Critique : Dear Wendy

Ilan Ferry | 26 janvier 2006
Ilan Ferry | 26 janvier 2006

Après Dogville et avant Manderlay, Lars Von Trier continue son exploration du mythe américain avec Dear Wendy, dont il signe le scénario à défaut d'en assumer la réalisation, qu'il confie à Thomas Vinterberg réalisateur du déjà oppressant Festen et du poétiqueIt's All About Love. Il en résulte une œuvre hybride à la croisée des chemins, pétrie d'autant de qualités que de défauts.


« Chère Wendy, je t'écris pour te raconter notre histoire comme je l'ai vécue, tout se serait peut être déroulé autrement si je t'en avais parlé » ces quelques mots doux d'un amoureux éconduit ne sont pas destinés à une femme mais à un pistolet six coups affectueusement appelé Wendy par son propriétaire, Dick, un jeune homme ayant créé avec ses amis le club des Dandys , fer de lance d'un mouvement aussi naïf que potentiellement dangereux : Le pacifisme armé, où chaque membre entretient avec son arme fétiche une relation particulière. En analysant le rapport entre l'homme et les armes à feu, Thomas Vinterberg et Lars Von Trier s'attaquent à un sujet épineux bien que déjà porté au cinéma (Bowling For Columbine et le récent Lord of war en tête) remettant ainsi en perspective, et non en cause, un pan de la mythologie américaine. Au didactisme d'un Michael Moore, les deux auteurs préfèrent une approche plus humaniste en prenant comme protagonistes une bande de jeunes adolescents paumés dans une petite ville minière. Un parti pris audacieux puisqu'il associe deux notions à priori antagonistes : l'innocence de la jeunesse et la corruption des armes. Cependant comme le film tend à nous le démontrer par la suite, rien n'est aussi simple et Dear Wendy entretient l'ambigüité pendant près d'une heure quarante tout en réussisant à ne pas tomber dans le piège du manichéisme. Petit à petit, le réalisateur dépeint la relation de plus en plus fusionnelle qu'entretiennent les Dandys avec leurs armes et l'influence de celles-ci sur leur vie et leurs relations au monde extérieur. Si au départ, la vie du jeune Dick et de ses amis semble triste, force est de constater que la suite prend un ton plus enjoué suite à la découverte du fameux pistolet appelé Wendy. Les couleurs sont moins ternes, la lumière prend peu à peu place et la musique est omniprésente, les Dandys y trouvant au contact de leurs armes un substitut affectif leur permettant de s'épanouir, l'amalgamme entre armes et personnes réelles se faisant de plus en plus persistante dans l'esprit des jeunes protagonistes. Cependant derrière cette sécurité apparente, l'orage gronde en la personne de Sébastian nouveau membre des Dandys qui va faire voler en éclats l'unité du groupe. Dès lors, tout peut arriver même la transgression de la règle d'or des Dandys : « ne jamais utiliser son arme contre une autre personne ».


Vinterberg réussit à traduire un propos intéressant grâce à une réalisation inventive et à un montage des plus dynamiques. Cependant, évoquer un sujet aussi sensible que notre fascination pour les armes revient à marcher sur des œufs (en particulier quand il s'agit d'adolescents) et malheureusement le jeune réalisateur ne manque pas d'en casser quelques uns au passage. En effet, à la vue du film on peut se poser des questions quant au point de vue adopté. À force de jongler entre 1er et 2nd degré, l'ensemble se prend les pieds au détour de quelques scènes d'un jusqu'au boutisme déconcertant (les « mariages » entre les membres des Dandys et leurs armes respectives, le finale dont le nihilisme n'est pas sans rappeller les films de Peckinpah) si bien que le spectateur ne sait plus vraiment sur quel pied danser, et ce malgré une fausse morale aussi pessimiste que malheureusement lucide qui tend à démontrer que tout arme servira à un moment à un autre à tuer.


Au final, on se demande si Dear Wendy est une parabole sur la fascination procurée par les armes, la peinture d'une jeunesse en perte de repères ou les deux. Vendu à tort comme un western moderne, le film de Vinterberg est avant tout une analyse de la violence ordinaire, latente, et demeure aussi réussi par moments que maladroit à d'autres. À l'image des Dandys, Dear Wendy donne l'impression d'être victime de ses bonnes intentions. Tour à tour déconcertant et réjouissant , le film crée le malaise, voire la colère, mais ne laisse en aucun cas indifférent et demeure sujet à discussion sur bien des points.

Résumé

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