Palindromes : Critique

Johan Beyney | 21 février 2005
Johan Beyney | 21 février 2005

Depuis son premier film (Bienvenue dans l'âge ingrat, 1995), Todd Solondz s'échine à filmer avec une certaine cruauté les travers de la société américaine, et notamment cette hypocrisie qui permet à tout un chacun de dissimuler ses désirs les plus inavouables. Si ce n'est que chez Solondz, les personnages ne font pas que fantasmer l'interdit : ils passent à l'acte. En se cachant plus ou moins, et malgré la mauvaise conscience, ils osent braver les tabous. La force du discours tient alors surtout au fait que ces individus ne sont pas fondamentalement méchants, psychotiques ou déséquilibrés, ce qui pourrait permettre d'expliquer leur comportement. Ce sont au contraire des gens normaux, avec les mêmes désirs cachés que tous les autres gens normaux. Ce motif, le réalisateur a continué à l'exploiter dans Happiness (1998), puis dans Storytelling (2001). Il le creuse aujourd'hui jusqu'à l'écœurement avec Palindromes.

 

 

Car si dernier n'est pas un mauvais film, il s'agit bel et bien d'un film mauvais. Méchant et désespéré.


C'est surtout la sacro-sainte valeur de la famille qui en fait les frais. Vouloir prodiguer de l'amour à ses enfants ne semble pas être un désir très prisé du réalisateur, et il le prouve en détruisant la famille américaine avec une férocité gênante. Le désir d'Aviva de fonder une famille pourrait être attendrissant ; vouloir le concrétiser à douze ans est juste malsain. Cette croisade obstinée vers la maternité sera alors l'occasion de dévoiler tout ce que cache forcément de faux et de sordide le bonheur familial. L'amour de la mère d'Aviva, proclamé avec l'intensité d'un cliché hollywoodien, va se révéler surjoué. La famille d'extrémistes évangéliques qui la recueille au cours de sa fugue (une Cour des Miracles version Disneyland, dégoulinant d'amour christique, où des enfants diversement handicapés chantent leur amour de Dieu sur fond de pop music) dissimule elle aussi le pire. Et, surtout, cette volonté farouche de la fillette d'avoir des enfants la pousse à encourager – « pour le bien de son projet » - des comportements fort peu recommandables de la part de personnes adultes. Mais peu importe car ils l'aideront à atteindre son but. Peu importe ? L'idée s'avère compliquée à cautionner.

 

 

On l'aura compris, rien ni personne ne sort indemne de ce scénario. Sans aucune compassion pour ses personnages, le réalisateur semble nous dire que le monde n'est rempli que de gens dégueulasses qui consacrent leur existence à faire semblant qu'ils ne le sont pas. Triste message.

La grande originalité du film réside surtout dans le fait d'avoir confié le rôle d'Aviva à huit acteurs d'âge, de sexe, d'ethnie et de corpulence très différents. [img_left]palindrome_priere.jpg [/img_left]Un pari risqué fondé sur l'idée qu'un personnage de cinéma existe indépendamment des acteurs qui l'incarnent : Aviva reste Aviva, qu'elle soit jouée par une petite fille de six ans ou par Jennifer Jason Leigh. Mais en ne permettant pas au spectateur de s'identifier à son personnage principal, Todd Solondz saborde lui-même cette initiative qui ressemble alors (pendant une grande partie du film en tout cas) davantage à un simple exercice intellectuel qu'à un parti-pris servant véritablement le scénario.

 

Résumé

Un palindrome est un mot qui finit comme il commence : tout est écrit d'avance, l'espoir d'un changement est totalement proscrit. Un constat amer, cruel et définitif. Et pris dans cette logique implacable, le spectateur lui-même se transforme en palindrome : entré dans la salle sans savoir ce qu'il va voir, il en ressort sans vraiment savoir ce qu'il a vu.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire