The New Look : critique d'un des rares échecs d'Apple TV+

Adrien Roche | 25 février 2024 - MAJ : 28/02/2024 18:30
Adrien Roche | 25 février 2024 - MAJ : 28/02/2024 18:30

Dans The New Look, Ben Mendelsohn incarne Christian Dior, étoile montante de la mode pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que la collaboration de Coco Chanel (Juliette Binoche) entraîne sa chute. La série de Todd A. Kessler (scénariste et producteur des saisons 2 et 3 des Sopranos, co-créateur de Damages) a permis à Apple de s'attaquer à une histoire inspirée de faits réels, à travers la caméra de plusieurs noms reconnus – dont Julia Ducournau, cocorico. Mais malgré cet alignement de facteurs prometteurs, The New Look se contente de frôler son sujet et parvient rarement à impliquer son spectateur.

Attention, légers spoilers !

Promesses, promesses

"Créer pour survivre", nous vend le slogan de la série The New Look. "Voici comment la haute couture a redonné au monde son souffle vital", complète la dernière des quelques phrases d'introduction au début de la série. Le plan suivant nous montre Coco Chanel, recolorée par un filtre qui rendrait jaloux un paquet d'Instagrammeurs... mais qui fonctionne. Le personnage incarné par Juliette Binoche est insupportable dès les premières secondes, alors qu'elle est persuadée que Dior, premier grand couturier à s'exprimer à La Sorbonne, ne mérite pas ses éloges.

Suit alors un défilé joliment mis en scène par Todd A. Kessler (qui dirige les deux premiers épisodes), toujours avec un filtre granuleux voué à mettre en avant l'élégance des robes du plus célèbre créateur de mode du monde. Et ces petites minutes de voyage onirique au milieu de créations envoûtantes fonctionnent à merveille. Sauf qu'il suffit d'un retour en arrière de quelques années pour balayer toutes les promesses de la série. 

 

The New Look : photoUn défilé de courte durée

 

Ce retour en 1943, en pleine période d'Occupation, signe le début d'un long dédale dont le spectateur ne s'échappera qu'au dixième épisode. Le casting de haute volée ne permet pas de sauver toutes les maladresses de l'écriture. Chaque acteur est confiné dans son rôle, à de rares exceptions près. Combien de fois voit-on Ben Mendelsohn pleurer ? Toute trace de subtilité a disparu : même Binoche devient trop irritante au fil des épisodes malgré tout son talent.

On a l'impression que The New Look ne sait pas comment nous montrer l'état d'esprit de ses personnages autrement qu'en nous rabâchant le même type de scènes à longueur de temps. Et le clou du spectacle vient d'une incohérence qu'on ne relève pas toujours, mais qui est particulièrement pénible dans la série : l'accent français pris par des acteurs anglophones, ou pire encore, par des acteurs français qui parlent anglais avec un accent franchouillard. Cet entre-deux sort régulièrement le spectateur de la série, clairement dédiée à un public américain.

The New Look : photo, Ben Mendelsohn, David KammenosSpoiler : vous verrez cette scène environ 15 fois (mais pas toujours dans les bras de la même personne)

 

Chercher la lumière

Tout au long de la série, Christian Dior cherche sa sœur, Coco Chanel sa rédemption, The New Look son récit. En plus de souffrir d'un rythme bien trop lent, la série nous perd au milieu d'une ribambelle de personnages, tous présentés maladroitement. On ne comprend même pas les relations entre eux : alors que Christian passe dix épisodes à pleurer Catherine, The New Look ne parvient jamais à nous montrer leur rapport intime autrement que par des flashbacks balourds et trop fréquents.

Quant à Elsa et Coco, meilleures amies au monde, il faut attendre le neuvième épisode pour comprendre les origines de leur relation sororale. Chaque personnage donne l'impression d'être survolé, ce qui est tristement paradoxal pour une série qui n'en a pas énormément. Même Dior est traité en surface : comment baser un récit solide sur un personnage maladroitement écrit ? Todd A. Kessler n'avait visiblement pas la réponse à cette épineuse question.

 

The New Look : photo, Juliette Binoche, Emily MortimerUne relation prometteuse... mais survolée

 

The New Look peut tout de même compter sur certains tours de force assez remarquables pour éviter la débâcle totale. On pense notamment à un moment crucial dans la vie de Dior, qui espère revoir sa sœur à la sortie d'un train revenu de camp de concentration. Difficile de rester insensible devant cette scène glaciale, qui montre toute la terreur dans le regard de ceux qui ont survécu à l'horreur des nazis. Et c'est devant ce type de scènes qu'on est le plus frustrés : la série est capable de tels éclats, mais ceux-ci ne durent jamais bien longtemps.

