Le mal-aimé : Confessions d'un homme dangereux, petite pépite jouissive de George Clooney

Geoffrey Crété | 20 janvier 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 20 janvier 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, Ecran Large, pourfendeur de l'injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec un nouveau rendez-vous. Le but : sauver des abîmes un film mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie.

 

Affiche

     

"Brillantissime" (Le Figaroscope)

"Un film si pénible qu'il est impossible de s'y intéresser" (Los Angeles Times)

"Pour un premier essai de réalisateur, Clooney assure comme un maître" (Première)

"Depuis le fameux Man on the Moon de Milos Forman, sur un sujet proche, on n'avait pas vu film américain où le burlesque et la rage froide se marient avec autant de vérité" (Libération)

  

 

LE RESUME EXPRESS

Amérique, années 60. Chuck Barris rêve de devenir une star du petit écran et imagine des jeux télévisés, soutenu par sa chère Penny. Chuck Barris est également un agent secret de la CIA, enrôlé par Jim Byrd pour assassiner des ennemis du pays.

Des deux côtés, c'est le succès. The Dating Game, The Newlywed Game et The Gong Show en font une star, tandis qu'il rencontre la belle espionne espionne Patricia lors de ses missions dans le monde.

Puis, c'est la chute : ses jeux intéressent moins et sa réputation en souffre, sa relation avec Penny devient triste, et une taupe commence à assassiner ses collègues espions. Il finit par craquer et s'isole, avant de piéger Patricia, qui était la taupe et avait prévu de le tuer.

Chuck décide d'écrire son autobiographie, Confessions d'un homme dangereux, puis épouse finalement Penny. Il lui révèle qu'il a tué des gens en tant qu'espion, mais elle rit sans vraiment le croire.

 

Photo Sam Rockwell Sam Rockwell dans l'un de ses meilleurs rôles

 

LES COULISSES

Derrière Confessions d'un homme dangereux, il y a une histoire plus ou moins vraie : celle de Chuck Barry, présentateur américain de jeux télévisés type Tournez manège et Les Z'amours, qui explique dans son autobiographie publiée en 1984 qu'il a travaillé pour la CIA et tué en leur nom dans les années 60 et 70. Il dira vite que c'est faux, bien qu'il ait tenté d'intégrer la CIA, mais trop tard : le mythe était créé, entre folie narcissique et secrets d'état protégés.

Columbia achète les droits d'adaptation à la fin des années 80. Jim McBride, réalisateur de Great Balls of Fire, travaille un temps sur une version. La Warner récupère finalement le projet et les droits en 1997, et le scénariste Charlie Kaufman écrit vite une adaptation qui ne passe pas inaperçue. La machine semble lancée : Curtis Hanson veut réaliser, avec Sean Penn dans le premier rôle, et George Clooney et Drew Barrymore à ses côtés. Mais le réalisateur de L.A. Confidential s'en ira.

P.J. HoganSam MendesDavid FincherDarren Aronofsky et Brian De Palma s'y intéressent tandis que Mike Myers est longtemps attaché au rôle, avant que les noms de Kevin SpaceyRussell Crowe et Edward Norton soient évoqués.

En décembre 2000, nouvelle impulsion : Bryan Singer réalisateur, Ben Stiller en Chuck Barry et Clooney toujours à bord. Lorsque Stiller part sur ZoolanderJohnny Depp est casté. La production doit être lancée en janvier 2001 mais le budget de 35 millions est trop serré. En février, le film est à nouveau mis en pause. Lorsque Singer s'en va pour assurer X-Men 2, George Clooney récupère le poste de réalisateur. De toute évidence très attaché au projet au fil des années (notamment parce que son père était présentateur), il propose un deal à Miramax : un salaire réduit, un casting d'amis à bon prix, un budget d'une trentaine de millions. 

 

Photo Confessions d'un homme dangereux, Drew Barrymore Drew Barrymore et Sam Rockwell

 

Clooney est convaincu que Sam Rockwell, à qui il a donné la réplique dans Bienvenue à Collinwood, est parfait pour incarner le premier rôle. A la fois parce qu'il est talentueux, et n'est pas une star. Pour caster un acteur méconnu alors que Miramax rêve d'un nom bankable, Clooney se démène : il passe des accords avec Miramax pour de futurs projets de sa société, accepte une apparition dans Spy Kids 2, convainc le casting d'accepter un salaire moindre (250 000 pour Barrymore et Roberts : loin de leurs cachets qui vont jusqu'à 9 pour la première et 20 pour la seconde), et embarque ses amis Brad Pitt et Matt Damon pour de courtes apparitions. Il obtient même le director's cut. Miramax attendra l'arrivée officielle de Julia Roberts, choisie pour remplacer Nicole Kidman occupée sur The Hours, pour valider le budget et lancer la production.

