Critique : Coffret D.W. Griffith - Naissance d'une nation + Intolérance

Jean-Noël Nicolau | 10 janvier 2007
Jean-Noël Nicolau | 10 janvier 2007

Au même titre que les Dieux du stade, Naissance d'une nation est l'une des œuvres les plus polémiques de l'histoire du cinéma. Mais le film de Griffith se révèle au final encore plus discutable que celui de Leni Riefenstahl, qui faisait avant tout un travail documentaire (en exaltant, certes, au passage des « surhommes » aryens). D.W. Griffith, sous prétexte de reconstitution historique fastueuse, verse dans la fiction et choisit très clairement son camp. Oui, Naissance d'une nation décrit un Sud des Etats-Unis de manière angélique, avec les gentils blancs si admirables de faire preuve d'autant de patience envers ces « nègres » ingrats et stupides. Oui, la démarche d'unification de Lincoln avait de bonnes intentions, mais elle a détruit cet univers idyllique de propriétés luxueuses et d'esclavage bon enfant. Oui, heureusement que les colons de bon sens se sont réunis sous la bannière du Ku Klux Klan pour sauver les jeunes demoiselles en détresse, menacées des pires exactions par des noirs interprétés pour leur majorité par des acteurs blancs grimés.

Dans ses élans racistes et réactionnaires, nombreux et outranciers, Naissance d'une nation s'avère totalement indéfendable. Certes, c'est une vieille querelle de cinéphile, car l'œuvre est tout aussi sublime dans sa forme qu'elle est révoltante dans son propos. Le paradoxe revient donc à souligner, encore et toujours, à quel point le film est l'un des plus essentiels de l'histoire du cinéma, au moins pour sa technique révolutionnaire et quelques séquences incroyables (la reconstitution de la bataille de Gettysburg, d'un réalisme unique, est un tour de force sublime). Et en même temps il faut prévenir le spectateur qui s'apprête à découvrir son premier Griffith (car Intolérance doit obligatoirement être vu ensuite) qu'il doit remiser sa morale « contemporaine » aux vestiaires pendant trois heures. Une fois immergé dans la grandeur visuelle Griffithienne, on reste souvent bouche bée et l'on apprécie tout autant quelques performances d'acteur d'une agréable modernité (Lilian Gish et Mae Marsh étant magnifiques). Aussi déplaisant que fascinant, Naissance d'une nation demeure un choc, plus de 90 ans après sa sortie.

Naissance d'une nation : 8/10


Plus encore que son Naissance d'une nation, c'est avec le monumental Intolérance que D.W. Griffith « invente » le cinéma. En réponse aux accusations de racisme (pour le moins justifiées) lancées à l'encontre de son œuvre précédente, le réalisateur présente sa défense sous la forme d'une fresque de trois heures imbriquant, pour la première fois, quatre récits issus de quatre époques différentes, mais contant autant d'incarnations de l'amour contrarié par la grande et la petite histoire. L'ambition de Griffith était inédite pour l'époque (même si la partie babylonienne s'inspire de Cabiria) et elle demeure inégalée jusqu'à nos jours. De son ampleur visuelle délirante (profusion de figurants, plans conçus comme autant de tableaux, décors construits en vrai à des tailles pharaoniques, scènes de combat titanesques…) à ses prétentions morales (de Jésus Christ aux luttes des classes contemporaines), Intolérance hurle son statut de chef-d'œuvre à chaque instant.


Certains aspects pourront bien sûr paraître bien naïfs, voire très datés, aux yeux des spectateurs actuels, les séquences spectaculaires, d'une richesse inépuisable, font aussitôt oublier les réticences critiques. Intolérance surprend aussi par sa narration qui fait s'enchaîner les époques sur un rythme nerveux, en ménageant un suspens toujours très efficace. Certes, tout ceci pourra sembler un peu écrasant aux néophytes, peu habitués aux fastes du cinéma muet le plus épique, mais nous sommes très loin des clichés poussiéreux de la cinéphilie gâteuse. Transcendé par ses visions de démiurge, Griffith ne se donne aucune limite et accouche, 20 ans après l'invention du 7e art, du film auprès duquel tous les autres seront comparés.

Intolérance : 10/10

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