Critique : L'Épouvantail

Sandy Gillet | 1 octobre 2007
Sandy Gillet | 1 octobre 2007

Quand Jerry Schatzberg réalise Scarecrow (L'épouvantail) en 1973, il a déjà à son actif deux premiers films aboutis (The Puzzle of a Downfall Child en 1970 et surtout Panique in Needle Park en 1971) qui traitent des mêmes thèmes et sujets. À savoir la peinture d'êtres décalés, petits truands ou quelques peu marginaux, au sein d'une Amérique plus métaphysique que sociologique, telle que stigmatisée par exemple dans Macadam Cowboy de John Schlesinger, tourné quatre ans plus tôt. On pense aussi, dès les premières images, à Des souris et des hommes, le roman emblématique de Steinbeck pour l'aspect road-movie humaniste du film ; mais surtout pour cette amitié hors norme qui lie les deux personnages centraux : comme chez Steinbeck tous deux vivent en effet en marge d'une société qui les ignore mais dont, paradoxalement, ils n'aspirent qu'à intégrer.

 

 

C'est d'ailleurs cet aspect fondamental qui distingue Scarecrow de ses contemporains, comme le Macadam Cowboy sus-cité ou encore Easy Rider, autre référent qui affleure inévitablement à la vision du film. Il n'est en effet pas question ici de critique sociale acerbe doublée d'une remise en cause des valeurs américaines que la guerre du Viêtnam a définitivement mis à mal. Non, Scarecrow qui clôt une trilogie en forme de regard lucide sur certaines aspérités et failles forcément humaines, ressemble plutôt à La Balade sauvage du grand Terence Malick dans l'acceptation qu'ont ces deux films de l'immensité des espaces américains, propices aux rencontres improbables et voyages rédempteurs. Mais à la fausse naïveté du couple Martin Sheen-Sissy Spacek et en leur croyance d'un amour pur et donc sans concession, répond la véritable amitié du duo Gene Hackman-Al Pacino, en quête tout deux d'un idéal humain.

 

 

La philosophie de vie de Lion (Al Pacino) est en effet de croire en la bonté inhérente à l'humanité, symbolisée par cet épouvantail qui n'a d'autre but, pour lui, de faire rire les corbeaux et non de les effrayer. Si Max (grandiose Gene Hackman) rigole au début de cette « croyance », lui le paranoïaque qui ne fait confiance à personne et qui vient juste de sortir de prison pour ses pulsions pugilistes, ne devient-il pas par la suite cet épouvantail pacifique, ce danseur en lieu et place d'un boxeur dans l'une des dernières et plus belles scènes du film ? À contrario de Lion qui découvre, un peu à son insu, que la vie peut lui réserver des tours cruels. Lui qui s'est « absenté » de la mère patrie parcourant les océans et fuyant une paternité toute nouvelle.

 

 

Scarecrow c'est bien cela, la rencontre de deux êtres aux destins éphémères qui font un bout de voyage ensemble, d'ouest en est (schéma géographique contraire au road-movie traditionnel), avec en toile de fond l'opposition nature/ville filmée en de longs plans séquences, comme pour mieux souligner la décadence des choses. D'un point de vue purement cinéphilique Scarecrow c'est aussi une très belle synthèse du cinéma américain, dans ce qu'il a de plus caractéristique. Le plan d'ouverture, éminemment fordien, où Max apparaît de très loin descendant une colline en est l'exemple le plus « visible ». Wim Wenders ne s'y est d'ailleurs pas trompé, lui qui avec Paris, Texas rend un hommage appuyé au film Schatzberg, tout en étant sa suite idéalisée.

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