Interrogé sur la fameuse véracité de la vie d'agent secret de Chuck Barry, George Clooney répondra qu'il a préféré ne jamais lui poser la question, car il ne voulait pas l'entendre dire que tout était faux.

 

Photo George Clooney George Clooney réalisateur, face à Drew Barrymore et Sam Rockwell

 

LE BOX-OFFICE

Échec. Confessions d'un homme dangereux a coûté environ 30 millions de dollars, et n'en a amassé que 33 dans le monde. Avec 16 millions aux Etats-Unis, c'est même un bide. Sale période côté business pour George Clooney, qui a tourné Solaris de Steven Soderbergh tout en terminant la post-production de sa première réalisation. Le film de science-fiction sera lui aussi un échec, mais demeure l'une de ses réussites les plus mésestimées.

Charlie Kaufman sera le premier à regretter le film, qu'il renie quasiment comme expliqué à Empire en 2015 : "Je suis mécontent du résultat. Et de George Clooney. J'ai écrit un film et ça n'est pas ça. J'étais inclus dans le processus avec Spike Jonze et Michel Gondry. S'il y a des réécritures, je le fais. Mais avec Clooney c'était différent. Même la fin du film est différente. Il a répété dans tous les sens à quel point mon scénario était l'un des meilleurs qu'il ait jamais lus. Mais si quelqu'un pense vraiment ça, il voudrait que celui qui l'a écrit soit à bord pour offrir ses idées et critiques. Clooney n'a pas fait ça. Et je pense que c'est un comportement de réalisateur stupide" .

Le scénariste de Dans la peau de John Malkovich et Eternal Sunshine of the Spotless Mind, qui passera derrière la caméra pour le superbe Synecdoche, New York, dira qu'il n'a aucune anomisité envers Clooney, mais que ce film n'est plus vraiment le sien. Clooney, lui, expliquera qu'il a effectivement modifié le scénario pour réussir à le filmer : il y avait selon lui des scènes trop décalées pour qu'un studio finance.

 

Photo George Clooney

 

LE MEILLEUR

Il y a d'abord le talent évident de Charlie Kaufman. Le scénariste de Dans la peau de John MalkovichHuman NatureAdaptation et Eternal Sunshine of the Spotless Mind a beau quasiment renier Confessions d'un homme dangereux, le film de George Clooney est à son image : imprévisible, imaginatif, riche, mélancolique et pourtant d'une tendresse folle. Le mélange des genres (comédie, romance, thriller, espionnage, drame) créé un tourbillon absurde, rocambolesque, touchant, et plein d'ironie et de second degré, qui assume avec un plaisir manifeste l'aspect suréel de cette fable qui semble conçue par un môme fan de films d'espionnage. La fin, qui passe avec une virtuosité de la tragédie à la comédie, est à ce titre très réussie.

Il y a aussi le talent de George Clooney. Il sera nommé à l'Oscar du meilleur réalisateur pour Good Night, and Good Luck quelques années après, mais Confessions d'un homme dangereux illustre à merveille ses ambitions - et peut-être de la plus belle des manières de toute sa filmographie de cinéaste jusque là. Il a beau s'être évidemment inspiré des frères Coen et Steven Soderbergh, Clooney n'en démontre pas moins un vrai regard de cinéaste, et un appétit irrésistible qui habite l'écran. 

Un plan-séquence réjouissant qui emballe l'arrivée de Barris chez NBC, un jeu sur les décors qui ouvre un bureau dans son appartement, le bleu d'une piscine qui se teinte de rouge pour annoncer la couleur tragique que va prendre le film : le film est porté par une envie de cinéma de tous les côtés. La magnifique photographie de Newton Thomas Sigel (collaborateur de Bryan Singer probablement resté malgré son départ) contribue pour beaucoup à la superbe ambiance.

