Critique : Entre le ciel et l'enfer

Jean-Noël Nicolau | 10 novembre 2006
Jean-Noël Nicolau | 10 novembre 2006

Entre le ciel et l'enfer est une tentative de « polar total » qui s'affirme comme le grand film somme de la veine cinéma de genre d'Akira Kurosawa. Après avoir enchaîné la Forteresse cachée, les Salaud dorment en paix, Yojimbo et sa suite Sanjuro, Kurosawa a redéfini les critères du cinéma de divertissement des années 60 en lui insufflant à la fois une profondeur inédite mais aussi des exigences plastiques uniques. De l'amplitude de la scènes d'ouverture des Salauds dorment en paix au geyser de sang de Sanjuro, l'originalité de ces films va durablement transformer la notion de « série B ». De Leone à Coppola en passant par Peckinpah, plus d'un cinéaste viendra s'engouffrer sur les chemins défrichés par le maître japonais.


Entre le ciel et l'enfer synthétise toutes les idées de Kurosawa au sein d'un thriller dont le thème principal lui tenait particulièrement à cœur (la recrudescence des kidnappings au Japon). Sur ce canevas classique, il tisse une critique sociale évidente mais d'une rare force où le patron (interprété par un Mifune d'une grande justesse) devra sacrifier ses privilèges pour regagner son humanité. La première heure du métrage, en huis-clos et rythmée par d'immenses plans séquences, est à elle seule une performance inoubliable qui en remontre au Hitchcock de la Corde. La progression de la tension et surtout les nuances psychologiques déployées par Mifune transforment les passages obligés (enlèvement, appels du ravisseur, arrivée de la police, rebondissements) en suspens minimal mais passionnant. Kurosawa ne relâche pas le spectateur en enchaînant sur un autre tour de force cinématographique avec la remise de la rançon depuis un train express, où la nervosité des acteurs donne un réalisme d'autant plus frappant à la séquence.


Le film prend alors une direction très différente en évinçant quasi totalement le personnage de Mifune et en se concentrant sur l'enquête menée par les policiers à la recherche du kidnappeur, drogué autodestructeur tout droit sorti d'un film de Fukasaku ou de Suzuki. Selon nos critères de spectateurs du 21e siècle, cette partie semblera souffrir d'une légère baisse de régime, en particulier lors de longs dialogues explicatifs un peu redondants. Heureusement, la dernière demi-heure du métrage emporte totalement l'adhésion en offrant une traque nerveuse dans un quartier chaud de Tokyo, ainsi qu'une scène de conclusion d'une intensité et d'une noirceur glaçantes.


Brillamment mis en scène, écrit et interprété, Entre le ciel et l'enfer est une excellente réflexion sur les enjeux d'un kidnapping, mais c'est avant tout un thriller policier réaliste et sophistiqué. D'un abord relativement aisé, le film se présente avant tout comme un divertissement palpitant, avant de révéler peu à peu sa profondeur. En ce sens, il fait partie, au même titre que les Sept samouraïs ou que Yojimbo, des œuvres de Kurosawa les plus recommandables pour les néophytes, qui pourront y admirer le génie du cinéaste pour insuffler des thèmes complexes et personnels au sein d'histoires évidentes et universelles.

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