le rappeler - un bat-chien.

Le Batman des années 1950 et 1960 est candide, et c'est aussi ça qui fait son charme, charme largement moqué aujourd'hui. Il n'est pas le seul héros à être passé à la moulinette, loin de là, mais ce ton très particulier saute aux yeux rétrospectivement, après les innombrables relectures cyniques et torturées qui se sont succédé jusqu'à très récemment.

 

Batman : Le film : photoCan you pet the bat-hound ?

 

Batmaaaaaaaan

C'est également aux alentours de cette période que Bruce Wayne et son alter ego ont repris d'assaut le petit écran, avec une série qui est devenue culte et qui a beaucoup contribué à faire du Batman des années 1960 une délicieuse anomalie : Batman. Ce n'était pas la première fois que le héros s'invitait sur pellicule : dès les années 1940, il avait eu droit à deux serial en 15 épisodes. Mais ici, l'approche était différente. Le projet avait été confié par ABC à William Dozier, qui n'avait jamais lu de comics de sa vie !

Pendant un trajet d'avion, comme le rapporte un article de Den of Geek, lui-même inspiré du livre The Official Batman Batbook, il a donc feuilleté les BD de l'époque, pures productions de l'âge d'Argent, et s'est décidé à en prélever leur premier degré absurde : "[Je] pensais qu'ils étaient fous s'ils voulaient transposer ça à la télévision. Et puis, j'ai juste eu une idée toute simple : en faire trop, le faire avec une telle sincérité et un tel sérieux que les adultes trouveraient ça amusant et que les enfants se laisseraient aller à l'aventure".

 

Batman : photoAvec un super générique animé

 

Un coup de génie : sa vision différait des différentes pistes explorées jusqu'alors (qui semblaient bien plus convenues) et assumait un humour camp, ainsi qu'une esthétique colorée mémorable, tandis que la télévision en couleur n'avait même pas encore fait son apparition en France. Finalement, Dozier, malgré son manque d'expertise en ce qui concerne les comics (il n'était pas le seul : Cesar Romero, interprète du Joker, a avoué sur CBS qu'il n'en lisait pas non plus), a plutôt bien rendu hommage à ce qui faisait alors leur succès, au point d'insérer directement les onomatopées dans le cadre, des dizaines d'années avant les expérimentations de Sam Raimi, Ang Lee et Frank Miller.

Le rythme est enlevé, les caméos réguliers (même Bruce Lee fait une apparition), l'humour omniprésent et les cliffhangers systématiques, puisque chaque aventure est coupée en deux épisodes. Les acteurs furent choisis en fonction de leur spontanéité (Burt Ward, Robin) ou de leur appétence pour le pastiche (Adam West, Bruce Wayne, repéré lorsqu'il tournait une publicité grimée en simili-James Bond). Toujours dans l'esprit de l'âge d'Argent, les situations sont sans gravité, les problèmes facilement résolvables, et les méchants des crétins dans des costumes carnavalesques.

La série fut très populaire, du moins à ses débuts, et reste aujourd'hui une petite friandise sucrée, au bon goût de notre enfance. Mais pour qui n'aurait pas envie de s'enfiler les 120 épisodes, il y a toujours le film, devenu presque plus culte encore, parfois pas pour les bonnes raisons.

 

Batman : photo, Adam West, Burt Ward"Time to shine, dear Robin"

 

Comic film

La malédiction du Batman de 1966, sorti en septembre 1967 chez nous, est due à ses successeurs. Chez CBS, en 1989, Cesar Romero s'étonnait, sans l'avoir vu, que le deuxième film ne s'adresse pas aux enfants. Pour lui, leur version du personnage était plus adaptée à la jeunesse. Et il faut avouer qu'après le délire expressionniste de Burton, la réalisation de Leslie H. Martinson (un habitué de la télévision américaine déjà metteur en scène sur deux épisodes de la série) parait très naïve. De même qu'après les blockbusters gigantesques de Christopher Nolan, il semble très kitsch.