 

Photo George Clooney George Clooney dans l'une des scènes les plus marquantes visuellement

 

L'autre atout majeur s'appelle Sam Rockwell. Il trouve là un rôle fantastique, d'une richesse folle. Il avait démontré ses talents comiques et turbulents dans Galaxy Quest ou Charlie et ses drôles de dames (déjà dans les bras de Drew Barrymore), mais George Clooney lui donne ici tout l'espace pour occuper la scène et briller. Espion fringant, looser attachant, présentateur TV survitaminé : l'acteur est génial de bout en bout. Et aurait largement mérité de décoller avec ce rôle, qui avait tout pour être reconnu dans la traditionnelle saison des prix.

A ses côtés, George Clooney et Julia Roberts assurent le service à merveille, avec fière allure, mais c'est Drew Barrymore qui tire son épingle du jeu. En petite amie loufoque, qui perd peu à peu sa légèreté à mesure que celui qu'elle aime est gagné par la violence, elle est excellente. Il faut voir sa première apparition, parfaitement écrite et mise en scène, pour voir le charme fou de l'actrice. Le rôle a beau être trop sous-écrit pour lui rendre justice, elle se tire de chaque scène avec une subtilité et une finesse irrésistibles.

 

Photo Confessions d'un homme dangereux Drew Barrymore, le charme à l'état pur

 

LE PIRE

Si le style de Charlie Kaufman pourra sans surprise en rebuter plus d'un, il y a une chose qui fonctionne moyennement dans Confessions d'un homme dangereux et démarque le film de ses autres travaux : le soin apporté aux personnages. Au-delà de Chuck Barris, figure centrale abordée par tous les angles, Penny, Jim, Patricia ou encore Keeler sont plus ou moins cantonnés à des stéréotypes unidimensionnels, privés de vie une fois que le héros n'est plus là.

C'est ce qui bloque plusieurs scènes, notamment lorsque les personnages de George Clooney et Rutger Hauer se voient offrir du temps à l'écran dans des parenthèses plus sobres, mais beaucoup moins satisfaisantes. La faute à un scénario qui n'offre pas à ces seconds rôles suffisamment de vie et de détails pour les faire exister.

 

  

RETROUVEZ L'INTEGRALITE DES MAL-AIMES DANS NOTRE RAYON NOSTALGIE

 

Photo Julia Roberts

 

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
michette
21/01/2018 à 23:30

Suburbicon est un film génial
ceci dit en passant

corleone
20/01/2018 à 23:29

Vous ne pouvez savoir le tourbillon d'emotions que j'ai eu en voyant ce film en mal-aimé, j'ai même pas lu l'article mais je félicite déjà le non-lobotomisé de votre rédac qui l'a sorti du tiroir. Un chef d'oeuvre ce film. Je ne me suis jamais lassé de le revoir et je vais le remater tiens(ce sera le premier film que je mate en 2018 en passant).
Molte Grazie.

Babysitteur
20/01/2018 à 23:02

Je suis tombé sur ce film un soir de babysitting chez des gens qui avaient la bonne idée de payer Canal + :
-Sam Rockwell est rentré instantanément dans mes petits papiers
-Je vous raconte pas la surprise en voyant le nom de Clooney au générique.
Bravo la rédac (ou Geoffrey Crété ) !

Grift
20/01/2018 à 22:39

Tres bon film de Clooney.
Dommage qu'il n'arrive à plus a rééditer cet exploit (coté acteur il semble également un peu en panne de bon choix)
Rockwell y est excellent.

Matt
20/01/2018 à 14:46

Je rejoins les commentaires ci dessous. Le meilleur film de Clooney.

La mise en scène à tout à voir avec Soderbergh (le commentaire audio du film se justifiera à lui seul). La scène pour intimider les participants du jeu TV par l'instructeur militaire est fabuleuse et à mourir de rire.

Bravo à la rédaction d'avoir sortit cette pépite de l'ombre.
Bon je le redis, damned, Mr Sam Rockwell est juste époustouflant dans ce film.

Zanta
20/01/2018 à 14:22

Hey, la spéciale Sam Rockwell continue !
En effet, excellent film.
Mais depuis, difficile de le recommander quand Clooney a signé depuis l'anecodtique "Leatherheads", le caricatural "Ides of March", le nanard "Monuments Men" et le ratage intégral "Suburbicon".

Sky Captain
20/01/2018 à 14:12

Sans doute le meilleur film de Clooney réalisateur. Non pas un petit film sympa qui vaut mieux que sa faible renommée mais un vrai grand film tout court !