Critique : Bullitt

Jean-Noël Nicolau | 10 juillet 2006
Jean-Noël Nicolau | 10 juillet 2006

Le tour de force critique serait de parvenir à évoquer le Bullit de Peter Yates sans parler de Steve McQueen et de la course-poursuite en voitures dans les rues de San Francisco. Dépouillé de ses deux emblèmes, que reste-t-il du film ? Dès les premières minutes du métrage, on trouve des réponses pour le moins satisfaisantes. Bullit incarne idéalement une époque, un tournant qui va projeter le cinéma hollywoodien clinquant alors en pleine agonie vers l'âpreté des années 70. Difficile de ne pas déceler dans le souci de réalisme, les cadrages audacieux et même quelques percées vers le filmage documentaire, les prémisses du French Connection de William Friedkin qui, à peine trois ans plus tard, allait d'autant plus révolutionner le cinéma américain (et imposer une virée en voitures d'un niveau encore supérieur). Cette mise en scène semble se fondre avec la nonchalance de Frank Bullit, lorsqu'elle le suit pour soudain laisser libre court à la nervosité dans les scènes d'action.


Si le scénario de Bullit est on ne peut plus classique, il reste un modèle de polar urbain paranoïaque, voire oppressant. En ce sens, il serait fort dommage d'occulter la longue séquence de l'hôpital, qui mêle suspens médical avec un jeu de cache-cache fort bien mené. Et bien sûr le final dans l'aéroport qui voit l'accomplissement de l'excellente confrontation entre McQueen et Robert Vaughn (qui campe un opposant d'une classe appréciable). Si la poursuite en voiture a définitivement vieilli, elle l'a fait plutôt bien, le spectaculaire s'est adouci (à part la surprenante explosion qui la conclut) au profit d'une belle mise en scène, tout en montages savants et en contre-champs judicieux. On notera que si la musique de Lalo Schifrin est tout aussi indissociable du film, elle sait toujours s'interrompre aux moments les plus opportuns (dans l'hôpital, pour la poursuite, dans les scènes les plus « prises sur le vif »…) et ce jusqu'à une fin en demi-teinte dont le pessimisme donne sens à tout le métrage.


À présent n'éludons pas plus longtemps une vérité incontournable, Bullit c'est avant tout le sommet de la carrière de Steve McQueen. Affirmation certainement sujette à d'interminables discussions, mais c'est ici que l'acteur trouve le plein accomplissement de son charme, alliant une désinvolture qui semble incarner idéalement la fin des années 60 fleuries et une dureté de « bad cop » qui annonce déjà les élans machistes et expéditifs d'un Inspecteur Harry. McQueen est très en retenu, voire un peu absent de certaines scènes, s'imposant juste par un charisme hors-normes qui lui permet d'être crédible avec un minimum de dialogue et un maximum de caricature (sa relation avec Jacqueline Bisset est juste inexistante). Son Bullit est un bloc de marbre, un archétype cinématographique qui offre au film une aura tout autant très datée que purement classique. Bullit demeure ainsi une référence du genre, dont le charme un peu brut, vaguement désillusionné, à l'image de son héros, ne cesse de captiver.

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