Elaha : critique like a virgin

Déborah Lechner | 11 février 2024
Déborah Lechner | 11 février 2024

Dans son premier long-métrage, Elaha, la réalisatrice allemande Milena Aboyan s'intéresse à la reconstruction d'hymen et aux certificats de virginité, un sujet ô combien délicat, traité avec une justesse exemplaire et salutaire. 

 

COMME LA TOUTE PREMIère fois

"Les dommages faits au troupeau sont une honte pour le berger." Dans cette métaphore récitée par le père de la protagoniste, c'est la femme qui sert de troupeau, et l'homme de berger. Dans le contexte du film, les "dommages" sont quant à eux d'ordre sexuel, collant ainsi à une vision bien rétrograde et punitive de la sexualité, en particulier celle des femmes, dont le désir est sévèrement réprimé et la virginité portée aux nues

C'est tout le problème auquel est confronté Elaha, une jeune Allemande d'origine kurde qui prévoit de se marier avec Nasim, qui ignore (tout comme sa famille) qu'elle a déjà couché avec un autre homme. Elle commence donc à se renseigner sur les opérations de reconstruction d'hymen, aussi appelées hyménoplasties, qui pérennisent et commercialisent un mythe sexiste insensé, mais permettent aussi à des femmes acculées de trouver une échappatoire inespérée. C'est ce double constat contradictoire que le film veut creuser, sans avoir la prétention de détenir une solution ou vérité unique face à une réalité aussi complexe.

 

Elaha : photo, Bayan LaylaLa photo terne et morose de Christopher Behrmann

 

Le scénario a la délicatesse de ne pas s'imposer comme une nouvelle injonction, celle de l'affranchissement à n'importe quel prix, ne souhaitant ni à arracher Elaha à ses racines et à sa culture ni la culpabiliser de s'obstiner à vouloir retrouver sa virginité pour "sauver" l'honneur des siens. Ainsi, contrairement à la révolte intérieure de son amie Shilan, qui aimerait vivre comme une femme moderne et jouir de son corps comme bon lui semble, Elaha est prise en étau, déchirée entre sa volonté de respecter les traditions culturelles de ses pairs, et celle de s'émanciper pour vivre plus librement. 

Ce déchirement interne est d'ailleurs parfaitement illustré au début du film. On la voit en tenue traditionnelle s'amuser et danser dans un mariage kurde sous le regard intransigeant de sa mère, puis traverser un couloir exigu pour fumer dans les toilettes avec ses amies. Tout le but sera donc pour Elaha de trouver un équilibre, ou plutôt SON équilibre, indépendamment des sommations des uns et des autres. 

 

Elaha : photo, Bayan LaylaPerdue entre deux mondes

  

LA PUTE ET LA MADONNE

Le récit prend toutefois le temps de souligner les contradictions et l'hypocrisie inhérentes à la sacro-sainte virginité, en pointant du doigt la misogynie des hommes, et celle intériorisée par les femmes elles-mêmes. Elaha illustre et explicite les deux extrêmes qui définissent les femmes, le fameux complexe de "la Madone et la Putain". C'est par exemple le cas quand la protagoniste tente de se confier à son fiancé, qui arrive crûment à la conclusion que si elle n'est pas fidèle, décente et honnête, c'est qu'elle est une pute (sic). 

Un narratif bien ancré que veut dénoncer la réalisatrice, notamment en mettant en lumière la misogynie du quotidien, sa violence latente et ce qu'on qualifie désormais de micro-agressions. De fait, Elaha est continuellement humiliée et infantilisée alors qu'elle est majeure et très certainement vaccinée. Ses parents l'autorisent à sortir boire un verre avec ses amies que si son fiancé la chaperonne, fiancé qui lui fait plusieurs fois comprendre que sa vie de femme mariée se passera de toute ambition professionnelle.

Le point d'orgue reste cette scène d'agression sexuelle glaçante où elle se retrouve à réconforter son agresseur qui s'impose comme victime. 

 

Elaha : photoPour une fois que c'est pas l'hôpital qui se fout de la charité

 

Elaha est ainsi un récit intime, introspectif et surtout bienveillant. La réalisatrice semble même par moment prendre part à l'histoire à travers Stella, une enseignante attentionnée et attentive qui la soutient inconditionnellement malgré ses incompréhensions et désaccords. Comme pour établir que l'émancipation n'est jamais une histoire simple ou déjà écrite, la narration circulaire ne se termine pas sur le happy-end attendu, mais sur un premier pas en avant qui, on l'espère, en préfigure de nombreux autres.

 

Elaha : affiche

Résumé

En dépit de son rythme engourdi et que sa photographie terne, Elaha est un bel éclat qui traverse son sujet glissant en parfait équilibre.

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commentaires
Sanchez
12/02/2024 à 10:02

Élaha qui voilà ? inspecteur Gadget !

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