Critique : Eastern Boys

Maryne Baillon | 2 avril 2014
Maryne Baillon | 2 avril 2014

Après Les revenants en 2004, Robin Campillo réalise son second long-métrage, né du désir d'illustrer à l'écran l'aventure d'un couple, lorsqu'une relation charnelle se métamorphose pour devenir son opposé, chaste et bienveillante. Dans une atmosphère déroutante, jamais prévisible, il réussit à capter ce trouble à l'aune d'une histoire fascinante entre un jeune ukrainien sans-papier et un quadragénaire bourgeois.

 

Tout commence par une scène saisissante, très chorégraphiée, dans le hall d'une gare. Tandis que des personnes déambulent machinalement dans ce lieu, comme une danse quotidienne aux trajectoires très codifiées, un groupe de jeune à l'activité floue parasite cet espace, ces habitudes. Quand ils s'approchent, on les observe du coin de l’œil, on s'éloigne dérangé par cette présence potentiellement hostile. Mais un homme, Daniel, s'insinue dans leur jeu, il les suit, les observe, que cherche-t-il ? Son regard va progressivement isoler l'un d'entre eux, Marek. Leur regard se répondent, lui a compris. Ils conviennent d'un rendez-vous pour des services sexuels à son appartement.

Cette scène d'ouverture passionnante pousse les portes d'une histoire aussi complexe que mystérieuse brouillant les pistes et dont on ne devine jamais vraiment la suite. À ce moment là, comment se douter que cette invitation se retournait contre lui ? Que le dominant deviendrait le dominé ? La scène qui suit paraît irréelle. On toque à la porte et tout bascule. Ce n'est pas Marek qui se trouve sur son palier mais un jeune garçon du groupe qui menace de crier s'il le touche. Sonné, Daniel voit la bande arriver au compte goutte et envahir progressivement son espace. Une fête s'organise d'abord, puis un cambriolage. Des plans rigoureusement cadrés et d’une beauté époustouflante se mêlent à des airs électriques à la fois euphorisantes et mélancoliques qui retentit entre les murs. L'atmosphère est troublante, presque suffocante comme si nous étions les témoins directs de cet abus. Une fois encore, les codes changent, Daniel danse avec eux. « Derrière la peur d'être envahi, y avait-il aussi un désir de l'être ? » questionne Robin Campillo dans ses notes d'intention.

Le réalisateur joue beaucoup sur la personnalité insondable de ses personnages, à la fois cruelle et brillant, fragile et attachant. Derechef, un cheminement inattendu se dessine quand ce dernier accepte de revoir Marek, qui revient, seul, le lendemain pour ces fameux « services ». Au-delà de ces corps qui vont se découvrir dans le plaisir, ce sont les âmes qui vont s'ouvrir pour sceller un autre genre de relation. L'objet de désir devient celui à défendre, de voyous qui conditionnent son existence, mais qui, derrière cette rage pleine de détresse, au fond souhaite la même chose, vivre avant de survivre.

 

En bref : Eastern Boys fuit les héros empathiques, ouvre une palette extraordinaire de thème pour dessiner cette œuvre unique en soi, déroutante aussi, mais surtout plus que la bienvenue dans un paysage cinématographique qui ne se targue pas si souvent de si nobles ambitions

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