Critique : Sin Nombre
Le film commence au Chiapas, région pauvre du Sud du Mexique. Casper (Edgar Flores) est un membre de la Mara Salvatrucha 13, un gang ultra-violent sévissant à travers toute l'Amérique Centrale. Ayant tué le chef de sa bande pour venger la mort de sa petite amie il est contraint de s'enfuir clandestinement à bord d'un train roulant vers le Nord, poursuivi par les mareros de son ancienne organisation. C'est là qu'il fait la rencontre de Sayra (Paulina Gaitan), une jeune fille venant du Honduras avec son père et son oncle en quête d'un avenir meilleur aux Etats Unis.
Présenté au festival de Deauville au sein d'une compétition officielle faisant la part belle aux films intimistes souvent circonscrits au cercle familial, Sin Nombre frappe d'abord par son ambition. Précédé d'une réputation flatteuse (prix du meilleur réalisateur à Sundance), celui-ci ne déçoit pas: il est rare de voir un réalisateur s'emparer d'une histoire d'une telle ampleur pour un premier film. Le récit se déploie donc sur plusieurs pays, alternant habilement entre deux histoires différentes avant de les joindre l'une à l'autre.
Fukunaga s'attache à décrire le gang auquel appartient Casper avec une grande précision et un vrai souci du détail. Hasard peut être, le film sort à a peine un mois d'intervalle de La Vida loca, le documentaire sur les maras de Christian Poveda. Il évite cependant l'écueil du film édifiant rempli d'informations inutiles et reste clair sur ses intentions: Sin Nombre est avant tout une vraie proposition de cinéma, une fiction construite sur une base forte. Les nombreuses recherches et autres voyages préparatoires poussés de l'équipe du film n'ont eu pour but que de rendre crédible le récit. Bien que différent de la plupart des autres films de la compétition, Sin Nombre donne lui aussi une place importante au motif familial qui se fissure, au groupe qui se détruit. Les personnages se rencontrent et évoluent ensemble jusqu'à ce qu'une nouvelle ligne de fracture ne se dessine entre eux. Familles absentes ou séparées par la distance, gang comme seul repère, amitié trahies, amours brisés : les personnages sont toujours seuls par la force des choses, et l'union n'est jamais que temporaire. Leur trajectoire est avant tout individuelle, une ligne tendue vers les Etats-Unis et un avenir qu'ils espèrent meilleur, sans toutefois se bercer d'illusions.
Bien écrits et provoquant une vraie empathie, ces personnages n'auraient cependant pas la même épaisseur sans un casting de haut vol, mélange habile d'acteurs non-professionnels et de comédiens confirmés. Le réalisateur les met en scène de façon remarquable, et donne à son film une identité visuelle forte. Certains plans sont extraordinaires, comme l'arrivée de nuit d'un train vomissant de la vapeur au milieu d'une gare de triage remplie de migrants.
Pétri de qualités, sombre, brutal sans tomber dans le voyeurisme, tout en retenue et néanmoins porté par une vraie ambition, Sin Nombre est sans conteste l'un des films les plus marquants de l'édition 2009 du festival de Deauville. Il serait surprenant qu'il ne reparte pas avec un prix, quel qu'il soit. Et quoiqu'il arrive Cary Joji Fukunaga s'impose d'emblée comme un réalisateur à suivre de très près.
Matthieu Pietras
Lecteurs
(3.3)