Le Royaume des Abysses : critique larmes de fond

Déborah Lechner | 25 février 2024 - MAJ : 01/03/2024 09:30
Déborah Lechner | 25 février 2024 - MAJ : 01/03/2024 09:30

Le cinéma d'animation chinois continue de s'exporter en France, cette fois sur grand écran avec Le Royaume des Abysses, sorti en salles le 21 février 2024. Ce film d'animation en image de synthèses écrit et réalisé par Tian Xiao Peng est prouesse technique doublée d'un raz-de-marée d'émotions qui mérite mille superlatifs.

ATTENTION : SPOILERS !

Shenxiu au pays des merveilles

Shenxiu est du genre à s'excuser de respirer, constamment désolée d'exister. Cette protagoniste a une voix fluette que personne n'écoute, un regard implorant que tout le monde ignore et une présence lointaine, tel un fantôme transparent, incapable d'interagir avec ceux qui l'entourent. Elle est la spectatrice impuissante de sa propre vie, et c'est encore plus triste quand on sait qu'elle n'a que 10 ans

Son quotidien terne, miné par la solitude et la culpabilité, est cependant chamboulé le jour où, après une chute dans l'eau, elle découvre le Restaurant des Abysses, son chef-capitaine fantasque et son truculent personnel anthropomorphe (dont d'adorables loutres gloutonnes). À partir de là, le reste du film semble cousu de fil blanc, le but évident pour Shenxiu étant de réussir à se lier aux autres pour symboliquement remonter à la surface avec plus d'assurance et de joie de vivre. 

 

Le Royaume des Abysses : photoUn jeune personnage qui vit en apnée

 

Si on ajoute à ça le mentor bougon, mais bien intentionné, le restaurant à l'architecture surréaliste et le mystérieux Fantôme Rouge "qui aime traquer les petites filles tristes", on se retrouve à nager dans un océan de références culturelles en tout genre, entre 20 000 lieues sous les mersLittle Nemo in SlumberlandAlice au pays des merveilles et le cinéma d'Hayao Miyazaki (en particulier Le Voyage de Chihiro).

Mais le conte fantastique de Tian Xiaopeng n'est pas qu'un simple décalque ou patchwork d'influences diverses. Petit à petit, les noeuds se forment et se démêlent, et ce récit a priori banal dont on pensait connaître d'avance les tenants et aboutissants se révèle être, au contraire, une histoire plus subtile et qui a peu été racontée jusqu'ici

 

Le Royaume des abysses : photoNe vous laissez pas berner par les loutres

 

L'ODYSSée d'eau de mer

Dans Le Royaume des Abysses, chaque plan est d'une beauté à couper le souffle. Contrairement aux images de synthèses photoréalistes des personnages et des textures, la faune et la flore sous-marines sont plus abstraites, moins tangibles. Le réalisateur a voulu coller à l'esprit des estampes chinoises traditionnelles, cherchant à donner à ses visuels un effet de "peinture aux particules d'encre" comme il l'a lui-même décrit. Ainsi, combinée aux jeux de lumière et aux palettes de couleurs chatoyantes, chaque vue d'ensemble prend des airs d'immense toile impressionniste.

Ces fonds marins irréels servent d'échappatoire à Shenxiu, étant donné qu'ils lui offrent tout ce qui manque à sa vie : de la couleur, de la lumière et un objectif à atteindre. Et tant qu'à parler de l'esthétique saisissante de l'oeuvre, il faut également souligner le travail titanesque de la 3D, qui n'a rien d'optionnelle puisqu'elle se met entièrement au service de l'histoire. D'abord pour s'immerger dans les profondeurs, puis pour accentuer le contraste par rapport à l'enlisement de la fillette, à sa vie sclérosée et son tempérament inanimé, à l'image de cette folle traversée de l'océan séparé en deux où elle est trimballée dans tous les sens par le Capitaine. 

 

Le Royaume des Abysses : photoLes paillettes dans les yeux, ça fait pleurer
 

Mais au fur et à mesure, cette énergie galvanisante, presque euphorique, devient une frénésie de plus en plus dure à suivre, comme si l'oasis laissait place au mirage. À l'instar de l'humour forcé du Capitaine, de son comportement insondable, souvent incohérent, tout devient "trop" : trop coloré, trop dynamique, trop simple, trop beau pour être vrai.

Si bien que ce qu'on pensait être une aventure d'émancipation et de reconstruction se change en une fuite en avant désespérée et éreintante. C'est là que l'histoire s'éloigne du chemin tracé, puisqu'il n'est finalement pas question pour Shenxiu de naïvement retrouver goût à la vie, mais la vie tout court. 

