Critique : Héros fragiles

Vingt-huit ans avant le 11 septembre 2001, il y eut un autre 11 septembre, marqué par le coup d'état du général Pinochet (soutenu par la CIA) contre Salvador Allende. Héros fragiles est le retour sur les traces de cet évènement du documentariste Emilio Pacull, dont le beau-père est mort ce jour-là aux côtés d'Allende. Au cours de son voyage, il est parvenu à rencontrer de nombreux témoins de l'époque, dans le camp des vaincus comme dans celui des vainqueurs. À travers eux, ce sont deux utopies qu'oppose le réalisateur : une société fraternelle et compassionnelle contre un monde régi par l'économie de marché.

Au-delà de sa préférence personnelle, Pacull nous montre que ces utopies étaient incompatibles il y a trente ans (il suffit d'écouter le patron du Medef chilien de l'époque expliquer qu'il a aidé le coup d'état car il trouvait Allende trop sensible et donc « inapte » à diriger un pays) et qu'elles le sont toujours aujourd'hui. Entre des ex-partisans d'Allende toujours persuadés qu'un autre monde est possible et un Milton Friedman - père des théories ultra-libérales et guest-star de ce film - qui ne voit que du bon dans ce qu'il prêche, la violence de l'affrontement n'a en aucun cas diminué et un compromis n'est pas pour demain.

Sur un terrain moins idéologique, Héros fragiles est la preuve qu'il ne suffit pas d'un très bon sujet et de très bons intervenants pour faire un très bon documentaire. En combinant une forme très cheap et une place importante laissée à l'histoire personnelle du réalisateur, sans débouchés pertinents, la mise en scène devient un frein à l'adhésion du spectateur. Pour les témoignages qu'il regroupe, Héros fragiles mérite d'être vu ; mais il reste loin du niveau atteint par Costa-Gavras sur le même thème dans État de siège et Missing - deux films abondamment cités par Pacull, comme un aveu d'impuissance.