Critique : Lili Marleen

Nicolas Thys | 10 octobre 2007
Nicolas Thys | 10 octobre 2007

Dans Lili Marleen c'est en cinéphile et en inconditionnel de Douglas Sirk que se pose Fassbinder. Il va reprendre à son compte les grands codes du mélodrame à l'américaine et à l'allemande qu'il va détourner et sans cesse amplifier pour réaliser ce qui est l'une de ses plus grandes œuvres. Tout dans ce film va d'ailleurs être propice au détournement à commencer par la trame principale. A l'origine le film devait raconter l'histoire de la chanson, qui a réellement été un succès auprès des soldats allemands de la Wehrmacht après avoir connu un échec commercial en 1938. Le cinéaste y a ajouté la romance entre Hannah Schygulla et Giancarlo Giannini qui n'a par contre jamais existée. De même la chanteuse d'origine Lale Andersen n'a semble t-il jamais lutté aux côtés de la résistance antinazi comme le suggère le film.

L'histoire de la chanson, d'abord prépondérant, n'est en fait qu'un prétexte à une histoire d'amour impossible sur fond de guerre vue depuis la Suisse et l'Allemagne entre un homme qui tente d'aider des juifs à s'échapper d'Allemagne et une femme devenue la coqueluche d'un pays et du parti contre lequel l'homme se bat avant d'entrer elle même dans la résistance. Tout semble avoir été écrit pour servir le genre éminemment musical du mélodrame : une chanson, un pianiste en devenir, une chanteuse de cabaret, une histoire déchirante et les accessoires et fils narratifs qui vont avec. Un schéma des plus classiques qui aurait pu mal tourner si le cinéaste allemand n'y avait apporté sa patte.

Tout ici est réalisé avec un goût du contraste et des oppositions : en Suisse entre le faste de la résidence de Robert et de ses parents qui semblent avoir les pleins pouvoirs sur le gouvernement et la semi misère de Willie surendettée, éléments qui seront inversés en Allemagne où elle aura ce qu'elle désire pendant que lui ne sera qu'un clandestin dans un pays qui le rejette. Les rapports de force, élément central de l'oeuvre de Fassbinder, sont beaucoup plus diffus et complexe puisque ni lui ni elle ne maîtrisent en fait quoi que ce soit : leur semblant pouvoir se révèle être une illusion. Au moindre faux pas ils en sont déchus. Ils sont également sans cesse épiés de toute part et deviennent les jouets de quelque chose de plus puissant, l'Histoire qui se déroule et qu'ils ne comprennent pas, aveuglés par leur amour que personne n'accepte. Elle ne devrait être que le jouet du nazisme pendant que lui ne devrait qu'être le jouet des antinazis. Le cinéaste allemand interprète d'ailleurs un rôle primordial même s'il est très court. Il est l'homme qui dirige la filière ultrasecrète de la résistance. On le voit peu, il disparaît comme il vient, semblable à une ombre, manipulant tout le monde. Et en même temps il joue son propre rôle, à la fois metteur en scène du film et directeur d'acteurs qui lui obéissent comme ses marionnettes et celui qui dirige le réseau entier avec ses protagonistes à qui il fait faire ce qu'il veut. Il est derrière mais toujours présent en filigrane.

Le soin apporté à la réalisation et au montage est également l'un des éléments qui font de Lili Marleen le chef d'oeuvre qu'il est. Une fois encore tout est propice au détournement et à la révélation des stéréotypes qui font le genre. Tout d'abord Fassbinder fait preuve d'une maîtrise rarement égalée de l'art subtil de l'ellipse qui n'a d'habitude pour autre but que de couper le superflus pour ne se concentrer que sur l'indispensable tout en ménageant le spectateur en lui évitant des coupes trop brutales. Le réalisateur germanique s'amuse en renversant l'utilisation habituelle de la plus belle des manières quitte à être le plus souvent très violent dans le montage instaurant un rythme rapide et soutenu à l'action : à peine un voyage évoqué à table qu'une seconde après les voilà parvenus à destination à plusieurs centaines de kilomètres.

Contrairement au cinéma hollywoodien qui implique le plus possible le spectateur Fassbinder crée une distanciation et met en avant le côté artificiel de ce qui est montré à l'écran : pour lui comme pour Sirk c'est bien simple tout style un tant soit peu réaliste est à proscrire dans le mélodrame mais Fassbinder utilise des effets propres au cinéma des années 70 et rarement utilisés auparavant pour y parvenir avec des mouvements de caméra très amples, très marqués et assez surprenants. Les envolées lyriques coutumières du mélodrame se retrouvent au coeur d'une mise en scène à la fois légère et nerveuse du plus bel effet. Les éclairages participent aussi à l'atmosphère atypique et mirifique de Lili Marleen. Le film est entièrement tourné avec des lentilles et des filtres particuliers créant une ambiance feutrée et des teintes lustrées. Chaque source de lumière blanche ou grise étincelle alors, comme des diamants exposés à la lumière. Cette technique sera réutilisée dans Le secret de Veronika Voss.

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