Critique : La Princesse et la grenouille

Sandy Gillet | 25 janvier 2010
Sandy Gillet | 25 janvier 2010

Depuis le flop artistique et au BO mondial (relatif) de La planète au trésor, la doublette Ron Clements / John Musker avait été soigneusement rangée dans un placard à balai avec pour seul horizon de ressasser leur splendeur passée. C'est que les deux hommes sont à l'origine de deux des plus gros succès de la maison Disney des années 90. La petite sirène et surtout Aladdin ont en effet permis à Roy E. Disney (oncle de Walt Disney et président du directoire d'alors) et Michael Eisner (PDG de l'époque) de redorer le blason d'une compagnie qui avait le moral en berne après une décennie à enchaîner déceptions économiques et ratages artistiques... Le plus drôle dans l'histoire c'est que c'est John Lasseter, aujourd'hui directeur de Walt Disney Feature Animation, qui les a rappelé afin de réaliser cette Princesse et la grenouille. Lui dont le nom est intiment lié à la saga des Studios Pixar et qui (sans le vouloir) a économiquement précipité une animation classique vers une mort clinique certaine.

Du coup il est intéressant d'y voir ici comme une sorte de catharsis en forme de plates excuses pour le mal que Lasseter et Pixar auraient causé à une industrie et à une société mère à l'origine de tous ses souvenirs heureux d'enfance et accessoirement pourvoyeur de ses premiers salaires en tant qu'animateur avec Tim Burton sur Rox et Rouky. Un angle qui permet d'apprécier La princesse et la grenouille à l'aune d'une nostalgie bienveillante, de bon aloi et inattaquable puisque sincère. On y retrouve la trame narrative qui a donc fait les beaux jours de Disney avec des personnages attachants dont la luciole Ray qui n'est pas sans rappeler Sébastien le crabe dans La petite sirène. On est aussi surpris de constater que le retour des intermèdes musicaux est assez émouvant alors que pour être honnête leur abandon depuis grosso modo Phil Collins et l'inaltérable Tarzan ne nous avait pas ému plus que cela. Bien au contraire... On est enfin heureux de se (re)plonger dans une histoire de princesse et de prince charmant à même de réunir toute la famille devant un spectacle pour le moins féerique.

Mais pour être honnête la comparaison avec les glorieuses productions passées s'arrête là. Il est évident que Clements et Musker ont eu le temps depuis leur retraite dorée d'analyser ce qui ne marchait pas (ou plus) avec leur dernier film et de se projeter avec sans aucun doute l'aide d'un Lasseter au taquet vers une approche et une mise en scène plus « modernes ». À commencer par l'histoire elle-même qui si elle se déroule dans une Nouvelle-Orléans déjà utilisée comme toile de fond avec Les Aventures de Bernard et Bianca, brosse les péripéties d'une serveuse noire de peau issue d'un milieu social très modeste et dont le rêve est de devenir propriétaire d'un des restaurants les plus chics au sein de ces années folles ante prohibition. Mais avant d'en arriver là il va lui falloir affronter le bad guy forcément adepte du vaudou, embrasser un crapaud dans un élan de générosité qui la perdra, traverser tout le bayou à la recherche d'une sorcière...

Et la modernité du propos n'est pas tant de proposer les aventures d'une héroïne noire, il était temps en effet que l'on s'y mette, mais plutôt de voir avec quelle maestria et radicalité Disney casse son image érigée depuis Blanche-Neige et les sept nains de conteur né mais souvent assommant dans la morale WASP prodiguée. De morale ici il y en a bien une mais réduite à sa plus simple expression : toujours croire en soi. Le reste n'est qu'humour savamment décalé et parfois même limite pour un film qui se veut une sorte de retour en fanfare aux sources. C'est certainement ici que la patte Lasseter se fait le plus sentir. Dans cette propension à tordre le cou à un certain classicisme érigé en dogme (car permettant d'engranger beaucoup de sous sous) causant sa propre perte.

La princesse et la grenouille peut donc se voir comme une leçon faite d'humilité et d'audace sur le devenir d'un médium en perpétuelle mutation. Un retour en arrière bourré d'enseignement sur l'avenir. Un mariage réussi entre l'ancien et le moderne.

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