Critique : 5x2

Fabien Braule | 31 août 2004
Fabien Braule | 31 août 2004

C'est devenu une tradition dans le paysage cinématographique français, le nouveau film de François Ozon sort sur les écrans avec la précision d'un métronome, au rythme étonnant d'un film par an. Comme il en a prit l'habitude depuis 1997, année de son moyen métrage Regarde la mer, le cinéaste se libère de toute approche complaisante et puise sa force dans une capacité singulière de renouvellement. S'il délaisse l'ambiance érotico-surréaliste de Swimming Pool, c'est au profit d'une œuvre réaliste et bouleversante sur le couple et ses aléas.

Je t'aime moi non plus

Ancré dans un quotidien austère et nihiliste, Ozon renoue avec ses œuvres de jeunesse, d'Une robe d'été à Gouttes d'eau sur pierres brûlantes, en passant par Sous le sable. La maturité en plus, 5x2 traduit l'aboutissement formel et narratif d'une thématique obsédante. Autour de cinq segments (le divorce, le dîner entre amis, la naissance de l'enfant, le mariage et la rencontre), le réalisateur impose un style particulièrement âpre et dépouillé, quasi documentaire, et met au grand jour les joies et les peines d'un couple archétype. Si le premier réflexe est de poser comme point de comparaison à sa structure narrative celle d'Irréversible (éclatée et uniquement en flash-back), il apparaît très vite que le modèle du cinéaste n'est pas tant Gaspard Noé que Jane Campion. Trois ans après Sous le sable, Ozon délaisse les corps et les mains (objets sexuels à part entière) empruntés à Portrait de femme, pour faire concorder à son univers frigide et glacial celui de Two friends, téléfilm de la cinéaste basé sur une relation d'amitié narrée à l'envers. Ainsi, le cinéaste ne rattache à son récit aucun élément extérieur venant briser le quotidien du couple – à l'inverse d'Irréversible – et fait le choix de partir du divorce, point de rupture irrévocable, pour revenir au bonheur originel et lumineux de la rencontre.

Toute l'intelligence et la virtuosité du cinéma de François Ozon résident dans l'opposition nuancée de ses personnages, et dans l'aboutissement de leurs incompréhensions mutuelles. Au positivisme et à la sensibilité féminine de Marion, il répond par l'hermétisme et le défaitisme de Gilles. Quelle que soit l'importance du segment développé, jamais le personnage masculin n'assume pleinement son rôle au sein du couple. Des ténèbres à la lumière, Ozon marque par son style un univers perturbant et étouffant. Dès lors, 5x2 se mue en une relecture pertinente et personnelle du couple à l'esthétique bergmanienne lors du premier acte, pour chavirer inéluctablement dès le second dans une approche ontologique kubrickienne, modelant à sa manière une réflexion autour d'Eyes Wide Shut. L'orgie opulente et baroque de ce dernier devient ici une « anecdote» sordide vécue lors d'une soirée bien arrosée, visant à rendre compte d'une partie de leur passé. L'infidélité apparaît alors comme douloureuse et blessante, comme un souvenir gangrenant la stabilité du couple, et Ozon de nous éclairer sur la personnalité ambiguë de Gilles, et sur sa sexualité bestiale et épurée de tout sentiment amoureux.

[img_right]5x2_01.jpg [/img_right]Fort heureusement, lors d'infimes moments, un hypothétique bonheur transparaît. L'enfant du couple devient lumière. Il libère avec émotion un halo d'innocence, laissant s'échapper une réalité pesante et dépressive. En renforçant l'imagerie fœtale, Ozon, à l'aide de son chef opérateur Yorick Le Saulx, donne à l'accouchement une puissance métaphysique. L'univers aseptisé de 2001 se fond dans des éclairages au bleu luminescent caractéristiques d'Eyes Wide Shut. Le bonheur devient aussi onirique qu'il est éphémère, et trouve rapidement son point d'orgue lors du segment associé au mariage. Portée par une grâce évidente, Valeria Bruni-Tedeschi véhicule toute la beauté et la dignité des personnages féminins du cinéaste. Le temps d'une ronde endiablée, l'espoir reprend le dessus sur l'histoire.

Avec un sens du prolongement aussi époustouflant que maîtrisé, François Ozon confirme son obsession pour la mer, femme fatale issue de la nature. Dans une esthétique qualifiée par le cinéaste d'imagerie façon « Nous deux », il oppose à sa conclusion celle de Sous le sable. Le temps suspendu, les souvenirs sont ressassés au rythme des vagues tandis que le courant emporte, avec sournoiserie, tout espoir de voir renaître de beaux lendemains à la lumière du jour. En signant son plus beau film, le cinéaste nous rappelle, à la manière de ses huit femmes, qu'il ne peut y avoir d'amour heureux.

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