Critique : Le Premier homme

Sandy Gillet | 27 mars 2013
Sandy Gillet | 27 mars 2013

Étonnant que de confier l'adaptation du roman inachevé et autobiographique d'Albert Camus à un réalisateur italien. Surtout quand il s'agit mettre en perspective deux trajectoires fortes de notre Histoire. D'un côté un écrivain pied noir en bute à l'intelligentsia de l'époque qui le poussait à sortir de sa réserve intellectuelle. De l'autre, une guerre d'Algérie qui ne disait pas son nom et qui menaçait jusqu'aux fondements des institutions politiques françaises de l'époque. Quand Camus décide d'entreprendre la rédaction du Premier homme, il s'agit alors pour lui de remonter aux sources de son identité et par la même de celle de l'Algérie. Un pays qu'il dépeint telle une mère patrie qu'il faut protéger d'elle-même à l'image de sa mère restée sur place et qu'il vient retrouver après plusieurs années passées en Métropole. C'est l'occasion alors de se raconter. De parler de cette jeunesse très pauvre, de ce père qu'il n'a jamais connu mort sur le champ d'honneur en 1914 lors de la bataille de la Marne, de sa grand-mère à la dureté teutonne, de la rencontre avec cet instituteur qui allait changer le cours de sa vie...

Pendant longtemps la fille de Camus avait refusé catégoriquement son adaptation. Elle est ensuite revenue sur sa décision en 2006 en validant déjà à l'époque le choix de Gianni Amelio à cause de sa position assez neutre de metteur en scène italien n'ayant pas d'intérêt à prendre parti dans la narration du conflit franco-algérien. Si cette décision peut se comprendre à la lecture du roman (Camus ne cherchant pas à prendre position mais bien de comprendre le présent en cherchant dans le passé les germes du conflit), elle est contestable à la vision du film. Lourd, raide et sentant la naphtaline, ce Premier homme dénote aussi une méconnaissance crasse des enjeux inhérents du texte de Camus. La caméra se contente de filmer des corps figés dans des décors sans âme inondés d'une photo solaire écrasante. Pas de point de vue, pas de direction d'acteurs à l'exception de l'instit Denis Podalydès qui arrive à tirer remarquablement son épingle du jeu même quand il est attifé d'un maquillage grossier censé le vieillir.

Camus est mort dans un accident de voiture sans avoir pu entamer sa troisième partie consacrée uniquement à sa mère. Gianni Amelio essaye tout de même de donner à son film un équilibre maternel en ce sens qu'elle constitue le pivot et le fil rouge d'une narration qui se veut épurée jusqu'à la scène finale aussi abscond qu'inutile. Oui, drôle d'idée que de confier l'adaptation d'un tel bouquin à un réalisateur qui à l'évidence n'en n'a pas saisi les multiples ramifications intellectuelles, historiques et littéraires. La tâche était bien entendu ardue et encore plus pour quelqu'un qui semblait si peu familier avec une œuvre littéraire où Le premier homme s'inscrivait comme une sorte d'échos aux premiers textes de jeunesse déjà autobiographiques de Camus. Un film en forme d'occasion manquée en quelque sorte.

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