Car là aussi, The New Look a un problème : au lieu de nous montrer plusieurs facettes de l'horreur, la série ne change presque jamais de procédé lorsque Catherine Dior est à l'écran : flashbacks floutés, hallucinations visuelles et auditives... Heureusement, Maisie Williams livre une splendide performance dans la peau de cette femme traumatisée par les camps, et sauve de justesse un rôle trop générique pour être marquant (alors qu'elle a beaucoup d'arguments pour être un personnage puissant).

The New Look : photo, Maisie WilliamsGéniale Maisie Williams

 

Réécrire l’histoire

The New Look a des airs de cours d'histoire pour Américains. La série nous en apprend beaucoup sur le déroulé de la guerre et sur les conséquences de la barbarie, mais n'apporte quasiment rien de plus. Christian Dior est davantage une figure historique qu'un personnage auquel on peut s'attacher, et l'hystérie paranoïaque de Coco Chanel n'en fait pas une grande protagoniste (bien au contraire).

À plusieurs reprises (et notamment dans une interview accordée à Collider), Todd A. Kessler a affirmé qu'il avait trouvé, dans ses recherches sur Coco Chanel, de quoi faire une histoire passionnante. Selon lui, Chanel est "le personnage le plus intrigant, complexe et fascinant" qu'il a pu étudier. C'est très probablement vrai, mais il ne fait qu'effleurer l'immense potentiel d'une figure controversée de l'histoire moderne de France.

 

The New Look : photo, John MalkovichMalkovich convaincant

 

"Voici comment la haute couture a redonné au monde son souffle vital", nous vendait le premier épisode de la série. Un peu moins de dix heures plus tard, la réponse à cette question n'a pas été apportée. On ne sait ni comment ni pourquoi la haute couture a représenté un nouvel espoir pour la France. Le climax et la montée en puissance de Dior en quelques minutes jusqu'à l'exposition finale ne suffisent pas à gommer toutes les maladresses et précisions présentes jusqu'ici.

Les scènes de création sont trop rares et trop courtes pour être marquantes, celles d'introspection trop peu inspirées pour rester. Entre cours d'histoire et drame larmoyant, The New Look sait rarement quelle robe tisser. Finalement, la série de Todd A. Kessler n'est jamais aussi agréable que pendant les génériques de fin d'épisodes, accompagnés d'une bande originale exceptionnelle. À défaut d'être à la hauteur de ses acteurs ou de ses personnages à l'immense potentiel, on peut remercier The New Look pour la nouvelle chanson de Lana del Rey. 

Les trois premiers épisodes de The New Look sont disponibles sur Apple TV+ depuis le 14 février. Un nouvel épisode sort chaque mercredi.

 

The New Look : Affiche officielle

Résumé

Malgré un premier et un dernier épisode plutôt convaincants et son casting XXL, The New Look n’égale jamais l’élégance des robes de son protagoniste, se perdant régulièrement parmi les fils utilisés pour tisser son intrigue fade et maladroite.

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Lecteurs

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commentaires
STban
26/02/2024 à 14:20

J'ai regardé les 2 premiers épisodes, et je ne suis pas sûr de vouloir regarder les autres… Tout me semble un peu cheap, ce qui est un comble pour de parler de haute couture.
Mais c'est surtout très mal écrit et pitoyablement scénarisé, avec en plus de très gros problèmes de reconstitution historique !
Par exemple dans la série, les parisiens font la queue pour se ravitailler "au cul" du camion au lieu de faire la queue devant les magasins. Ça a l'air d'un détail mais ça dénote un manque total de connaissances de la période. Et que dire de cette rumeur qui prétend, en 1943, que les Allemands envisagent quitter Paris en embarquant leurs prisonniers ! Ah bon !? WTF ?! Pour une série historique ça la fout carrément mal ! C'est le genre de chose qui me fait immédiatement sortir de l'intrigue…
Et en plus, qu'est que c'est poussif !
Dommage pour les acteurs qui font ce qu'ils peuvent pour rester crédibles dans ce truc mal foutu (même si Ben Mendelson ressemble à Christian Dior comme moi je ressemble à une ballerine)

Tearsin Rayne
25/02/2024 à 20:08

« l'accent français pris par des acteurs anglophones, ou pire encore, par des acteurs français qui parlent anglais avec un accent franchouillard. »

J’ai tenu 10 minutes et j’ai lâché l’affaire. Pourtant, l’usage de la langue anglaise au lieu du français ne m’avait pas dérangé avec « le dernier duel ». Mais là, je trouve ça insupportable.

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