Et beaucoup le réduisent au statut de "premier long-métrage Batman", si bien qu'il est parfois considéré comme un authentique nanar par une frange des amateurs de pop culture 2.0, incapable de dissocier le Chevalier Noir de son image de vigilante tourmenté. Dans l'émission Télescope, Dozier l'assumait : il s'agissait de surjouer la légèreté des comics du moment pour faire rire. Le film n'est ni plus ni moins qu'une comédie et une excellente comédie de surcroit. Comparé aux autres aventures cinématographiques du héros, il passe pour le vilain petit canard. Remis dans son contexte, c'est une sympathique prolongation de la série.

 

Batman : Le film : photo, Adam West, Burt Ward3615 Batou

 

D'ailleurs, il devait la précéder. Selon le magazine CinéFantastique, c'est Charles B. Fitzsimons, co-producteur aux côtés de Dozier, qui a avancé l'idée en premier, avant même la production de la saison 1. Il voulait sortir un film parallèlement au tournage pour la promouvoir. La Fox a refusé, les techniciens ne pouvant pas libérer le temps nécessaire à des sessions supplémentaires. De plus, la firme ne voulait pas investir de sa poche avant d'être sure que la série serait assez populaire.

C'est pourquoi le long-métrage fut diffusé deux mois après le dernier épisode de la saison 1. Il reprend quasiment tout le casting, à l'exception de Julie Newmar, remplacée par Lee Meriwether dans le rôle de Catwoman, et coûta quand même dix fois plus qu'un épisode classique.

Contre toute attente, il ne fut pas un grand succès. Pour son scénariste Lorenzo Semple Jr., interrogé par le Los Angeles Times, c'est à cause de l'identité très particulière du film et de sa promotion : "Les gens faisaient des films à partir de séries à l'époque. Mais c'était en général des épisodes collés ensemble. Il n'a jamais été très bien promu par les gens de chez Fox. Les gens pensaient que c'était deux ou trois épisodes de la série rallongés donc il n'a pas eu un gros succès du tout". Pourtant, il est vite devenu important.

 

Batman : Le film : photo, Adam West, Burt WardUne énigme de plus

 

Say : "cheesy !"

Alors que le Chevalier Noir élargissait son public film après film, le long-métrage des années 1960 devenait de plus en plus culte. Tandis que ses successeurs s'enfonçaient dans les tréfonds de la noirceur hollywoodienne, il affirmait sa singularité. Et pour cause, c'est une comédie redoutable, dont le principal ressort humoristique (exacerber les incohérences et niaiseries de l'univers des comics de l'âge d'argent) n'a été qu'aiguisé par les évolutions du personnage. En ça, il est presque précurseur.

Tout le monde en prend pour son grade : Batman, bien sûr, est une parodie de super-héros qui n'a, cette fois plus que jamais, rien pour lui à part sa fortune. C'est surtout un pro du Bat-branding. Tout ce qu'il touche est un "bat-quelque chose", du Batcoptère au bat-spray anti-requin. Ses enquêtes n'ont volontairement ni queue ni tête. Il déduit tout seul le scénario des énigmes du Sphinx, soulignant au passage la vacuité et l'absurdité de la narration des comic books, et suscite par la même l'admiration béate de tout le casting secondaire.

 

Batman : Le film : photo, Frank Gorshin, Burgess Meredith, Cesar Romero, Lee MeriwetherVivement qu'ils débarquent dans le multivers de Flash

 

Robin et ses gimmicks tiennent plus du boy scout en collants que de l'acolyte intrépide. Quant aux méchants, ils sont presque plus ridicules encore. Tout content de disposer d'un tel panel de super-vilains grotesques, Lorenzo Semple Jr. les force à la collocation, et en profite pour truffer leur antre de détails, trahissant une cohabitation mouvementée et faisant directement référence aux cases de la bande-dessinée. Les comédiens s'en donnent à coeur joie, alors heureux de voir la série rencontrer un succès mérité, et leurs performances délirantes ont beaucoup contribué à la sympathie que le film inspire.

