Critique : L'Ultimatum des trois mercenaires

Nicolas Thys | 30 avril 2013
Nicolas Thys | 30 avril 2013

Twilight's Last Gleaming (La Dernière lueur du crépuscule). Le titre original de L'Ultimatum des trois mercenaires est à la fois parlant et ambigu : léger, crépusculaire, annonciateur de la fin d'un monde ou d'une époque mais sans renseigner sur l'histoire du film. Aucun terme ne vient orienter et décevoir le spectateur. Car ultimatum et combattants certes on en voit mais ni western, ni guerre et même les mercenaires n'en sont pas vraiment. Le film est l'illustration parfaite de la guerre froide : deux heures et vingt minutes à patienter, deux heures et vingt minutes de suspense sur l'Amérique et ses ruines. Les batailles armées passent au second plan, sur des écrans de contrôles ou des télévisions, le terrain militaire est un terrain de jeux et l'essentiel se joue dans des caves et des bureaux : la tactique prime. Et pourtant, aucun ennui. La mise en scène est à la fois reflet de l'époque et moyen d'organiser le film afin d'être pris dans une action qui n'existe pas.

Et ce monde qui se termine est cinématographique autant que politique. Tourné en 1977, le film met en scène de vieux acteurs, des stars ridées et assises, cheveux gris ou blancs, qui représentent un autre âge d'Hollywood, celui d'avant le Vietman, avant Kennedy, avant le Watergate, à un moment où on pouvait encore croire à ce qu'on nous racontait. Burt Lancaster en premier lieu, acteur aux multiples facettes que le cinéma américain faisait, depuis une dizaine d'années, se perdre encore et encore dans des rôles qui annonçaient sa fin (voir The Swimmer de Frank Perry en 1968). Ici, soldat déchu, gradé dégradé, évadé d'une prison il est à la fois un traitre et un héros, un criminel qui menace ce monde « libre » qu'est l'Amérique pour certains, un homme épris de justice, quoi qu'elle coute, pour les autres. La menace qui plane : la vérité cachée au peuple à des fins politiques. Mais révéler à ceux qui l'habitent l'hypocrisie de leur nation mettrait fin à son hégémonie, bien plus qu'une bombe nucléaire. Lancaster est ici pris entre deux types de personnages que la fin du système classique des grands studios a vu apparaître en masse : le justicier solitaire, vigilante sur les bords, et l'écorché vif qui a perdu foi en l'homme ou en ceux qui contrôlent et font le monde, à la manière du Charlton Heston  de Soleil vert ou de La Planète des singes. Après tout, sans verser dans la SF, le film d'Aldrich se déroule dans un futur proche par rapport à sa date de réalisation...

Autres stars à l'agonie qu'on retrouve dans ce casting gérontocratique étoilé : Joseph Cotten, Richard Widmark, Melvyn Douglas. Le président, Charles Durning, 54 ans à l'époque, fait figure de jeunot. La dernière fois qu'on avait assisté à un tel déferlement de grand-père dans un film, c'était pour annoncer la fin imminente d'un genre, le western, avec Rio Bravo d'Howard Hawks. Ici les jeunes n'existent pas ou ils meurent vite.

Fin d'un monde politique également. Tout tourne autour du Vietnam, de la rivalité avec la Russie, de la perte de vitesse de l'Amérique et de ses souffrances internes, cachées, invisibles ou que nul ne veut voir. Mais le sacrifice est partout comme l'enfant sacrifié pour du pétrole au détour d'une discussion ou le président qui se sacrifie, moins pour sauver le monde comme il aimerait le croire que pour sauver l'hypocrisie générale : les plus jeunes meurent. Les rebelles ne sont finalement rien moins que des pantins dépassés et manipulés par une cohorte de conservateurs qui veulent aveugler leur nation pour l'empêcher de se révolter. L'aveuglement est dans la forme également, avec le recours au split-screen, et la multiplication des cadres et des écrans, des caches et des angles morts pour qu'on ne sache jamais ou donner de la tête. Le plus on en voit, le plus on cache.

C'est, de manière plus générale, la fin des croyances en une démocratie possible. Le cinéma ne fait que ça le répéter dans les années 70, l'Ultimatum des trois mercenaires enfonce le clou de films politiques comme Conversation secrète ou Les Trois jours du condor. C'est à la fois typique de cette époque et terriblement actuel comme en témoignera le cinéma de Brian de Palma par exemple qui utilisait lui aussi le split-screen et s'amusera de la multiplication des écrans et des artifices.

Coproduit par l'Allemagne, Bavaria Film qui à l'époque aidait à monter de nombreux projets avec les Etats-Unis ou l'Europe, on se demande si Aldrich serait parvenu à réaliser un tel film, critique assassine du modèle américain, sans capitaux étrangers. Ce qu'il montre ce n'est rien moins qu'une apocalypse intérieure, cachée aux yeux du monde mais dont on ressent encore quelques secousses chaque jour.

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