Le Jour où la Terre s'arrêta : Critique

Ilan Ferry | 12 janvier 2006
Ilan Ferry | 12 janvier 2006

Certains films restent gravés dans la mémoire longtemps après le générique de fin et prennent un malin plaisir à vous tarauder l'esprit, Le jour où la Terre s'arrêta est de ceux là, invitant par là même le spectateur à une véritable réflexion sur le sens des images qu'il vient de voir. 

Faux film de science fiction et véritable pamphlet antimilitariste, le film de Robert Wise distille son ambiance inquiétante dès la séquence d'ouverture qui voit l'arrivée de Klaatu, extraterrestre pacifique, à travers les yeux d'une population médusée en proie à un sentiment de rejet face à ce qu'elle ne connaît (comprend ?) pas. Dès lors l'angoisse ne vient plus tant de l'autre mais de notre réaction face l'inconnu et de ses conséquences. De l'accueil aussi musclé que grotesque réservé à Klaatu (autant de chars que lors d'une parade du 4 juillet) au tour de force final, Wise fait preuve d'une rare virulence pour exposer une thèse aussi terrifiante que vraie : l'homme est son pire ennemi, victime consentante de sa peur viscérale face à l'étranger.

 

Sorti en 1951 dans un climat politique tendu qui voit une Amérique, à peine remise des démons de la seconde guerre mondiale, partir en croisade contre un autre « ennemi », Le jour où la Terre s'arrêta fait preuve d'audace en montrant un extraterrestre pacifique venu délivrer un avertissement aux terriens sous la forme d'un terrible ultimatum. Un postulat de départ digne de La Quatrième dimension que vient renforcer un traitement volontairement réaliste de l'ensemble. Contrairement à ce que laissait présager son affiche original où on y voit l'impressionnant robot Gort, portant à bout de bras une jeune femme hurlant de terreur, détruire la ville tel un King Kong de métal, le film de Robert Wise s'éloigne des standards de la série B classique et relègue au strict nécessaire effets spéciaux et autres « facilités » du film d'invasion extraterrestre.

 


La métaphore étant un art à utiliser à bon escient, force est de constater que le film s'acquitte très honorablement de sa tâche, il n'est pas une scène ou un dialogue qui ne soit pas à double sens ou au préalable mûrement réfléchi. Le long-métrage tout entier sonne comme une sonnette d'alarme face aux dérives d'un monde qui a connu trop d'horreur, mis en images par un réalisateur écrasé par la culpabilité et assumant comme il peut l'héritage d'un pays à l'histoire difficile, qui ressort d'une horreur (la bombe atomique) pour mieux sombrer dans une autre (le maccarthysme). Klaatu apparaît ici comme une figure hautement christique : qu'il s'agisse de sa provenance, de son nom d'emprunt Carpenter, (qui signifie en anglais charpentier), ou encore de sa résurrection dans son vaisseau spatial, tout concourt à lui donner une aura quasi divine. Le film joue constamment sur le symbolisme comme en témoigne cette scène de visite à Washington où Klaatu fait face aux fantômes d'une Amérique idéale représentée par la fameuse statue de Lincoln, une séquence symboliquement très forte préfigurant toute la thématique d'un film qui se fonde sur les notions d'égalité et de liberté entre les hommes comme autant de préceptes inculqués par Lincoln lui-même et n'est pas sans rappeler l'arrivée de James Stewart à Washington dans Monsieur Smith au Sénat. De même, le professeur Barnahrdt, éminient scientifique et allié de Klaatu est ici le double plus ou moins avoué d'Einstein.

 

Au delà de ses qualités intrinsèques tant au niveau de la réalisation que du scénario et malgré un message qui peut aujourd'hui paraître naïf (à tort), Le jour où la Terre s'arrêta, parce qu'il se rapproche plus du film d'anticipation que de science fiction, arrive à être véritablement terrifiant jusque dans son final où il est autant question de rédemption que de faire face à ses responsabilités. À l'instar de La Guerre des Mondes, le film pervertit les figures imposées du cinéma d'exploitation pour se transformer en parabole politique, miroir malheureusement peu déformant d'une société en proie à ses propres peurs, et reste hélas aujourd'hui plus que jamais d'actualité.

Résumé

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