 

Le Royaume des Abysses : photoCouler entre deux eaux

 

MISE EN ABYSSE

Si Le Voyage de Chihiro, Alice au pays des merveilles ou Little Nemo in Slumberland ne cherchent jamais à prouver (ou non) l'existence de leur monde onirique et spirituel, ni à expliciter leur métaphore, l'un des enjeux majeurs du Royaume des Abysses est justement de lever le voile sur la nature de ces fameux abysses, et leur réelle signification. Ainsi, le film invite à reprendre pied avec la réalité, à ne pas se perdre dans la fiction (qui donne vie à son déni et sert d'enclume), mais surtout à accepter l'idée qu'on puisse être en train de couler. 

 

Le Royaume des Abysses : photoLe clown triste, le vrai héros de l'histoire  

 

Cette bascule et ce brusque retour à la réalité permettent d'aborder le sujet souvent minimisé qu'est la dépression infantile et les tendances suicidaires, qui plus est dans une société qui n'a pas vraiment levé les tabous sur la santé mentale. Ainsi, la souffrance profonde de Shenxiu a été niée, mise sur le compte d'une simple tristesse passagère. Tout l'enjeu pour elle est d'accepter sa détresse, de ne plus étouffer son désespoir pour, éventuellement, commencer à guérir.

C'est pourquoi le final est un gigantesque un tire-larmes assumé, qui invite à ressentir sans retenue, mais sans forcément servir d'injonction bête et méchante avec une résolution miraculeuse de tous ses problèmes. Alors à tous les cinéphiles un peu mélancoliques qui ont la larme facile, vous voilà avertis. 

 

Deep Sea : Affiche officielle

Résumé

Que ce soit pour sa narration houleuse ou sa technique subjuguante, Le Royaume des Abysses est une déferlante qui pourrait ne pas faire l'unanimité, mais ne laissera certainement personne indifférent. 

Autre avis Antoine Desrues
On pourrait n'avoir d'yeux que pour la technique flamboyante du film et ses élans joyeusement psychédéliques (ce qui est déjà génial). Mais c'est bien la poésie et la noirceur de ses thèmes qui l'emportent sur notre petit cœur. C'est simple : on n'était pas prêt !
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Lecteurs

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commentaires
Le Trader
10/03/2024 à 22:46

C'est un très bon film d'animation, d'une profondeur très peu abordée. La fin est juste incroyable quand on se rend compte ce que représente ce voyage, et qui est le véritable héros. C'est un film très triste au final mais très bien.

Vos bambins qui en font des cauchemars ou qui ne comprennent rien sont juste trop bêtes. Expliquez-leur c'est votre rôle, si vous voulez des contenus de leur niveau allez regarder la Pat-Patrouille.

J'hallucine, à croire que l'animation c'est que pour les moins de 10 ans

Chia
01/03/2024 à 22:41

Film pas adaptés aux enfants.
Il faudra juste spécifier qu'il s'agit d'un film pas conseillé pour les moins de 12 ans.
Je étais invité par une amie et je suis allée avec mon enfant de 5 ans qui après 15 min a demandé à partir car le film lui faisait trop peur.

O_o
29/02/2024 à 12:11

Mais ecranlarge arrêtez d'aimer les films, on se croirait sur AlloCiné, c'est plus marrant quand vous les démontez.

Cass
29/02/2024 à 08:12

Mes 6 enfants d âgés différents l ont vu et....cela laisse perplexe ceux de 7 ans ont fait des cauchemars cette nuit et cela pourrait être très beau mais tellement enmeler impossible à comprendre .vraiment dommage ce n est pas du tout un film que je recommanderai

Flo 1
28/02/2024 à 13:20

"Le Royaume des abysses"...

L'abysse et le Désordonné.
Réalisé par Tian Xiaopeng, un film d'animation chinois, en images de synthèse, qui s'affirme comme un énorme projet censé rivaliser avec les plus grands films d'animation jamais fait...
Ou au moins les émuler, y compris de façon commerciale - par exemple on a des loutres de mer sous-fifres qui pullulent, rigolotes, gaffeuses, et qui sont utilisées au générique pour représenter une boîte de prod... Oui, comme Totoro, et bien sûr les Minions.
L'histoire de ce film colossal (7 ans de production on nous dit) est un classique récit magique, ultra bariolé et métaphorique à la Alice au pays des merveilles, des indices étant présents en ce sens dès le début.