Pour beaucoup, son humour très camp culmine dans l'hilarante séquence de la bombe, où Batman court aux quatre coins d'un port pour se débarrasser de l'engin, sans blesser les passants, les amoureux ou les canards, avant de déclamer : "Some days, you just can't get rid of a bomb ! " (il y a des jours où ne peut pas se débarrasser d'une bombe !). Mais l'intégralité du long-métrage pastiche avec respect l'oeuvre de Bob Kane et Bill Finger. Il accentue son manichéisme en débullant à outrance tous les plans sur les méchants. Il affuble le pauvre Alfred d'un petit masque. Il ridiculise sans moquer.

 

Batman : Le film : photo, Adam WestLe climax de The Dark Knight Rises

 

Ce faisant, il rend un hommage assez touchant et sincère à l'insouciance de l'époque. C'est une pastille ironique, mais jamais méprisante (contrairement à une grosse partie des parodies du genre) qui, tel un bon bat-vin, s'est bonifiée avec le temps et dont la simplicité n'a jamais été égalée, pas même par Joel Schumacher et son budget indécent (c'était pourtant le but).

Alors la prochaine fois que vous voyez Batman soliloquer sur le poison criminel qui gangrène Gotham ou la corruption violente de la justice, rappelez-vous cette époque bénie où son plus grand ennemi était un requin en caoutchouc.

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commentaires
Alainsecte
06/03/2022 à 23:33

Le seul Batman que j'apprécie vraiment; je ne m'en lasse pas.

RobinDesBois
06/03/2022 à 03:16

@Brasch-Eazy-E, L'excellent d'animation "Batman et Harley Quinn" rend aussi hommage à cette série par moment même si c'est plus en retenue.

RobinDesBois
06/03/2022 à 03:13

Quand j'étais gosses je prenais la série au premier degré (et j'aimais ça !). Puis j'ai vu ce film un peu plus tard et j'ai adoré pour d'autres raisons ^^ La scène de la bombe m'a fait mourir de rire.

Fliflu
05/03/2022 à 19:52

Pif! paf! Pool! Oui y avait de l esprit et tout le reste... Et ils ne portaient pas de protèges tibias....on peut aimer la compagnie créole et muse...le talent c est le talent ça ne s explique pas.

[)@r|{
05/03/2022 à 19:08

Ce "Batman" désinhibé est une petite pépite. Fait rare, [alléluia !] Bruce Wayne n'est pas neurasthénique.

D'ailleurs, en parlant de pépite Yankee et pour les amoureux de la péloche, Arte diffuse "|\|3ar d/|rk" de Kathryn Bigelow [lundi 7 mars à 22h35].

Ciao a tutti !

Qc
05/03/2022 à 19:05

Perso je ne déteste pas , mais je le voit uniquement que comme une parodie de Batman , rien de plus.

Brasch-Eazy-E
05/03/2022 à 17:29

En parlant du climax de "The Dark Knight Rises", vous feriez bien de voir "Batman : Return of the Caped Crusaders", où les deux acteurs du film de 1966 font les voix de leurs personnages animés, et où à un moment Catwoman dézingue en une réplique ce fameux climax...

letleilaxu
05/03/2022 à 17:23

Gamin je loupais jamais un épisode. sans doute pour ça que j'ai toujours eu du mal avec les nouvelles adaptations.

viande a vision
05/03/2022 à 17:13

Un Batman du genre a ne pas brûler un feu rouge et a dire bonjour a Mr le curé etc ...Un Batman qui n'aurait plus sa place dans une époque violente....Le jour où ce Batman reviendra ça voudra dire que la légèreté est revenue... J'espère que ça arrivera...Un Batman qui estime que merde est un énorme gros mot mais où le spectateur en revanche a une vie plus optimiste...

Marvelleux
05/03/2022 à 16:25

Batman à eu plusieurs adaptations, et plusieurs interprétations. Celle là était sympa, sans prétentation.

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