Critique : Soudain, le 22 mai

Aude Boutillon | 6 décembre 2011
Aude Boutillon | 6 décembre 2011

« Soudain le 22 Mai, c'est le contraire d'Ex Drummer ». Ainsi Koen Mortier présente-t-il son second méfait, après un Ex Drummer aussi fou qu'incorrect. En effet, ses fervents amateurs peineront à retrouver ici ce qui les avait tellement séduits dans le premier film du plus punk des cinéastes flamands. Soudain le 22 mai a du mal en effet à retrouver l'énergie dévastatrice et créatrice de son prédécesseur, et s'enlise dans une démonstration stylisée qui, rapidement, handicape plus qu'elle ne sert le potentiel dramatique de l'intrigue.

Si Ex Drummer emportait l'adhésion (ou le rebut, sans demie-mesure possible), c'était en effet au moyen d'un dynamisme issu d'une fulgurance et d'une spontanéité visuelles et sonores ne laissant au spectateur aucun instant de répit. A l'inverse, Soudain le 22 Mai adopte un ton des plus posés, privilégiant une atmosphère lénifiante à l'hyperactivité d'Ex Drummer. Ce rythme très lent se trouve, certes, magnifié par une photographie extrêmement léchée, mais d'une maîtrise et d'une froideur telles qu'elles peinent à créer l'implication émotionnelle que son sujet devrait pourtant mobiliser, et batit plutôt autour du film une sorte d'hérmétisme relativement frustrant.

S'exhale en effet du synopsis de Soudain le 22 Mai un profond désespoir, qui s'exprime par cette suite d'incidents que les victimes d'un attentat se voient contraintes de revivre, incapables de changer le cours de leur Histoire. De même, le personnage principal (incarné par Sam Louwyck, que l'on avait déjà pu voir dans Ex Drummer), rescapé d'une explosion qu'il n'a pu empêcher, devra accepter la fatalité d'évènements tragiques dont il se tient pour responsable. Inutile toutefois de chercher une quelconque corrélation avec la paranoïa post-11 septembre qui a fait fleurir bon nombre de films (The Divide en dernier lieu) ; seul le parcours de ces êtres on ne peut plus communs intéresse ici le cinéaste, âmes errantes dans un dédale fantasmagorique de décombres et de souvenirs réduits à l'état de poussière.

A ce titre, Soudain le 22 Mai s'impose peut-être comme l'oeuvre la plus personnelle de son auteur, bien plus qu'un Ex Drummer aussi barré que décomplexé. Désespéré et pessimiste, le second film de Koen Mortier transpire en effet la psychée de son réalisateur (pour s'en convaincre, se référer à l'interview de Koen Mortier, rencontré à l'occasion de l'Etrange Festival de Paris 2011), déterminé à porter à l'écran la misère de la condition humaine, dans toute sa banalité, et l'inexorabilité de la mort. Ce décalage frappant entre le caractère quasiment intimiste et extrêmement sombre du propos tenu, et la froideur lointaine de la forme qui l'illustre, est finalement ce que Soudain le 22 Mai comporte de plus dérangeant. Il serait par conséquent bien trop hâtif d'accuser le réalisateur flamand de donner dans l'exercice de style impersonnel et désincarné, tant son film se trouve irrigué de bout en bout par ses névroses les plus ancrées.

Enfin, l'absence d'implication émotionnelle véhiculée par Soudain le 22 Mai est d'autant plus frustrante qu'elle explose (au sens propre) dans un final crève-cœur et terrible, dont on aurait aimé ressentir la force du désespoir bien plus tôt.

Après deux productions aussi radicalement différentes, et la démonstration d'un savoir-faire et d'une inventivité que les défauts respectifs des films n'altèrent en rien, il nous tarde en tous les cas de découvrir le résultat de l'adaptation du roman fantastique de Chuck Palahniuk Haunted, sur laquelle Koen Mortier planche actuellement, avec, sans nul doute, tout le politiquement incorrect et le refus des concessions qui le caractérise.

 

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