Un peu de Chihiro pour la jeune Shenxiu séparée de ses parents (lors d'une croisière), accompagnée d'une créature sombre et informe, au moins au début... Mais avec bien moins de plages de calmes, contemplatives, comme s'il y avait une rage chez le réalisateur qui va transformer ce voyage en un roller coaster hystérique, ne faisant que de rares pauses...
Épuisant, surtout si on n'a que des exemples occidentaux en tête, parce-que là on serait plus proche d'une folie à la Tsui Hark façon "Festin Chinois" : très vite on se retrouve embarqué avec une bande de restaurateurs-pirates animaliers menés par Nan He, un showman humain, fumeur alcoolo bien frappadingue, archétype s'inscrivant dans une tradition allant du Chapelier Fou à Jack Sparrow en passant par Willy Wonka (oui, du total Johnny Depp). À des personnages de mangas aussi (on pense forcément à One Piece) et même le Joker... bref le genre de filou pouvant être aussi amical que chaotique et inquiétant.
Un peu de "l'Odyssée de Pi" et "Coco" aussi, avec l'idée d'une épopée où la survie, la résilience mais aussi le deuil sont les objectifs principaux...

On a de fortes chances de perdre une bonne partie des (plus jeunes) spectateurs devant ce scénario parlant du mal-être et du manque maternel, pas très attractif - les superbes scènes photoréalistes dans le "vrai" monde. Prenant un sens particulier selon un point de vue asiatique... ainsi, impossible de le confondre avec "Vive-Versa"...
Et où chaque scène s'envole, surchargée de détails et d'informations, que ce soit dans les coursives de cuisines chauffées à blanc, entre les tables de restaurant débordantes de bouffes et de bouffeurs, et sur des océans déchaînés qui ressemblent à des arabesques multicolores sorties d'un Van Gogh sous acide.
Sur un grand écran, c'est une expérience assez incroyable, psychédélique, littéralement chargé en particules...
C'est donc un trip émotionnel, dans lequel il faut s'immerger et ressentir plus que réfléchir - si on se dit "aaah je comprends, c'est pour ça qu'on a vu ça !?", on peut y perdre un peu d'intérêt.

Et après un dernier acte à rallonge, changeant de style et plus sombre, le film décélère et nous ramène peu à peu les pieds sur terre, agrémenté d'une suite de jolis épilogues...
Tout en laissant quelques impressions intenses, qui s'évanouiront peut-être ensuite.
Ou pas du tout. Quel chance !

machine gum
27/02/2024 à 17:06

Un film d'animation complexe...
Mince c'est pas un Disney. Oh la la, il va falloir réfléchir un peu, bref ne pas juste consommer. Trop dur !

Vincent06
26/02/2024 à 22:17

Encore une fois, sûrement un très bon film du genre, ce n’est pas le problème. Il en faut pour tout le monde, mais à mon sens ici le problème est que, tant la bande annonce que l'affiche, laissent définitivement à penser aux grand parents qu’ils peuvent y amener leur petits enfants et qu’ils vont simplement y passer un joli moment et leur faire plaisir. Loupé…et dommage!

Cidjay
26/02/2024 à 17:45

En fait, de l'avis de beaucoup, je pense que ces 2 citations résument très bien les avis :
"Le diable se cache dans les détails", et "le mieux est l'ennemi du bien."

ChaosEngine
26/02/2024 à 14:44

Ce film m'a laissé un étrange goût non pas d'inachevé mais de "sur-achevé".
Beaucoup d'éléments sont en trop : des scènes qui fourmillent de détails, de mouvements, de sons... le tout en surabondance et du début à la fin, trop souvent sans aucune respiration... Du coup ça en devient indigeste et on se lasse très vite.
On espère toujours que la scène suivante sera plus mesurée, mais non, c'est parti pour la même bouillie survitaminée de pixels et polygones.
Alors pris individuellement tout est à peu près beau et techniquement propre, mais tout ensemble ça devient rapidement usant. D'autant plus que les 2 personnages principaux et presque exclusifs du film sont au mieux agaçants, au pire horripilants, selon les passages.
Et bien sûr par conséquent le film est au minimum 30-40 mn trop long, puisqu'il y a tellement de scènes superflues ou à la durée surallongée...

Apparemment le réalisateur a mis 7 ans à préparer ce film... s'il avait été bien conseillé ou s'il avait eu un peu plus de lucidité, il aurait pu économiser quelques années à en "mettre moins" et en plus son film aurait gagné énormément en lisibilité et digestibilité !

Bref au final, même si tout n'est pas à jeter, ça restera une mauvaise expérience pour moi. Il me restera quand même en mémoire quelques scènes visuellement magiques (notamment un style onirico-impressionniste de toute beauté, différent du style 3D propret du reste du film, mais malheureusement seulement utilisé sur de rares scènes) mais je ne suis pas sûr de retenir très longtemps le nom et le reste du film à part cette sensation désagréable de "too much" ... Dommage.

Cidjay
26/02/2024 à 09:21

Un bon film d'animation pour les adultes qui aiment l'animation mais un peu trop exigeant pour les petits cerveaux des bambins. Bref si je dois montrer un anime a ma fille, je lui montrerait déjà Totoro. Et on a bien assez de trucs a regarder avant d'arriver aux animes frénétiques a la spiderman- spiderverse. On verra ça quand elle sera plus grande.

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